dimanche, mai 31, 2015

Gentleman Renard

Il y a un peu plus de six mois, lorsque j'ai recommencé à écrire, j'ai fait le portrait d'un homme que j'ai appelé Ce garçon-là. De son côté, il s'est rebaptisé Gentleman Renard pour se livrer plus aisément à la pratique de la musique, sans être tout à fait anonyme ni tout à fait synonyme de son personnage professionnel. Son costume de scène se limite à un chapeau, pour le côté gentleman du nom, et au sourire tout en fossettes qui illustre très bien le renard en lui.

La musique qu'il crée est certainement folk, avec des accents jazz et peut-être un soupçon de country. Comme pour beaucoup d'auteurs-compositeurs-interprètes, il faut savoir lier la mélodie aux paroles pour pouvoir s'imaginer comprendre un peu à qui on a affaire. Tout vient du cœur, mais les canaux sont différents en fonction de l'endroit d'où l'émotion part, je présume. Et il s'entoure d'amis pour nous proposer son œuvre et certaines interprétations des autres. Un guitariste épatant, un percussionniste surprenant et une violoncelliste qui vient briser l'attendu de telles soirées. Parce qu'on ne peut pas dire que ce soit la norme que de voir et d'entendre cet instrument dans de telles prestations. Et pourtant, le violoncelle permet à certains moment de laisser aller les larmes que la voix ne pourrait casser durant le spectacle.

La première fois que je l'ai vu en spectacle, j'ai été sidérée par son talent musical. Je sais depuis toujours, qu'il a de l'oreille, mais il ne faisait pas partie des adolescents de notre entourage qui grattaient la guitare ou poussaient la chansonnette dans les activités sociales. Sa marque de commerce était la discrétion et une certaine gêne, dont j'ai souvent traité ici, et surtout ailleurs. Je l'ai revu hier soir, et je n'ai pu m'empêcher de penser que nos vies auraient certainement été totalement différentes s'il avait versé dans la musique à l'époque où l'on s'est connus parce qu'il laisse éclore sur la scène, tout le charme qu'il possède, en toute simplicité et sans orgueil aucun. Recette magique pour devenir la coqueluche des jeunes filles.

Je crois que s'il avait osé à l'époque, il aurait été beaucoup trop populaire pour devenir mon ami. Mais la vie est ainsi faite, il n'osait pas et je suis devenue son amie

Aujourd'hui, on peu se jaser pendant des semaines de nos créations, nous laissant aller à l'excès avec un plaisir partagé. On s'admire mutuellement, pour le talent de l'un que l'autre ne possède pas. Nous sommes des voies de transmissions réciproques.

Et à toutes les fois où je me demande quoi écrire, et s'il me reste encore assez de souffle pour le faire, je pense à mon ami renard et je me dis que si je laisse tomber ma plume, c'est un peu lui aussi que je laisserais tomber.

Et je crois, que quelquefois, la pensée que moi je persévère, l'aide lui aussi à avancer.

C'est ce que j'appelle l'amitié.

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jeudi, mai 28, 2015

Ce village

Depuis plusieurs années, j'habite un village au cœur de la ville de Montréal. Je ne fais pas référence ici au village gay, dont nos rues font pourtant partie, je fais référence au village des familles qui sont installées dans un lopin de quatre rues depuis beaucoup plus longtemps que moi.

À mon arrivée, ils me déstabilisaient passablement, peu accoutumée que j'étais à leur fréquentation. Beaucoup d'entre eux vivent la vraie pauvreté. Celle de leur moyens financiers, évidemment, du manque d'éducation qui est criant à toute heure du jour. Il n'est pas rare de voir un attroupement autour d'un balcon qui donne directement sur le trottoir très tôt le matin et qui ne se dispersera qu'à la tombée de la nuit ou de la pluie. Je n'ai jamais vu certains de ces personnages boire autre chose que de la bière, à vrai dire, je ne les ai jamais vu autrement que saouls, même à 8 heures le matin.

Je sais que les visiteurs, ceux qui s'installent sur le trottoir en face des balcons, sont souvent les habitants des étages qui n'ont pas un accès direct à la rue. Moi qui ai été élevée dans un quartier où la vie sociale se faisait dans les cours, à l'arrière des maisons, là où on pouvait croire à une certaine forme d'intimité à l'extérieur, j'ai d'abord été saisie de voir à quel point ce voisinage occupait les façades. Tout ce passe-là, Les cours, malgré leur existence sont souvent vides, si ce n'est durant quelques jours de canicules durant lesquels les enfants les habiteront dans des pataugeoires beaucoup trop petites pour eux.

Comme le balcon qui jouxte la fenêtre de ma chambre est particulièrement fréquenté, je sais que tout le monde se connaît bien. Je me sens donc un peu comme l'éternelle survenante dans ces rencontres auxquelles je ne suis jamais conviée. De toute manière, je ne sais vraiment pas ce que je pourrais bien avoir à leur dire; je ne partage pas avec eux toutes les racines des arbres généalogiques plantés dans ce béton très précis. Néanmoins j'ai appris à les reconnaître, et nous j'en salue deux ou trois, à force de les croiser, agir autrement serait du pur snobisme, ce qui ne me ressemble pas. Et puis, ils sont gentils, même les plus saouls.

Tout l'hiver, j'ai pu observer ce couple de très jeunes gens, je ne leur donne pas vingt ans, promener la bédaine grossissante de la fille. Ils habitent tous les deux dans une maison intergénérationnelle à quelques portes de la mienne, trois générations je crois. Lui, je l'ai vu grandir, il était à peine un ado quand je me suis installée ici. Par ailleurs, ils font partie intégrante du village que je citais plus haut, à certains moments les regroupement se font sur le pas de leur porte, à d'autres, je les vois assis sur leur chaises de jardin, bordant le trottoir, un peu plus au nord.

Tout l'hiver, j'ai pu observer ce couple de très jeunes gens, je ne leur donne pas vingt ans, promener la bédaine grossissante de la fille. Ils habitent tous les deux dans une maison intergénérationnelle à quelques portes de la mienne, trois générations je crois. Lui, je l'ai vu grandir, il était à peine un ado quand je me suis installée ici. Par ailleurs, ils font partie intégrante du village que je citais plus haut, à certains moments les regroupements se font sur le pas de leur porte, à d'autres, je les vois assis, sur leur chaises de jardins, bordant le trottoir, un peu plus au nord. Jamais bien loin par contre.

Je les ai perdu de vue il y a peu de temps, j'ai pensé qu'ils avaient déménagé. Je me trompais, ce matin, ils étaient sur le pas de leur porte tandis qu'une femme en pieds de bas promenait d'une adresse à l'autre un minuscule poupon très fière de présenter aux villageois la nouvelle venue de la tribu.

Je n'ai pas été présentée, mais j'ai souri à la grand-maman et je l'ai entendu dire à son fils, que finalement, je n'étais pas si chochotte que cela...


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dimanche, mai 24, 2015

Mon histoire de chiens

Le premier ami que j'ai eu dans ma vie a été un gros labrador noir, nommé Caïd. Du moins, c'est ce que ma mère me dit, moi, je n'en ai aucun souvenir. Nous l'avons mis en adoption à la campagne parce qu'un gros chien comme lui, dans un petit appartement montréalais qui galopais après une minuscule fillette dans sa marchette, ça faisait un peu trop de bruit aux oreilles des propriétaires. Il semblerait que je n'avais pas du tout peur du chien, que c'est moi qui le réveillais à coup de pieds pour qu'il me courre après et que ces aventures éperdues se terminaient inévitablement en éclats de rire sans fin. Ça me ressemble assez, de rire sans arrêt, je veux dire.

On peut donc affirmer que j'ai débuté ma vie en très bonne relation avec les chiens. Ça a cessé brutalement, lorsqu'un ado de ma rue qui possédait un gros berger allemand a mis son chien à courir après moi, pour rire je crois, et que j'ai eu la peur de ma vie (je devais avoir cinq ou six ans à l'époque). Avec le recul je crois que le chien ne m'aurait pas fait de mal, que son maître et lui ne voyaient qu'un jeu à cette anecdote. Pas moi. Je me souviens avoir couru aussi vite que mes jambes pouvaient me porter, devançant le chien de peine et de misère (il devait me laisser une chance parce que c'est clair qu'il devait être beaucoup plus rapide que moi) et fermant la porte juste avant qu'il ne se jette dessus.

En tout cas, ça a été suffisant pour me faire haïr les gros chiens après cela et en développer une phobie. Comme n'importe quelle phobie, le fait que j'évite de croiser ces bêtes qui me faisaient peur, n'a fait qu'empirer les choses. Et ça a duré longtemps. Nous avons eu un chien à la maison après, un petit chien jappeur et fugueur, pas très gentil, que je n'aimais pas particulièrement. J'en suis venue à la conclusion que je n'aimais pas beaucoup les chiens. Point.

Quand j'ai pris sur moi de reconquérir l'espace de liberté que m'avait grugé la dépression, j'ai aussi décidé d'essayer de me rabibocher avec les gros chiens. Je me disais que si tant de gens les aiment, il n'y avait pas de raison pour que je m retrouve tétanisée sur un coin de rue parce que j'en croise un, un peu jeune et enjoué. La première chose que j'ai dû apprendre a été de ne pas me figer complètement dans leur environnement. Dur, dur. Ce genre de réflexe acquis, et cultivé, pendant des années ne cesse pas juste parce qu'on en a décidé ainsi. J'ai eu la chance de partager une cours avec des gens qui avaient un gros rottweiler paresseux, beaucoup plus gourmand que violent. Ça calme l'angoisse de la grosse bête. Depuis, je ne fuis plus les gros chiens, mais je ne les cherche pas non plus.

Et puis, ma sœur a adopté un chien. Un gros chien beige, tout mêlé dans son ascendance. Un gros chien jaune qui se prend pour un chien de poche et qui la suit pas-à-pas où qu'elle aille. De ce fait, il s'invite aux réceptions et autres fêtes, au grand plaisir de toute la famille, sauf de moi.

Lui c'est un charmeur qui le temps de me séduire, évitant de me lécher le visage et même de m'approcher. La dernière fois que je l'ai vu, je me suis surprise à le flatter, grande première depuis l'histoire de la frousse.

C'est donc, peut-être, ce que je me suis offert pour mon anniversaire, un autre jalon pour chasser de ma vie ces peurs qui immobilisent.

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jeudi, mai 21, 2015

Zones de distorsion

Je l'avais remarquée à cause de sa tenue vestimentaire. Elle portait le genre de pantalon pas de fond que j'avais beaucoup croisés à l'époque où MC Hammer sévissait sur les ondes et dans les télévisions. Aussi bien dire que je n'avais rien vu de semblable depuis une éternité. Je n'y ai pas vraiment porté attention, mais vraisemblablement, mon subconscient lui, avait noté. Elle discutait avec une fille, une de celle un peu trop jeune que je vois trop souvent errer dans mon secteur. Celle-ci, je la reconnais sans peine vu qu'elle trimbale avec elle son chat et la litière dudit chat, si ce n'est pas mes yeux qui la notent, mon nez me rappelle généralement son souvenir.

J'ai poursuivi mon chemin, sans plus y penser et fait le petit tour de centre-ville dont j'avais envie, histoire de profiter de cette belle journée printanière. Quelques rues plus loin, j'ai revu la même femme aux pantalons remarquables. Cette fois, elle parlait avec deux jeunes punks qui se produisent parfois dans la station de métro Papineau. Leur musique est disons, discutable, mais ils sont polis et comme ça fait plusieurs années qu'on se croisent tous les trois, je leur donne parfois une petite poignée de monnaie pour leurs prestations, même si je n'apprécie pas particulièrement leur œuvre. Ça m'a fait sourire, de la voir à nouveau devant moi. Je les ai croisé sans rien dire et sans m'occuper de leur affaires.

Arrivée dans le quartier des spectacles, j'ai revu la même femme, toujours quelques mètres devant moi, cette fois, elle était assise sur les marches de l'esplanade, avec une autre femme qui n'avait pas du tout l'air d'une jeune de la rue. C'est à ce moment que j'ai commencé à me dire que j'avais l'impression que mon plan pour me sortir du jeu vidéo que j'ai entammé en début de semaine ne fonctionnait visiblement pas très bien vu que la femme me donnait l'impression de voyager par des zones de distorsion qui lui permettaient d'être continuellement quelques pas en avant de moi, sans que je la voit jamais me dépasser, après que je l'ai laissée derrière moi.

Après avoir fait les achats qui méritaient mon déplacement, j'ai entrepris de revenir sur mes pas. La femme était toujours assise sur les marches de l'esplanade, en grande discussion. Je ne lui ai lancé qu'un bref coup d’œil avant de continuer ma route.

J'allais entrer la clef dans la serrure de la porte quand j'ai entendu tout un charivari derrière moi. Curieuse, j'ai regardé dans le parc pour voir ce qui l'avait créé. C'est-là que j'ai vu un espèce de vélo de couleur criarde, équipé de ce qui me semblait 100 paniers et autres sacs, dont la cavalière était évidemment la dame que je ne cessais d'apercevoir depuis plus d'une heure.

Elle est descendue de son engin et s'est mise à vider la bête de son contenu et en moins de temps qu'il en faut pour le dire, des ballons, des nappes, un panier à pique-nique et un hibachi se sont matérialisés devant elle.

Et des tas de gens se sont mis à arriver de partout pour se joindre à sa table.

Je n'ai pas pu m'empêcher de penser que si je ne vivais pas dans un jeu vidéo, il était bien évident qu'elle en était issue, en magicienne du social qu'elle me semblait être.

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dimanche, mai 17, 2015

Le buffet

Il y a des soirs de printemps comme ça qui se drapent de la première vraie humidité de l'année. On n'y est jamais tout à fait préparé, surtout après un hiver qui nous a pris à bras-le-corps en nous faisant presque croire qu'il s'était installé pour l'éternité. Et puis, brusquement, ça sent l'herbe tendre, la boue avec des effluves de moufettes. Sur les rues commerciales, les terrassent s'animent, la circulation piétonne devient ardue puisqu'il faut désormais louvoyer entre les groupes de passants arrêtés par une discussion animée.

C'est aussi le moment où les premier moustiques sortent de leur torpeur hivernale pour venir s'attaquer, voracement, aux pauvres humains qui ont le malheur de croiser leur route. Je ne sais pas ce que goûte mon propre sang, ce que je sais, par contre, c'est qu'il semble tout à fait prisé par les hordes de bestioles qui s'en abreuvent pour la survie de leur espèces. Aussi si loin que je me souviennent, j'ai toujours été un buffet à moustiques. Quels qu'ils soient. Enfant, lorsque je faisais des séjours en camps de vacances, je revenais à Montréal avec les oreilles en charpie et la nuque dans un état lamentable.

Dans les dernières années, je suis revenues de mes voyages dans le Sud, avec des marques rouges et peu seyantes, témoignages visibles de l'affection sincère que me portent ces petits vampires qui se nourrissent de mon sang. Pour rire, parce que franchement, il faut bien savoir rire de ces situations pas tout à fait agréable, je dis depuis des années que je suis une très efficace chasse-moustique pour les personnes qui m'accompagnent. Platement, il y a un peu de vrai dans cette boutade, parlez-en à n'importe qui ayant déjà souper dans un jardin en ma compagnie. Ces gens seront ravis d'avoir passer une belle soirée dans être incommodés par les piqûres et moi j'en ressortirai lardée de toute part. C'est immanquable. Même si je suis une grande utilisatrice des répulsifs à moustiques.

Je suis consciente depuis longtemps que j'ai un je ne sais quoi de très attrayant pour ces bêtes féroces. Sauf que je me fais quand même prendre à tous les ans. Je suis invariablement la proie naïve de ces premières soirées un peu humides que je ne vois pas arriver d'assez loin.

Il doit y avoir 12 maringouins de réveillés sur l'île de Montréal, mais bien évidemment, ils me trouvent tous du premier coup et s'abreuvent goulûment à ma source. Avec une prédilection évidente pour les endroits qui me sont les plus inaccessibles : entre mes omoplates, sous la plante des pieds ou autres locations qu'il est difficile d'atteindre en toute occasion.

Ne nous leurrons pas, j'aime le printemps, je l'adore même, c'est une saison qui me réjouit le cœur et l'esprit. Sauf que je me passerais bien volontiers des attaques intempestives des moustiques qui se régalent de ma chair. Mais je crois que c'est peine perdue. Il y a quelque chose chez-moi qui les attire irrémédiablement comme si j'étais un buffet à ciel ouvert.

Misère...

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jeudi, mai 14, 2015

Une bien drôle d'impression

C'était une heure creuse d'une fin de matinée dans une rame de métro qui se délestait peu à peu de ses occupants, puisque nous nous dirigions vers le bout de la ligne. Depuis mon entrée dans le wagon, j'entendais des cris et des coups dans une langue que je ne comprenais pas très bien, malgré le fait que l'individu en question parlait français, je crois. Il était agité, visiblement, et installé à l'autre bout du wagon dans lequel j'avais pris place.

Plus nous approchions du terminus, plus les coups, les cris, les vociférations et les harangues se multipliaient. Je commençais à sentir la peur me pousser dans le ventre. À Mi-chemin, il ne restait qu'un autre passager et moi dans le wagon. Je soupçonnais qu'une part des autres passagers, particulièrement ceux qui étaient monté dans son extrémité, d'avoir simplement changé de voiture. Pour ma part, j'hésitais, ne voulant pas que mon départ soit perçu comme une forme d'affront et que le spécimen, manifestement violent et intoxiqué ne décide de me suivre. Mais lorsque le dernier homme qui partageait notre habitacle est venu me voir pour me dire qu'il descendait à la prochaine station et qu'il ne me recommandait pas de rester seule avec le personnage qui finissait par prendre toute la place, je n'ai pas hésiter une seconde à traverser dans le wagon suivant.

Je me suis affalée, essoufflée comme si je venais de courir un sprint (et pourtant, j'avais marché, faisant très attention a n'avoir l'air de rien) et passablement secouée. Je me sentais en danger. Les passagers de ce wagon se sont tous spontanément approchés de moi pour me demandé ce que l'homme faisait. Ça m'a pris 3 bonnes secondes avant de rassembler suffisamment mes esprits pour répondre : « Du bruit ». De ma nouvelle place, nous regardions l'homme, fascinés de le voir arpenter son espace vide en cognant sur tout le mobilier à coup de bouteille de bière vide ou à coups de pieds. Il se lançait dans les portes fermées. Et buvait la bière pleine qui s'était miraculeusement matérialisée dans ses main, une fois que la bouteille vide eut éclaté. Décidément, j'étais soulagée de ne plus y être.

Mais je n'ai rien fait. Encore sonnée par les événements. C'est une autre passagère, un peu plus jeune que moi, qui a pris sur elle de contacter le chauffeur par le biais de l'intercom pour lui dire qu'il y avait un passager agité dans l'avant dernier wagon et qu'il avait fait fuir les autres personnes. Le chauffeur a aussitôt contacté la sécurité et nous a avisé que l'homme serait accueilli au terminus. Rendus-là, il s'était couché, et s'était endormi (entre les deux dernières stations).

Nous sortions lorsque les agents de sécurité sont entrés dans la voiture, l'homme s'est immédiatement réveillé et s'est remis à hurler. L'espace d'un instant, ma compagne inconnue et moi, avons eu l'impression qu'il nous regardait dans les yeux, furieux. Il était sans doute furieux, mais je crois qu'il était beaucoup trop intoxiqué pour avoir fait le lien entre les agents et les deux femmes du wagon suivant. Néanmoins, nous avons gravi les marches jusqu'à l'extérieur en courant à en perdre haleine, comme deux gamines qui viennent de faire un mauvais coup. Et nous nous sommes écroulées de rire, une fois rendues à la surface.

Depuis ce jour, lorsque je la croise, on s'adresse un sourire complice et quelquefois même, on éclate de rire, sans aucune espèce de raison, ce qui doit laisser une bien drôle d'impression à ceux qui en sont témoins.

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dimanche, mai 10, 2015

Essentiellement aimés

Toute petite, lorsqu'une quelconque injustice me semblait patente (du genre, la voisine pouvait se coucher plus tard que moi), je me promettais que j'aurais mes enfants jeune, pour les comprendre,parce que décidément, ma propre mère, ne me comprenait pas du tout. C'était à l'époque de la vie d'un enfant qui le voit faire ses valises de temps à autres, promettant d'abandonner pour toujours la famille qui l'a vu naître, mais on sait tous que l'enfant ne va jamais bien plus loin que le bout de la rue.

J'ai sans doute fait ma valise un certain nombre de fois, d'ailleurs, même si je n'en ai aucun souvenirs. C'est mon second frère qui était le spécialiste de ce genre de départ dramatique parce qu'il se sentait touyours incompris. Évidemment, ce n'était pas vrai. Nous étions compris, aimés, dorlotés, cajolés. Sauf que maman avait la sagesse de ne pas se plier à tous nos caprices. Elle savait bien qu'on ne la quitterait pas pour toujours à trois ans et nous regardait avec amour, bâtir sous ses yeux les premiers écheveaux de notre indépendance.

Comme nous lui en avons fait voir de toutes les couleurs! À quatre, nous étions une société en nous-mêmes, avec tous les défis que cela suppose. Et nous possédons tous un certain caractère, de la trempe de ceux qui ne se laissent pas marcher sur les pieds, même si nous ne le déployons pas tous de la même manière. J'avais un penchant prononcé pour le drame, les crises et autres effets spectaculaires. Je n'ai pas toujours été une sœur aînée bien digne. Les autres avaient des stratégies un peu différentes, cependant, nous nous sommes tous plains un jour ou l'autre de l'injustice maternelle, en bons enfants que nous sommes. Sauf, peut-être ma sœur, et même encore, il serait surprenant qu'elle ne se soit jamais sentie injustement traitée.

Je ne peux pas parler de toutes les mères. Par contre, je les soupçonne toutes d'amour infini et désintéressé. Je les crois capables de patience sans mesure pour leurs enfants. Capables de continuer à tendre des ponts quand lesdits enfants ne sont pas si forts que cela sur la communication familiale. Capables de persévérance pour garder ces liens qui se sont tissés dans l'utérus et qui resteront toute la vie, et que nous, enfants, avons une grosse tendance à prendre pour acquis, ne remerciant cette générosité qu'en faisant montre d’indifférence.

Je ne peux pas parler pour toutes les mères, mais je sais que la nôtre a ce chic d'être très exactement-là, pour chacun d'entre-nous lorsque le monde s'effondre. Je sais, pour ma part, qu'elle a fait beaucoup pour me sortir de la dépression, en m'aimant inconditionnellement, malgré le fait que je n'étais pas particulièrement aimable, à cette période de ma vie. En maman accomplie, elle s'intéresse à toutes nos nouvelles même les plus anodines et se rappellera les détails de ce qui nous est important.

Elle aura fait de nous des adultes, en nous laissant être nous-mêmes, en nous laissant nous tromper et l'écorcher au passage, tout en nous laissant savoir que sa porte nous serait toujours ouverte.

En nous aimant, essentiellement.

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mercredi, mai 06, 2015

La horde

Sur la ligne orange, dans un wagon quasi désert, à cette heure qui précède la pointe, elles sont entrées, non pas en voyageuses comme le reste des quidams qui le peuplaient, mais en envahisseuses. Elles étaient six mais me donnaient l'impression d'être cent. Elles se sont déployées autour de moi, sur les bancs disponibles ou, tout bonnement à terre, très fières de leur audace. Certaines d'entre-elles étaient encore vêtues de ce costume d'écolière, facilement identifiable, tandis que d'autres avaient revêtu le jeans, costume obligatoire de cette période de la vie.

Elles devaient être en fin de secondaire deux, ou trois, si je me fie à leur grandeur, au développement de leur féminité et aux propos échangés. L'arrogance dans leurs discussions était brûlante d'adolescence. Les mots s'escamotaient entre-eux, les phrases étaient composées de débuts sans fins. Elles semblaient s'y complaire et s'y comprendre, comme s'il y avait eu quoique ce soit de sensé dans les flèches d'idées qui partaient dans toutes les directions.

En moins de temps qu'il ne faut pour le verbaliser, les sacs se sont éventrés, nous laissant entrapercevoir un fragment de leur intimité : restant de lunch, cahiers scolaires, vêtements de rechange. Malgré le peu de passagers, en dehors de cette horde, il n'y avait plus un centimètre carré de disponible sur le sol du wagon entre les deux portes qu'elles avaient choisi de squatter. Six chambres d'ado se sont matérialisées. Quelque part entre l'enfance et la volonté de laisser germer les adultes qu'elles deviendront. Beaucoup de rose, de lilas, de jaune criant et de paillettes. Elles se voulaient grandes et matures, sans y arriver tout à fait (sauf pour la hauteur des corps).

À mes oreilles défendantes, j'ai su tout ce qu'il y avait à savoir sur les Gars. Il y avait des noms, qui ne me sont pas restés à l'esprit, c'était beaucoup trop mêlant d'essayer de faire les bons liens entre les surnoms, les noms de famille et les prénoms qui désignaient, potentiellement, une seule et même personne. J'ai aussi eu droit aux propos acrimonieux sur les professeurs, aux injustices parentales, le tout additionné des boutades en faire-valoir, certainement nécessaire à la création de l'identité.

À Jean-Talon, l'heure de pointe nous a rattrapés. Les chambres d'ado se sont recroquevillées dans les sacs qui se sont mis à rapetisser comme peau de chagrin, en tout cas assez pour que le plancher du wagon redevienne praticable pour permettre aux voyageurs de prendre place parmi-nous. La horde s'est tue, incapable désormais de bien communiquer entre les arbres des corps qui s'entassaient toujours davantage dans le maigre espace encore disponible, d'une station à l'autre.

La station Sherbrooke les a vues sortir en bloc, emportant avec elles la horde de mes souvenirs d'ado, bercés par leur voix pas tout à fait posées et leurs hormones en ébullition.

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dimanche, mai 03, 2015

Escalader ma peur

Dans la cours de la maison où j'ai grandi, il y avait un marronnier, dont les premières branches étaient assez basses pour que je puisse me hisser dedans. Je ne sais plus trop à quel âge j'ai commencé à le conquérir, par contre, je sais que j'y ai passé beaucoup d'heures. Sans peur. Il n'est pas le seul arbre que j'ai ainsi fréquenté, simplement celui que j'ai visité le plus souvent, pour cause de proximité. Tout au long de mon enfance et de mon adolescence, les hauteurs m'appelaient et je ne connaissais le sens du mot vertige que par les définitions que j'avais pu lire ou entendre. Je ne comprenais pas qu'on puisse avoir peur de se balancer sur une branche assez haute pour que le vent la meuve presque imperceptiblement.

Le vertige, je l'ai connu plus tard. Il s'est installé dans ma vie insidieusement. Sans trop se faire remarquer. Sans que je sache qu'il serait désormais un compagnon avec lequel je devrais passer le reste de mon existence. Un jour, j'ai voulu traverser le bras d'une rivière rendue paresseuse par les chaleurs de l'été sur un vieux pont de train plus vraiment fréquenté que par des piétons et des cyclistes. Et je me suis retrouvée, au milieu dudit pont, incapable d'avancer ou de reculer. L'eau qui passait dessous, avec son courant trop perceptible sous les planches abîmées me donnait le tournis. S'il s'était effondré, je m'en serais sortie à coup sûr, la chute n'était pas grande et la profondeur du cours d'eau sécuritaire pour amortir la descente. J'étais coincée, et seule. J'aurais pu attendre très longtemps de l'aide. M'arrimant très fort à la rambarde, j'ai fixé un point à l'horizon, à la hauteur de mes yeux et je me suis forcée à mettre un pied devant l'autre. J'ai atteint la rive en quelques minutes, le souffle court, les jambes en coton et le cœur au bord des lèvres.

Après cet événement, tout s'est précipité : le vertige me rattrapait à tout moment. M'empêchant même de voir un spectacle du balcon. Lors de mon séjour au pays de zombies, le vertige était si puissant et persistant que je me suis un jour retrouvée dans un escalier en fer forgé, pas tout à fait stable, à pleurer toutes les larmes de mon corps, prise au milieu d'un nulle part complètement inconfortable. C'est une voisine qui est venue me chercher-là. Je ne sais plus comment elle a fait pour me convaincre de bouger, mais visiblement, ça a fonctionné puisque je ne suis pas morte terrorisée à cet endroit.

Aujourd'hui, je crois que le vertige était un signe avant coureur de ma dépression. Quand j'ai commencé à aller mieux, je me suis obligée à le regarder en face et à poser des gestes qui lui permettaient de se manifester. Sauf qu'une fois qu'il nous connaît, celui-là, il ne nous lâche pas. Mais on peu le tenir à une certaine distance, en s'entraînant à monter des escaliers en fer forgé, en assistant à des spectacles du haut du balcon où en traversant, à pieds, le pont Jacques-Cartier, au moins une fois par été. Je sors de cette épreuve annuelle complètement vannée et particulièrement fière de moi.

Hier, j'ai dû grimper dans un escabeau de plusieurs pieds pour accrocher une bannière au plafond de la librairie. Il me fallait donc faire autre chose de mes mains que de m'accrocher aux montants de l'engin. Le moindre mouvement de la bannière me faisait pousser des cris de peur, plutôt convaincants selon mes collègues. Mais j'ai réussi et la bannière est bien en place, juchée dans le ciel de la librairie.

Ce fut un défi difficile à relever. Un défi que j'ai évité pendant plus de 15 ans, mais la vie a fait en sorte de me le jeter dans les pattes à mon corps défendant.

Et je me dis que si j'ai réussi à escalader cette ivresse, c'est sans doute parce que j'ai mis cette distance supplémentaire entre la dépression et moi.

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