Tu sentais qu'on t'avais
volé ta vie. Que tu n'étais que la somme de tes erreurs et de tes
dettes. Tu croyais que les seules personnes qui auraient pu être en
mesure de te comprendre étaient tes disparus, ceux qui étaient
morts et ceux qui avaient quittés ton parcours pour quelque raison
que ce soit.
Tes larmes coulaient à
flot, à force de sanglots si profonds que rien n'arrivait à tarir.
Tu passais ton temps à répéter les mêmes choses, sans jamais
écouter tes interlocuteurs, tout en ayant l'impression que personne
ne t'écoutait jamais.
Jamais est un temps
infiniment long.
Pourtant, tu faisais
l'effort de faire quelque chose
tous les jours. Du ménage, des dessins, des montages. Tout pour
oublier que la nuit ne te portait pas conseil et que le sommeil te
fuyais irrémédiablement, sauf à la minute avant la sonnerie du
réveil. Tu te rendais même au travail en automate, en multipliant
les erreurs bêtes que tu n'avais jamais faites auparavant.
Tu
étais convaincue de réussir à faire le vide dans ta tête, avant
d'aller te coucher. Mais à toutes les nuits, ton hamster intérieur
faisait tourner sa roue à toute vitesse en te montrant du doigt tous
tes manquements, toutes tes faiblesses, toutes tes incapacités.
Tu
ne voulais plus déranger personne. Tu te croyais inapte à demander
de l'aide sociale parce que tu ne méritais pas cela. Dans ton
discours c'était parce que c'était trop bas pour toi, dans ta tête
c'était parce que tu croyais que la somme de tes déchéances
faisait en sorte que tu t'approprier l'argent de tes concitoyens
parce que tu ne méritais même pas ça. Évidemment, côté chômage,
il en était encore moins question, culpabilité oblige.
Et
puis un jour, un ami est venu de chercher par le chignon du cou. Il
t'a assise dans ta voiture et t'a dit : « aujourd'hui, je
vais t'amener au CLSC (ça existait dans ce temps-là), je n'ai pas
beaucoup de temps mais je vais rester avec toi jusqu'à ce que
quelqu'un te voit. » Et il l'a fait, serrant très fort ta main
rétive pendant de longues minutes.
Tu
t'es retrouvée devant un homme blond, échevelé, à l'air fatigué,
mais empathique, qui a prononcé le mot dépression pour expliquer ce
que tu avais. Il t'as dit qu'il ne pouvait pas poser de diagnostic,
mais que ça y ressemblait beaucoup. Il t'a fait promettre de revenir
la semaine d'après, à la même heure. Il t'a donné un paquet de
numéros de téléphone qui pourrait t'être utiles que tu t'es
empressée de perdre.
Bizarrement,
en sortant de là, tu as décidé de marcher jusque chez toi, une
belle grosse promenade de plus d'une heure, toi qui voyageais de
peine et de misère de la chambre au salon depuis des mois. Et tu
t'es sentie juste un peu moins lourde. Juste un peu.
Tu
as pleuré ta vie, et la douleur de tes pieds qui n'étaient plus
habitués à te véhiculer, toute la soirée. Et tu as fini par
t'endormir solide autour d'une heure du mat, complètement épuisée.
Tu as été la première surprise de te réveiller six heures plus
tard, affalée tout croche sur le divan.
Et
pour la première fois depuis des mois, tu voyais la lumière à
l'orée du pays des zombies.
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