Je suis une femme un peu
sèche dans les entournures. Je n'ai que peu, sinon pas du tout, de
patience, avec les gens que je jugent sots. Et je suis plutôt
transparente dans mes irritations. Quand on occupe un poste de
gestion de personnel, ce genre de travers est une épine dans le
pied. Le sachant, j'essaie, aussi bien que faire se peut, de me
trouver des stratégies pour compenser mes défauts.
C'est ainsi que j'ai
commencé par distribuer des morceaux de robots aux employés qui
faisaient un bon coup. Comme la plupart des employés que j'encadre
sont beaucoup plus jeunes que moi, j'ai dû expliquer la référence,
trouver de vieilles images du Capitaine Cosmos, de Vermicelle et des
robots, Math et Matique. Depuis le temps que je distribue les
morceaux de robot, les employés se sont mis à les espérer.
Souvent, ils me demandent, lorsque je les complimente : « C'est
combien de morceaux de robot pour ça? »
Par ailleurs, j'ai une
tendance toute naturelle à tenter de raccourcir les noms de tout un
chacun. Des fois, je vais plus loin et je débaptise, purement et
simplement les gens. Ainsi, j'ai travaillé avec un Simon que
j'appelais Simon Templar (là encore, j'ai eu à expliquer le
référent). La seule Haïtienne de mon équipe, a, à elle seule, un
florilège de surnoms. Elle est parfois, ma bronzée, Beyoncé
ou encore mon Petit-oiseau-des-mers-du-Sud. Tout dépend de mon
humeur, ou de sa coiffure.
J'ai eu un Calinours, un
Flash, un petit pigeonneau et une polkadot-girl. J'ai des JOJO, des
Éli, des Steph, des Suzie, des Anna, des Belle, des Véro, des Ge,
des Jen, des Gen, des Annouchka, des Alexandra-panawan (oui, je
rallonge parfois), des Clo, des Marie (à la pelletée) des Jean
(tout aussi à la pelleté). Et une Batman. J'ai beaucoup de chouettes aussi.
Et comme je débaptise
tout le monde, le monde me débaptise aussi, allègrement. Ainsi je suis Alfred,
Mathildette, Wikimathie, Mathie, Maître Jedi (ça, c'est quand je
suis la formatrice), une biche, une
Mathilde-contre-le-clan-des-Otori, Mathilde-Sunshine, c'est selon la
personne qui s'adresse à moi.
Mais avec les garçons,
j'ai un souci. Du moment ou ceux-ci se mettent à s'inquiéter pour
pas grand chose, je les transforme en « p'tits loups ».
Idem s'ils m'écrivent, ou me disent quelque chose qui me touche.
Rien à faire, ils finissent tous par y passer. La plupart du temps,
ils ne le savent pas; je garde ce petit nom pour moi toute seule.
Mais quelquefois, ça m'échappe et je le dit, tout haut, dans leur
face. Je ne sais pas pourquoi je fais cela. Surtout qu'il sont, généralement, beaucoup plus grands que moi.
Alors, je me dis que je
devrais me garder une petite gêne avec cette expression. Parce que
si je continue à semer les p'tits loups partout, c'est clair que je
vais finir par me faire mordre.
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