jeudi, octobre 29, 2015

Continum espace tordu

J'ai recommencé à écrire le 26 octobre 2014. Ça partait d'un élan à la suite d'un événement anodin que j'ai toujours eu plaisir à décrire. Mais l'étincelle venait d'ailleurs. J'avais une envie d'écrire depuis 17 jours qui me taraudait les doigts et l'esprit. Il me semblait que j'avais une impression et une opinion sur tout, que j'avais quelque chose à dire, moi qui m'étais tue si longtemps.

Je me sentais immensément libre. Libre des baillons que je m'étais imposés, croyais-je. C'était sans doute une conséquence directe d'un silence si profond qui s'était étendu sur un aussi grand laps de temps.

Aujourd'hui, je comprends beaucoup mieux où étaient mes ornières passées. Ne serait-ce que parce que je m'astreins à écrire deux textes par semaine. Pour travailler les muscles de mon écriture, pour ne plus me donner le droit de me taire jusqu'à me faire du mal. Je sais mieux que personne que, passé l'euphorie du premier contact avec ma plume, l'écriture ressemble beaucoup à un vieux couple; il faut entretenir la flamme, malgré tout.

Lorsque je regarde la dernière année, il me semble que le temps s'y est distordu. Entre Noël et Noël au magasin, les heures se sont écoulées normalement. Par contre, dans d'autres sphères de ma vie, entre les mots et moi par exemple, il me semble que le temps soit passé à une vitesse folle et paradoxalement trop lentement. Mes repères, en ce domaine, sont particulièrement flous. Comme si j'avais tissé un pont au dessus de mes années muettes pour m'arrimer à celles qui les précédaient. Histoire de maintenir un certain équilibre.

On s'entend, ce n'est pas parce que je suis à nouveau capable d'écrire que je suis continuellement en équilibre. J'ai rencontré des récifs qui en font foi. Des crises de nerfs, d'angoisse, voire de panique, qui m'ont laissée pantoise devant tant de violence intérieure. Je réalise, qu'il y a un petit quelque chose de confortable dans la négation de sa propre expression :on peut continuer à fuir, dans n'importe quelle direction, sans se sentir redevable devant soi. Évidemment, on est aussi beaucoup moi touché parce qui nous entoure. On a l'impression de se garder une saine distance avec notre environnement et de pouvoir, enfin, garder une tête froide.

Honnêtement, je ne crois pas que ce soit la solution, pour moi. Malgré le fait qu'il soit objectivement plus aisé de traverser les jours sur un air apathique, je préfère me regarder en face, même si quelquefois, ça me fait déraper, même si quelquefois, ça me fait pleurer. Je préfère avoir une notion tordue de la continuité espace-temps entre moi et moi plutôt que de pouvoir calculer froidement à quelle vitesse réelle les minutes se sont écoulées et, au final, avoir eu l'impression de survoler mon existence sans la vivre.

Je pense que je serai toujours un tantinet en déséquilibre, mais je choisi aujourd'hui, de le savoir plutôt que de faire semblant que je ne le suis pas.

Même, et surtout, si ça veut dire que je ne suis pas aussi inébranlable que ce que je voudrais bien laisser paraître.

Je crois que c'est ce qu'on appelle l'acceptation de soi.

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dimanche, octobre 25, 2015

Un bien triste sort

Trop souvent, il fait froid et il fait soif. Le danger est partout même là où je devrais me sentir en sécurité. Je n'ai aucun souvenir de la sécurité. Je suis trahie dans ma chair et aux yeux du Monde je n'ai pas de valeur parce que je suis née autochtone et que tout ce que j'ai appris dans la vie c'est le mépris grondant de ceux qui me regardent de haut.

Je suis meurtrie, lessivée par une existence qui n'a pas de sens. Que j'ai quinze ou quarante ans importe peu. Ce que je vis, personne ne le souhaiterait à ses pires ennemis et pourtant on me juge pour mes manquements. On me jette au visage que je suis laide, que je suis grosse, que je ne maîtrise aucune langue que je parle. Même pas ma langue maternelle parce que mes parents en ont étés privés dans les pensionnats autochtones qui ont sévit sur ce pays.

On m'a volé mes racines, attachée à une territoire d'où je ne peux pas sortir parce que l'éducation est une denrée rare dans ces contrées. Je ne connais aucune réserve où il y a une université ou un cégep. Il faut s'exiler, aller en ville où l'adaptation est difficile et la solitude aussi grande que le cœur que l'on porte en étendard muet.

Je me gèle pour oublier, je bois pour oublier. J'oublie pour boire et pour me geler. Des hommes me passent sur le corps et sur mon estime personnelle. Des hommes qui ont des femmes et des filles et qui se décarcasseraient pour elles si quelqu'un avait le mauvais goût de les traiter comme ils me traitent. Je ne suis pas une femme à leurs yeux, je suis une source de plaisir éphémère et rapide, juste assez bon marché pour que ça vaille la peine. Et ça, c'est quand ils me paient.

Pourtant, mes peuples sont de grands peuples. Ils ont foulés l'Amérique, avant qu'elle ne porte ce nom. Ces peuples ont des valeurs, de l'oralité à revendre, des traditions millénaires. Mais quand les Européens sont arrivés, ils n'avaient pas de poudre à canon et surtout aucune espèce de notion de territorialité.

J'ai mal à l'âme, mal à la peau. J'ai peur d'avoir des enfants qui répéteront le même schéma que moi. Pourtant, je sais que je pourrais aimer jusqu'à plus soif un être encore pur. Et aimer jusqu'à plus soif, dans mon cas, ça veut dire beaucoup.

J'aimerais pouvoir transmettre mes valeurs, l'histoire de ces Nations, presque oubliées, qui sont toujours vivantes. J'aimerais pouvoir dire que j'ai fais de quoi, n'importe quoi, pour changer la société qui m'a vue naître. Mais j'ai bien peur de ne pas y arriver. Il me manquait des armes. Il me manquait l'éducation, la compassion et l'ouverture pour réussir.

Je suis disparue sans que la société qui m'héberge ait levé le petit doigt pour me venir en aide. Je suis une statistique qui s'additionne à d'autres statistiques.

Je suis morte muette. La voix coupée par l'importance qu'on ne m'a jamais accordée.

Un bien triste sort.

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mercredi, octobre 21, 2015

Le pays de zombies

Tu sentais qu'on t'avais volé ta vie. Que tu n'étais que la somme de tes erreurs et de tes dettes. Tu croyais que les seules personnes qui auraient pu être en mesure de te comprendre étaient tes disparus, ceux qui étaient morts et ceux qui avaient quittés ton parcours pour quelque raison que ce soit.

Tes larmes coulaient à flot, à force de sanglots si profonds que rien n'arrivait à tarir. Tu passais ton temps à répéter les mêmes choses, sans jamais écouter tes interlocuteurs, tout en ayant l'impression que personne ne t'écoutait jamais.

Jamais est un temps infiniment long.

Pourtant, tu faisais l'effort de faire quelque chose tous les jours. Du ménage, des dessins, des montages. Tout pour oublier que la nuit ne te portait pas conseil et que le sommeil te fuyais irrémédiablement, sauf à la minute avant la sonnerie du réveil. Tu te rendais même au travail en automate, en multipliant les erreurs bêtes que tu n'avais jamais faites auparavant.

Tu étais convaincue de réussir à faire le vide dans ta tête, avant d'aller te coucher. Mais à toutes les nuits, ton hamster intérieur faisait tourner sa roue à toute vitesse en te montrant du doigt tous tes manquements, toutes tes faiblesses, toutes tes incapacités.

Tu ne voulais plus déranger personne. Tu te croyais inapte à demander de l'aide sociale parce que tu ne méritais pas cela. Dans ton discours c'était parce que c'était trop bas pour toi, dans ta tête c'était parce que tu croyais que la somme de tes déchéances faisait en sorte que tu t'approprier l'argent de tes concitoyens parce que tu ne méritais même pas ça. Évidemment, côté chômage, il en était encore moins question, culpabilité oblige.

Et puis un jour, un ami est venu de chercher par le chignon du cou. Il t'a assise dans ta voiture et t'a dit : « aujourd'hui, je vais t'amener au CLSC (ça existait dans ce temps-là), je n'ai pas beaucoup de temps mais je vais rester avec toi jusqu'à ce que quelqu'un te voit. » Et il l'a fait, serrant très fort ta main rétive pendant de longues minutes.

Tu t'es retrouvée devant un homme blond, échevelé, à l'air fatigué, mais empathique, qui a prononcé le mot dépression pour expliquer ce que tu avais. Il t'as dit qu'il ne pouvait pas poser de diagnostic, mais que ça y ressemblait beaucoup. Il t'a fait promettre de revenir la semaine d'après, à la même heure. Il t'a donné un paquet de numéros de téléphone qui pourrait t'être utiles que tu t'es empressée de perdre.

Bizarrement, en sortant de là, tu as décidé de marcher jusque chez toi, une belle grosse promenade de plus d'une heure, toi qui voyageais de peine et de misère de la chambre au salon depuis des mois. Et tu t'es sentie juste un peu moins lourde. Juste un peu.

Tu as pleuré ta vie, et la douleur de tes pieds qui n'étaient plus habitués à te véhiculer, toute la soirée. Et tu as fini par t'endormir solide autour d'une heure du mat, complètement épuisée. Tu as été la première surprise de te réveiller six heures plus tard, affalée tout croche sur le divan.

Et pour la première fois depuis des mois, tu voyais la lumière à l'orée du pays des zombies.

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dimanche, octobre 18, 2015

Aksanna

Ce matin-là, j'étais dans la mer, à me prélasser quand la troupe des animateurs de foule sont venu faire danser la salsa à tout ceux qui voulaient bien s'y mettre. J'étais assez loin de l'action, ce qui me convenait à merveille. Parmi les courageux qui se déhanchaient devant les yeux des autres plaisanciers, il y avait cette femme qui dansait, son verre à la main, aussi élégante que si elle avait été sur la piste de danse d'une boîte de nuit bien en vue, plutôt qu'en bikini sur une plage inégale. Elle dégageait quelque chose d'extraordinaire, mais je n'aurais su dire de ce dont il s'agissait.

Le lendemain matin, je cherchais quelqu'un à qui demander de me crémer le dos, parce que le soleil, sous ces latitudes, est impitoyable avec les peaux blanches des Québécoises fraîchement arrivées. C'est elle qui est venue à moi la première avec le même problème d'accessibilité. Nous avons parlé un peu. De près, elle était encore plus impressionnante. D'abord, elle était très grande et très bâtie. Pas musclée tant que cela, mais son ossature était imposante, disons. J'ai appris qu'elle restait quelque part dans l'Ouest Canadien, mais qu'elle était née et avait grandi en Yougoslavie. Elle avait quitté ce pays en 1990 avec sa famille.

Je ne savais pas quel âge elle avait exactement, probablement quelques années de plus que moi, mais pas tant que cela. Pourtant, elle s'adressait à moi, dans un anglais au phrasé impeccable, mais à l'accent incroyablement prononcé, comme si j'avais à peine vingt ans. Il y avait quelque chose d'affectueusement condescendant dans sa manière de me parler. Je me sentais un peu mal à l'aise, sans vraiment en comprendre la raison. Lorsque je lui avais demandé ce qu'elle faisait dans la vie elle m'avait répondu quelque chose à propos entrepreneuriat dans le domaine de la beauté et insistait sur le fait qu'elle était très, très riche. De plus, elle ne cessait de me répéter son numéro de chambre et de m'inciter à me joindre à elle et à une de ses amies qui était aussi présente sur le site. J'avais esquivé ses invitations. Assez adroitement, je crois.

Le site de l'hôtel où j'étais descendue était particulièrement petit, j'ai donc revu Aksanna très fréquemment. Le soir, elle me proposait continuellement un paquet d'activités à l'extérieur du site avec son amie et des gens vraiment cools, selon ses termes. Rien de ce qu'elle me proposait ne me faisait envie. J'étais-là pour me reposer et j'aimais bien mon horaire couche-tôt/lève-tôt qui me laissait profiter pleinement de toutes les journées.

J'étais innocemment en train de lire les grands-titres des journaux quand je l'ai revue. Je l'avais un peu oubliée depuis mon retour, fascination et malaises inclus. Ce matin-là son visage était dans très facilement reconnaissable sur la une d'un quotidien que je consulte de temps à autres. Un minuscule entrefilet qui parlait de l'arrestation d'un groupe de personnes qui faisaient la traite des femmes venues d'Europe de l'Est dans une ville de l'Ouest Canadien. Aksanna était la Madame de ce groupe.

Et je me suis dit que j'avais de l'instinct en titi, dans la vie.

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jeudi, octobre 15, 2015

Les couleuvres

Il y a une couleuvre qui se glisse parfois dans ton dos. Elle ne te tombe pas sur la tête comme d'aucun pourrait le croire, elle se faufile plutôt par le bas de ton dos et remonte lentement ta colonne vertébrale, produisant un frisson pas du tout agréable. Malgré tes vêtements, tu as la sensation que le reptile s'est directement logé sur ta peau qui devient de plus en plus moite, au fur et à mesure que la bête sinue lentement vers ta nuque.

Tu as l'impression d'évoluer dans une jungle absolument pas rassurante qui, non contente de produire son lot de couleuvres envahissantes, te jette des araignées poilues par la tête. Ça te révulse. À tous les coups, tu as l'envie pressante de t'ébrouer pour les faire tomber le plus rapidement possible, mais tu as appris avec le temps que ça ne sert à rien : les bêtes sont tenaces et restent accrochées à ta personne.

Quelquefois, tu les voies juste avant qu'elles ne te touchent et tu fais ces étranges saut de puce qui procurent à tes pas un tangage laissant croire que tu danses toute seule dans cette faune bigarrée. Toi, dont l'absence de souplesse est presque légendaire, tu fais presque le pont vers l'arrière pour éviter que ces choses arrivent à te frôler. Soudainement, tu es pratiquement capable de te plier vers l'avant assez pour toucher à tes orteils sans jamais plier les genoux parce que c'est tout ce que l'espace disponible te permet.

Il y a des jours où les bêtes sont tellement nombreuses que tu sens poindre la panique, la perte de contrôle. Les nerfs qui se mettent en boule d'eux-mêmes et mettent ta patience à rude épreuve. Tu voudrais te réfugier quelque part, loin de ces sensations désagréables, t'encabaner à double tour, mais tu sais pertinemment que dans cette jungle, pas un arbre ne t'offrira la pause à laquelle tu aspires si fort.

Tout ce que tu peux faire, c'est de prendre une grande respiration pour calmer ton cœur qui s'affole tout en tançant tes nerfs en leur disant (mentalement), que rien de tout ce que tu croises n'est vraiment dangereux pour toi. Il n'y a aucune bête vénéneuse dans le secteur et tu le sais très bien. N'empêche que sa bouscule tes insécurités et ton entité corporelle. Tu sais que tu auras beau récurer chaque parcelle de peau qui aura subit le poids des bibites désagréables qui auront jalonner ta journée, ta chair restera marquée des heures durant. Ça te draine aussi sûrement que si tu avais subit la saignée à tous les endroits où les corps étrangers s'étaient posés sur toi.

Parce que c'est ce dont il s'agit, en réalité. Tu ne vis pas vraiment dans une jungle, sinon la société. Les couleuvres et les araignées sont en fait les mains des quidams qui se posent sur toi au cours d'une conversation. Mais tu ne t'y habitueras jamais. Tu seras toujours rétive au toucher des gens que tu ne connais pas; ceux qui ne t'auront pas, au préalable, apprivoisée. Ça te heurtera toujours autant en te laissant démunie parce qu'en travaillant en service à la clientèle, tu sais parfaitement bien que tu ne peux pas hurler le : « Bas les pattes! » qui obstrue ta gorge.

Tu prends donc ton mal en patience, juste assez longtemps pour trouver l'oreille attentive de la seule personne que tu voies assez souvent à qui tu pourras dire : « j'ai servi un client qui a mis sa main sur mon bras » et qui comprendra par toutes les fibres de son être, exactement, ce que tu ressens.

Alors tu te diras qu'un tout petit peu de compréhension est au fond, un bien grand remède à la majrité des maux.

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dimanche, octobre 11, 2015

Tchou! Tchou!

Je suis prise dans le pain d'une famille de 7 enfants. Je ne le sais pas encore tout à fait, je n'ai que 4 ans. Dans mon univers, il y a une grande et un grand, moi et un bébé (plate parce qu'il ne parle pas encore) et une maman grosse comme l'univers, à mes yeux, parce qu'elle est enceinte.

Mon idole, c'est le grand, la grande est beaucoup trop grande pour moi. Mais le grand, il m'a laissée jouer avec lui souvent, sans doute parce qu'il n'avait pas d'autres compagnons de jeu, mais c'est une donnée que j'ignore à cet âge.

J'ai appris à lire et à écrire en le regardant faire ses devoirs et ses leçons. Je reproduisais avec application tout ce qu'il avait à faire. Un peu de biais, évidement, puisque je recopiais du cahier du grand plutôt que du tableau vert que je n'avais pas encore rencontré. Mais j'ai fait tous les exercices demandé, avec tout mon cœur, et ma maman était bien contente de me voir m'attabler pour faire mes lettres et mes chiffres pour le simple plaisir d'apprendre. Je m'étais trouvé une activité qui ne lui demandait pas beaucoup d'énergie. Entre les grands à éduquer et les plus petits à élever, mon comportement tenait de la bénédiction.

Ce qui fonctionnait moyennement, c'était le fait que j'étais toujours un an ou deux en avance sur les élèves de ma classe. Je n'avais donc aucun espèce d'intérêt sur ce que la maîtresse racontait à mes collègues, je le savais déjà. Mes leçons me laissaient froide, je préférais de loin celles du grand. Alors je passais invariablement pour la dissipée. C'était vrai, du reste, je n'avais aucun intérêt pour ce que je voyais en classe, je connaissais tout, les examens le prouvaient.

Il m'arrivait, par conséquent, de buissonner allègrement. À force de me faire réprimander par les religieuses, parce que je ne faisais pas les lettres de la manière indiquée, de faire des pâtées sur mes copies, j'étais souvent celle qui était donnée en contre exemple, l'année durant. Ce qui diminuait singulièrement mon intérêt, et surtout on sens de la justice. Je trouvais donc beaucoup plus intéressant de ramasser mes cliques et mes claques pour aller voir ailleurs, si j'y étais. Mais j'étais toujours sagement assise à ma place aux examens. Passant une année après l'autre, l'air de rien.

Je n'ai jamais été la première de classe, contrairement au reste de ma fratrie. Que ce soit à l'école, ou au catéchisme, je ne raflais pas tous les prix. Je m'étais éduqué toute seule. À force de curiosité d'envie d'émuler ceux qui me précédaient. J'avais pris le train vers l'avant : Tchou! Tchou! Alors tout le monde m'appelait « Toutou »

Je n'étais qu'une minuscule fillette qui voulait être appréciée pour ses talents. Je voulais qu'on m'aime, évidemment. Sauf que j'avais appris un peu tout croche. Encore aujourd'hui, je trouve mes lettres et mes chiffres mal définis sur le papier. Il me semble que tout ce que je sache faire soit une copie pleine de pâtés inélégants, même si tout un chacun considère qu'il soit aisé de me déchiffrer. Les complexes nés de l'enfance sont durs à déloger.

J'ai tenté de ne pas transmettre mes inquiétudes à mes enfants. Les laisser être des enfants, justement. Je pense que j'ai réussi, sauf peut être sur le plan de la calligraphie. Ce n'est pas tant que je sois intraitable à ce sujet, mais ils ont hérité de l'irrégularité de la mienne.

De nos jours, heureusement, il y a les ordinateurs et les lettrines formatées.

Une angoisse de moins...

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mercredi, octobre 07, 2015

Trois minutes et demie

Dans le café pas assez bondé pour l'occasion, on entendait un bébé pleurer. Il était encore un peu trop tôt pour que les habitués de l'événement soient arrivés. Sur la scène, un jeune homme préparait sa guitare. Une belle grosse guitare acoustique, assez grosse en tout cas pour pour presque le dissimuler entièrement s'il se pliait assez sur sa chaise. C'était sa toute première fois ailleurs que dans le salon parental. Il ne l'avait dit à personne de sa connaissance, la peur de se casser le coup ayant eu préséance sur l'envie de voir ce que ses proches pourraient en penser.

C'était le genre café des artistes dans lequel, une fois par mois, n'importe qui avait sa chance quelle que soit la forme d'art pratiquée. Dans les semaines précédentes, il avait assisté à toutes sortes de numéros. Musicaux, littéraires, poétiques, visuels. La première fois, il y était entré un par hasard, cherchant avant tout un moyen pour avoir du change pour prendre le bus sous une pluie battante. Et il s'était accroché les deux pieds dans le décor. Collé sur place, incapable de quitter par que chaque nouvelle présentation lui hurlait : « Toi aussi tu peux le faire ».

Il y était retourné le mois suivant, et l'autre d'après, laissant entrer et filer l'hiver au fil du temps. Ces expéditions étaient devenu son secret. Jalousement gardé. Qui se soucie, de toute manière, de la façon dont un adolescent de seize ou dix-sept ans occupe ses lundis soirs? C'était presque trop facile de faire comme ci il était là ou ailleurs, sans que ses proches ne sachent ce qu'il faisait vraiment. Et puis ces soirées étaient souvent passablement étranges, les artistes n'étant pas d'égal calibre. Quelquefois, c'était vraiment bon, d'autres horrible. La plupart du temps, la soirée s'écartelait entre les deux.

Certains étaient des habitué, comme cette fille qui chantait a cappella tout ce qui lui passait par la tête, sans jamais pousser une fausse note. Elle le faisait frémir de son audace. Et de son talent, il fallait bien l'admettre. Mais il y avait aussi cet espèce de poète maudit, qui se prenait très au sérieux avec son grand foulard et ses chemises étranges que pas grand monde n'écoutait vraiment, ni n'applaudissait d'ailleurs.

Ce soir-là, on en était presque à la fin de l'année scolaire, les soirées s'allongeaient sans bon sens, ce qui expliquait en partie pourquoi la foule était à ce point clairsemée. Il avait demandé à passer le premier, se disant que s'il se cassait la gueule bien comme il faut, il n'y aurait pas tant de témoins de sa déconfiture.

Lorsque l'animatrice eut terminé sa présentation d'ouverture, elle lui avait jeté un coup d’œil pour savoir sous quel nom le présenter et il avait choisi de ne pas répondre. Il avait fait danser ses doigts sur les cordes de sa guitare, lentement, jusqu'à oublier les gens autour de lui, et avait chanté sa toute petite composition de rien du tout. Pas une grande œuvre, mais la sienne.

La pièce terminée, il s'était gauchement relevé. Sous beaucoup plus d’acclamations que ce à quoi il s'attendait et avait laissé la scène au suivant. Très fier d'avoir pour une fois dans sa vie fait autre chose que ce que l'on attendait de lui. Pendant trois minutes et demie il n'avait été ni le fils, ni le frère ni l'ami de personne, mais simplement William.

Un nom commun, pour un gars qui venait de s'apercevoir qu'il n'avait de commun que le nom, au fond.

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dimanche, octobre 04, 2015

2-10-2015

Il y a des jours qui se réveillent de l'ordinaire et qui se couchent sur tellement de détails étranges qu'on croit, un peu à l'extraordinaire.

J'avais l'impression de courir après mon souffle pour arriver à faire mon boulot. Entre deux priorités, il me semblait que je n'arrivait qu'à me débattre bien inutilement dans l'air ambiant. Le temps passait trop vite pour ma seule tête qui se perdait un peu, de-ci, de-là. Vers le milieu de la soirée, je remplaçais la caissière pour sa pause quand une mère et ses enfants se sont avancés pour compléter leurs achats. Ils étaient arrivés depuis un moment déjà, je le savais. Et depuis, l'aînée demandait les toilettes. Je leur avait expliquer où elles se trouvaient, mais la mère n'avait pas voulu que sa fille s'y rende seule, du haut de ce que je supposais être ses huit ans.

La transaction avait à peine commencé que la petite se mis à hurler de désespoir : « Maman! Je t'avais dis que j'avais une urgence et là, je me pisse dessus! ». Heureusement pour l'enfant, il n'y avait que peu de témoins, seulement sa famille, moi et une autre employée. Mais elle vivait un drame, évidement. Personne n'a rit, personne ne l'a regardée de haut, son malheur nous apparaissait dans toute sa grandeur. Je n'osais pas lui adresser la parole, l'employée présente non plus. Sans faire celles qui ne s'apercevaient de rien, nous avons toutes deux jugé que nous n'avions absolument pas les compétence pour intervenir.

C'était un vendredi soir d'octobre où les clients traînent un peu trop longtemps dans les magasins, peu désireux de ressortir dans le vent qui commence à mordre les chairs. La fermeture du magasin a pris plus de temps qu'à l'habitude. Les autobus de soir étant ce qu'ils sont je suis arrivée sur la ligne verte autour de 22h30 et là, coup de bol, je suis entrée dans un wagon occupé par une bande de fêtards. Ou plutôt par un homme tellement ivre qu'il me faisait peur. Ses compagnons (hommes et femmes) disaient à tous ceux qui mettaient un pied dans cet environnement puant le fond de tonne : « surtout, ne lui parlez pas! » Personnellement, je n'avais aucune envie de lier connaissance avec le personnage, j'ai donc traversé les bancs pour me réfugier le plus loin possible de la bande.

Malgré la distance, l'odeur d'alcool persistait autour de moi et, à l'instar de tous les autres passagers, j'ai su que l'homme fêtait son quarantième anniversaire et que c'était la raison de son état. Ses amis avaient l'air de croire que c'était à peu près normal de s'imbiber à ce point pour une telle occasion. Et je dirai, à leur décharge, que le reste du groupe était passablement plus sobre et qu'il tentait tant bien que mal de gérer leur encombrant compagnon.

Je suis sortie dans la froidure de la rue Sainte-Catherine, soulagée de respirer l'air beaucoup plus pur de la pollution montréalaise.

J'avais vécu deux histoires qui mettent en scène des personnages qui vivaient des situations passablement humiliantes.

Mais c'est l'enfant qui se souviendra longtemps de ce moment affreux. L'homme aura sans doute tout oublié à son réveil.

Triste constat, je trouve.

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jeudi, octobre 01, 2015

Les assassins de l'intérieur

Lorsque mon téléphone m'a envoyé une alerte m'annonçant une nouvelle tuerie dans une école aux États-Unis, je n'ai pu retenir un « merde » venu du fond du cœur. Et j'ai ironiquement pensé qu'on en parlerait plus la semaine prochaine parce que ces assauts sont devenus tellement usités qu'ils seront rapidement balayé par une nouvelle plus importante. Peut-être même par une autre tuerie.

Je ne comprends pas comment on peut encore défendre le droit de porter une arme sur soit en plein jour au nom d'un droit constitutionnel et surtout comment on fait pour affirmer que si tout le monde avait été décemment armé, ce ne serait pas produit. Je n'y crois pas du tout. Il arrive souvent que les tireurs qui se jettent sur une foule soient morts avant la fin du jour. De leurs propres mains ou de celles d'autrui; ce n'est certainement pas la possibilité d'une mort imminente qui les arrêtera.

Je ne sais pas, je parle sans doute à travers mon chapeau, mais il me semble que les commentateurs Américains font un grand battage des tueries perpétrées par des étrangers sur leurs terres, mais oublient vite celles de la chair de leur chair. Il me semble entendre parler encore régulièrement des frères Tsarnaev ou du 11 septembre, mais de loin en loin de tous ces autres sujets où le sang d'innocents a été versé au nom de manques de repères ou de reconnaissance sociale. Il me semble qu'on essaie trop souvent d'oublier ces assassins de l'intérieur.

Je me rappelle de Polytechnique, comme si ça c'était déroulé hier. Les émotions, qui m'habitaient, l'incompréhension devant cette horreur. D'avoir compris ce jour-là le sens du mot féminisme et d'y avoir adhéré illico pour ne plus jamais le laisser me quitter. Je me rappelle aussi de Concordia, et là encore de n'y avoir rien compris. Pendant des années, j'ai cru que nous avions collectivement œuvré à nous sortir de cette forme de violence absurde. J'ai suivi avec intérêt les démarches pour faire créer un registre des armes d'épaules et été particulièrement fière lorsqu'il a été adopté. Il va sans dire que j'ai été amèrement déçue lorsqu'il a été détruit. Un grand pas en arrière, selon moi.
 
Et puis, il y a eu Dawson. Une seule mort, si l'on exclut le tireur. Mais des victimes en masse. Parce que ce n'est pas parce que l'on ne tombe pas sous les balles de ce genre de boucherie qu'on n'en est pas moins traumatisé à vie.

Je ne comprendrai jamais ce désir de vengeance. Cette volonté de prouver qu'on vaut mieux que ce que d'autres auraient dit de soi en pointant une arme à feu pour démontrer sa propre virilité. Je sais ce que sais que d'être ostracisée par mes pairs, j'ai été intimidée.

Mais je choisi de me battre à coups de mot et d'intelligence plutôt qu'à coups de feu. Pas mal moins viril, sans doute, mais beaucoup plus efficace, à long terme.

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