dimanche, janvier 31, 2016

Pain perdu

J'étais à Montréal pour mon anniversaire, je crois. C'était un de ces matins lors desquels le printemps se prend pour l'été. La porte de la cuisine était grande ouverte laissant passer une lumière claire et pimpante. Une odeur de café frais embaumait la pièce tandis que les chats passaient du vaste balcon à l'intérieur, paresseusement, incertains de l'endroit où s'installer puisque les humains n'avaient pas encore très clairement établi leurs pénates.

Devant moi, une adolescente dégingandée, s'affairait autour des fourneaux. D'une main experte, elle mélangeait les ingrédients en me babillant allègrement. À moins qu'elle ne se fût contentée de m'écouter, ce qui était fort probable. Ses yeux pétillaient vivement pendant qu'elle effectuait sa besogne avec cœur et bonne humeur.

J'avais l'impression que le temps se suspendait au temps. C'était l'année qui avait suivi la Séparation. S'il y avait quelque chose de familier dans le décors, dans la manière dont la pièce avait été aménagée, cette pièce de faisait en aucun cas partie de mes souvenirs. Je m'y sentais pourtant à l'aise, sans doute parce que je reconnaissais, entre les lignes, la signature maternelle.

J'avais beau tenter de me concentrer sur ce que je vivais, je ne pouvais m'empêcher voir des images surannées se superposer au décor : Un bébé tout fripé, d'une couleur indéfinissable, qu'on me présentait pour la première fois; une toute petite fille lovée dans les bras de Maman, deux doigts dans la bouche lors d'une fête où les clowns lui faisaient peur, ses grands yeux bleus de pluie dans un visage trop blême ou encore une enfant pimpante qui chantait les paroles des chansons en anglais qui jouaient souvent dans ma chambre (elle en maîtrisait les paroles mieux que moi) sur le chemin d'une course quelconque.

On se voit rarement vieillir, les jours qui passent, l'année de plus que l'on ajoute au chiffre abstrait que l'on donne à la question : « quel âge as-tu? » Ce jour-là, je me suis sentie prendre de l'âge parce que ma petite sœur me faisait un déjeuner, du pain doré pour être précise. Elle n'avait plus besoin de moi pour être plus grande qu'elle, cette époque de nos vies était révolue.

Depuis, j'ai un peu le sentiment qu'elle m'a volé mon petit déjeuner préféré, parce que je suis incapable d'en manger sans revoir cette scène en boucle. Et je pense alors à elle toute la journée. À tous les coups, j'ai envie de lui écrire : « j'ai mangé du pain doré ce matin » en espérant qu'elle comprenne le sous-entendu de l'anecdote que je ne lui ai jamais raconté.

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mercredi, janvier 27, 2016

On cause pour la cause

J'ai été une enfant et une adolescente joyeuse, je crois. Ma mère m'a déjà raconté que je riais toute petite dans mon berceau, petite Mathilde déjà en quête d'une certaine reconnaissance. Avant l'adolescence, il ne m'était jamais passé par l'esprit de me trouvé autrement que jolie. Pas belle nécessairement, mais jolie, au moins.

Puis j'ai eu des amies qui trouvaient abominable que je ne me me décrive pas comme pleine d'imperfections et qui ont mis le doigt sur celles qu'elles me voyaient. Et j'y ai cru. Petites mesquineries rien que normales qui ont porté leur fruits jusqu'à ce que je sois convaincue de leur véracité. C'est une histoire banale, à travers laquelle beaucoup de filles passent.

J'étais romantique, complètement et irrémédiablement. Je m'engageais dans l'existence à coups de gueule et de butoir. À coups d'idéaux aussi. Je rêvais d'amour en lettres majuscules. Je rêvais de ces amours impossibles qui durent toute une vie après un seul regard, de celles qui font souffrir, parce que je ne savais pas mesurer autrement un sentiment, mais qui paradoxalement réparent et permettent à une famille d'y naître.

Évidemment, cette vison de l'amour, complètement déglinguée, ne m'aura poussée qu'à me mettre en déséquilibre. Profondément en déséquilibre. Attirée, à vingt ans à peine, par la spirale tenace de ma propre lourdeur, parce que l'homme qui partageait ma vie ne me choisissait pas toujours avant de se choisir lui. En fait, il ne nous choisissait pas souvent et moi encore moins. Déjà après, une première rupture amoureuse, je regardais l'orée fascinante de ce que j'appellerais, plus tard, le pays des zombies.

Ce n'est que dix ans plus tard que j'ai fini par y sombrer. Avec tout mon essence passionnée. Je me suis un jour retrouvée toute seule dans un marécage gluant dont je ne percevais plus le fond. Il m'était facile de me convaincre que je ne valait pas la peine de rien, j'étais sans diplôme, sans métier, sans argent. J'avais grossis aussi, beaucoup et je ne m'étais pas habituée à ma silhouette épaissie. Je ne me voyais que comme la somme de mes dettes et de mes manquements.

Plus encore, comme j'ai la mémoire aiguisée, j'avais la certitude que les seuls souvenirs que j'avais pu laisser dans mon sillages étaient ceux des erreurs, des mots mal avisés que j'avais pu, un jour ou l'autre prononcer. Parce que je me souvenais avec vivacité de tous ceux-là, en écartant du revers de la main, tout ce que j'avais pu faire, ou être de bien.

La remontée fut longue et ardue. Un chemin parsemé d'embûches. Accompagnée, tout du long par le magnétisme constant de la zone que je tentais de quitter. Portant en moi, désormais, une conscience lancinante de ma fragilité, du fait que je ne suis pas une héroïne indomptable et qu'il me faille m'avouer que j'ai parfois besoin d'être seule, régulièrement besoin d'aide, à différents degrés, et souvent besoin d'écrire.

Aujourd'hui, on cause pour la cause et si mon cas pouvait, ne serait qu'être un hameçon pour quelqu'un qui ne croit plus en soi, les longues années que j'ai pris à me reconstruire en auront largement valut la peine.


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dimanche, janvier 24, 2016

Le clan

Nous sommes six. Je nous ai maintes fois décrites ici. Parce qu'on s'aime, parce le groupe que nous formons me touche profondément. Entre nous, aucun sujet n'est tabou. Aucun, vraiment. Les silences sont dus au fait que nous sommes assez nombreuses pour que les discussions partent dans toutes les directions tout le temps, que nous sommes toutes curieuses des autres et avides d'écouter. Même moi, la grande gueule, il me semble que ça me prendrait une rencontre toutes les semaines pour recommencer à parler de moi, juste parce que j'ai envie d'entendre leur vie, à elles.

Ça faisait un mois qu'on s'était donné rendez-vous. L'heure, la date le lieu, avaient été rapidement fixés. Ce qui nous surprend toujours étant donné que ce n'est pas censé être si simple de rameuter des gens menant des existences à ce point différentes, aux azimuts de la métropole en en région. Sauf que la loi de Murphy nous guette et que si l'organisation est aisée, il est évident que la réalisation sera plus accidentée, mettons.

Pour commencer, l'endroit où l'on voulait aller était beaucoup trop plein pour qu'on puisse même imaginer y poser un orteil. On s'est donc rabattues sur un endroit qui était très populaire quand nous travaillions dans le secteur, mais qui visiblement est sur ses derniers milles. Nous en étions les seules convives, un samedi soir. Ce qui n'a absolument rien changé au plaisir que nous avons eu ensemble. Avec ces moments magiques, la bonne question posée à la bonne interlocutrice qui nous a fait voir un brin de cicatrice, un brin d'humanité. Et nous étions toutes, à moments interposée, intervieweuse et l'interviewée.

À un certain moment, nous avons évoqués mes récents voyages dans le Sud et il est devenu évident que mon échappatoire pouvait allumer pour elles aussi quelque chose comme un oasis dans les minutes compressées de leurs obligations.

Et il y a eu mon pied droit. Je me suis étiré le dessous du pied en rentrant à la maison vendredi soir. Bien étiré. Assez pour que la plante en soit enflée et d'une couleur bleuâtre qui en indique tout l'inconfort. Ce qui est un euphémisme patent. Penser à poursuivre la soirée, ailleurs, en sachant que je devrais travailler sur ledit appendice aujourd'hui m'étais impossible.

Alors j'ai été raccompagnée à ma porte, parce que je ne pouvais en supporter davantage, et je me sentais cheap de ne pas avoir pu aller au bout de la soirée. Évidemment qu'elles n'en m'en tiennent pas rigueur, c'est seulement moi qui me sent tout croche ne ne pas avoir eu la forme. Après tout, je partais invariablement parmi les dernières, autrefois.

Au matin, j'ai vu que la discussion sur les escapades soleil semblait s'enligner sur une date en 2017. Bon. Mais il y avait aussi tous ces plans sur la comète pour nous déménager en bloc quelque part à distance pédestre les uns des autres pour que nos rencontres se fassent plus régulières.

Dans la réalité, nous avons réussi à nous trouver une date pour une soirée à l'opéra en mars, avec une invitée supplémentaire. Ce qui est déjà pas mal.

Si jamais vous entendez dire que j'ai déménager à Saint-Meu-Meu et que je suis heureuse dans tous les aspect de ma vie, ce sera sans doute parce qu'avec ce clan, on aura réussi un de nos plans.

C'est une famille créée de toute pièce, et ce qu'il y a de plus merveilleux avec elle, c'est que c'est tout sauf exclusif.

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mercredi, janvier 20, 2016

Le calorifère

À l'époque de notre première rencontre, tu m'avais dit que tu ne voulais plus jamais vivre une relation dans laquelle tu avais l'impression d'être attaché après un calorifère. J'avais tout de suite compris l'image et j'y avait adhéré de bon cœur.

Le problème c'est qu'il existait une différence entre ce que tu me demandais et la manière dont tu agissais. Plus le temps passait, plus j'avais l'impression que mes moindres faits et gestes étaient épiés, si je ne passais pas tout mon temps à des côtés. Mes degrés de liberté diminuaient de jour en jour tandis que peine et incompréhension gonflaient au même rythme.

Les règles n'étaient visiblement pas les mêmes pour tous. Je devais accepter les rencontres professionnelles qui te faisaient rentrer tard et aussi de céder la place à la famille que tu avais commencé avant d'avoir fait ma connaissance. Ça me paraissait naturel et j'en comprenais la nécessité. Ce que je ne saisissais pas, par ailleurs c'étaient les questionnement incessants sur mes activités pendant tes absences. Mon engagement, mon amour ne te suffisaient pas. Je crois que j'aurais dû me languir, seule chez-moi, pendant que tu vivais une vie normale.

Mais je n'ai jamais été faite de cette étoffe. C'était d'ailleurs une des choses qui t'avaient tellement charmé au tout début. Tu me disais souvent que tu admirais mon indépendance d'esprit, cette faculté que j'avais de m'occuper de ma petite personne et des gens qui m'entouraient. Tu me disais que tu vénérais ma droiture, la fidélité inéluctable dont je faisais preuve en toute occasion.

Alors pourquoi ne me croyais-tu pas? Certes il arrivait que d'autres hommes me fassent de l’œil, me laissent savoir qu'ils me trouvaient séduisante, sauf qu'ils ne m'intéressaient pas. Je t'avais choisis et, à mon sens, cela aurait dû te suffire. Que je me sente flattée par l'attention d'autrui n'était que normal, après tout un compliment est invariablement plus agréable qu'une insulte.

À la fin, j'avais le sentiment que mes mots devenaient tes maux. Quels qu'ils soient. La remarque la plus anodine faisait surgir la jalousie. Et rien de ce que je pouvais dire ne semblait percer la muraille de tes doutes. T'étais-tu seulement demandé, ne serait-ce qu'une seule fois, si ta vision de moi n'était pas un tantinet idéalisée? Ce que tu éprouvais pour moi, peu d'autres hommes pouvaient le ressentir. Il y a une marche immense entre trouver quelqu'un séduisant et en être amoureux.

Même si on s'était mariés, même si tu m'avais fait une flopée d'enfants, la situation n'aurait pas changée. Je ne me serais jamais laisser enchaîner dans un amour, aussi beau soit-il lorsqu'il n'y avait que toi et moi qui comptions dans la balance.

J'avais fini par te tromper, pour te donner raison et avoir une bonne excuse pour te quitter.

Ce que je fis.

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dimanche, janvier 17, 2016

Une femme d'honneur

Je m'étais rendue à son bureau, armée de toute la mauvaise foi dont je suis capable. Ça ne me tentait pas, je n'allais pas l'aimer, nous n'allions pas nous entendre. C'était écrit dans le ciel.

Évidemment, j'ai eu tort. Elle avait je ne sais quoi qui m'avait immédiatement mise en confiance. Malgré le fait que je devais me taper des heures de transport en commun pour m'y rendre, une seule rencontre m'y avait résolue. Elle avait su mettre le doigt sur mes travers professionnels en même pas un mois. Sans m'en accuser, elle me m'avait simplement pointé ce que je faisais qui ne m'aidait pas. Des choix de mots, de phrases qui, l'air de rien, me rendaient vulnérable à la critique collective des employés dont j'avais la charge.

J'ai eu le sentiment d'éclore, sans toutefois réussir à atteindre sa main de fer dans le providentiel gant de velours. Elle avait ce sens de ce qui allait fonctionner ou non, qui me laissait sans voix. Un sens aigu des nuances, aussi. Ce qui n'était pas toujours ma qualité principale, ni à ce moment ni aujourd'hui. Elle avait tôt fait de déceler mon sens de l'exagération et du drame, malgré le fait que je ne sois plus la Drama Queen de mon adolescence.

Après toutes ces années de collaboration, il m'arrive encore de débarquer dans l'encadrement de sa porte, toute en émotions, alors elle lève son regard bleu sur moi tandis que j'y lis une infinie patience et beaucoup d'humanité. Comme pour me laisser le temps de m'apercevoir toute seule que la situation n'est somme toute, pas si grave et que j'ai tout ce qu'il faut pour y remédier par moi, même. Juste en prenant un certain recul. Bien souvent, le simple fait d'exprimer mes doutes et mes angoisses, un peu n'importe comment, me donne l'occasion idéale pour avoir une vue d'ensemble sur ce que je suis en train de vivre.

J'ai trouvé en cette interlocutrice, une personne à l'humour aiguisé et fin. Qui a rapidement décrété qu'elle divisait tout ce que je disais par trois, afin d'avoir une idée plus juste de la situation. Alors, lorsqu'il m'arrive de lui donner du premier coup l'heure juste, sans aucune espèce de fioriture, j'ai appris à appuyer mes dires de chiffres, de tableaux, d'analyses pour contourner le piège que je m'étais tendue sans l'aide de personne. J'ai eu à me rendre à l'évidence que de travailler sur nos menus défauts nous amène beaucoup plus régulièrement qu'on veut bien l'admettre, à se dépasser.

Je crois que la plus grande leçon que j'aurai apprise à ses côtés c'est qu'il est toujours préférable de mettre de côté les jugements fabriqués d'avance, de parer la réflexion de nuances et surtout de ne pas agir sur des coups de têtes. Ce qui, dans mon cas, est tout un défi.

C'est une femme généreuse qui laisse les gens déployer leurs ailes et grandir sans jamais en prendre ombrage et qui possède une acuité indéniable dans sa perception des gens.

C'est une femme d'honneur, en vérité.

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mercredi, janvier 13, 2016

Fée des étoiles

Quand j'étais ado, en secondaire deux ou trois, je ne me rappelle plus très bien, j'avais trouvé une job de gardiennage sur le chemin de l'école. Elle consistait à aller chercher deux bambins, à pieds, à la garderie, de les ramener chez-eux et d'attendre le retour de la maman en les faisant souper. Elle n'arrivait jamais bien tard. Il me semble que c'était au printemps. J'imagine aujourd'hui qu'elle avait un cours d'été dont l'horaire ne lui aurait pas permis à temps d'aller reprendre ses enfants. Elle était monoparentale, je ne sais même pas si ses enfants avaient le même père. Je n'ai pas le souvenir de lui avoir même posé la question.

La fillette, avait dans les trois ans. Elle parlait et dessinait beaucoup. Il ne m'avait pas fallut beaucoup de temps pour faire sa conquête, un sourire, une petite blague, un coup de crayon sur le cahier qu'elle avait ouvert devant elle et l'affaire avait été conclue. Avec le petit garçon, c'était une autre histoire. Il avait autour d'un an et, bien entendu, ne parlait ni ne marchait. Il pleurait beaucoup. J'ai parcouru des kilomètres entre sa chambre et le salon en lui chantant des berceuses pour calmer ses colères. J'avais mis beaucoup de temps à me faire apprécier. D'une visite à l'autre, tout était toujours à recommencer. Ce que je trouvais difficile, c'était que je négligeais, forcément la plus grande. Elle ne semblait pourtant pas y prendre ombrage, elle me suivait en pépiant joyeusement dans mon sillage, comme si la situation était normale.

Lorsque la maman arrivait, vers les vingt heures, les deux enfants dormaient à poings fermés. Elle me demandait toujours comment cela avait été d'un air distrait et je répondais invariablement que tout avait été sous contrôle, même si ce n'était pas vraiment le cas. L'essentiel de ma mission, après tout, était de les ramener à bon port, de les nourrir et de les coucher, ce que je réussissais à tous les coups. Cette femme avait un charme nonchalant qui m'impressionnait beaucoup, je la trouvais forte comme un roc. Gentille aussi. J'aimais bien rester quelques minutes de plus avec elle avant de reprendre mes choses et me diriger vers la maison. Il me semblait qu'elle était une espèce de fée tombée par accident dans mon univers

Une fois, seulement, je suis allée garder pour une longue soirée. Elle allait voir David Bowie. Je n'avais aucune espèce d'idée de qui c'était ce mec-là avant ce jour. En fait, je savais de visu c'était qui, sans toutefois connaître son œuvre, sinon le film Labyrinthe qui faisait encore beaucoup parler, à l'époque. Mais pour elle c'était le bout du bout. Elle était extatique. Cette fois-là, elle était rentrée très tard. Toute brouillée et accompagnée. Avec le recul, je comprends qu'elle était sans doute un peu stone, ou un peu pompette. Les deux peut-être. Je l'avais trouvé absolument séduisante avec ses yeux qui brillaient de tous leurs feux et le désir qui couvait, mais que je n'identifiais pas pour ce que c'était.

Ça fait près de trente ans. Presque autant d'années sans que j'ai consacré ne serait-ce qu'une pensée à cette femme. Comme si la mort de l'homme faisait ressurgir la fée, des étoiles.

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dimanche, janvier 10, 2016

En déconfitures

Il y a des automnes en déconfitures qui se concluent sur des hivers du même acabit.

Je connais des femmes qui ont la témérité de s'engager de nouveau, après des histoires d'amour qui les avaient laissées sur le difficile carreau des meurtries, mais qui, contrairement à moi, ont eu assez de courage pour se laisser aller encore à faire confiance jusqu'à se défaire d'une part de leur cœur, ce que je ne semble plus être apte à faire, depuis quelque chose comme quinze ans.

Je les ai regardé fréquenter les sites de rencontres et autres machins du même genre, un peu septique, un peu envieuse, me faisant croire que je suis trop grosse, trop laide, trop vieille pour rencontrer une personne qui voudrait partager, avec moi, la moitié d'elle-même.

Je les ai vues se donner entièrement parce qu'elles avaient envie d'aller aussi loin que possible, à coup d'audaces, de gestes qui en disaient plus que les mots. Des gestes qui étaient, en réalité, des déclarations claires d'intentions et de sentiments, plongeant à émotions défendues dans les vides sidéral du rejet potentiel. Qui est ma peur, probablement pas la leur.

Je connais des femmes qui se sont vues foudroyer par la mort d'un parent, mais qui auront continué vaille que vaille à se battre, à se définir, à se devenir, à coup de gueule comme de coude. Des femmes qui m'auront confié que cette situation était un peu prévisible, étant donné de la vie et de la personnalité dudit parent, mais qui n'avaient aucun moyen de prémunir devant la mort de l'autre parent qui aura tiré sa révérence aussi rapidement que subitement. Être orpheline avant d'avoir quarante ans est un tribut trop lourd à payer à l'existence, selon moi, et pourtant, ces femmes sont toujours capables de rire, de sourire et d'argumenter sur les sujets qui leur importent.

Je sais des femmes, meurtries jusqu'à la moelle, qui pourraient se lover autour de leur douleur autant personnelle que sans issue et qui pourtant, un jour après l'autre, pour leurs enfants, leurs parents, leur dignité, se sont, malgré tout levées jour après jour, armées de leur seule personnalité et de l'amour incommensurable qu'elles portent, et de leurs idéaux, aussi.

Je connais des femmes qui sont restées droites et fières dans le flot des larmes qui accompagnent les ruptures qu'elles n'avaient ni vues venir, ni préméditées et encore moins escomptées.

Ce soir, je voudrais leur dire que je les admire, et surtout que je les aime, pour ce qu'elles sont, très exactement.

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mercredi, janvier 06, 2016

Un certain port de tête

Lorsqu'elle a fait son entrée dans ma vie, je revenais de vacances. Comme cela m'arrive bien souvent à ces moments précis, je me sentais complètement débordée, en retard sur tout. Cette sensation était accentuée par le fait que cette jeune personne faisait son entrée dans notre équipe de gestion et que, bien normalement, elle ne savait pas encore faire les tâches qui lui étaient dévolues et que le reste de l'équipe devait prendre une partie de la formation en charge, en fonction de nos aptitudes naturelles.

C'était une personne réservée, timide même. Mon bulldozer naturel était au antipodes de sa personnalité. Je craignais un peu de l'écraser sans trop m'en apercevoir, après tout, cela m'était souvent arrivé par le passé. Quelques fois, par ailleurs, ces personnalités cachent une force aussi tranquille que profonde, ce qui est son cas.

J'avais tôt fait de remarquer qu'elle avait ce port de tête particulier des filles qui ont fait de la danse classique assez longtemps pour que pour que les mouvements naturels les plus minimes en gardent une certaine rémanence. Un jour qu'elle portait une toque, je lui avais demandé si j'avais vu juste et je crois bien que ce fut ma première incartade dans sa muraille toute personnelle.

Avec le temps, elle s'est avérée un formidable public à mes niaiseries. Le nombre de fois où je me suis suis affalée sur la chaise devant son bureau en lui annonçant que j'avais une sottise à dire et qu'elle se soit mise à rire avant même que j'ai pu débuter mon histoire est trop grand pour que j'ai pu en faire le compte. Ces petits riens du quotidien d'un gestionnaire en commerce de détails dont il faut rire si on ne veut pas en pleurer. Ma façon de contourner les difficultés, les rationaliser pour ne pas me laisser happer par elles.

Au printemps dernier, elle nous annoncé qu'elle était enceinte. J'étais ravie. Je l'ai déjà dit dans ces pages, j'ai pensé longtemps que j'aurais une panoplie d'enfants. Ça ne m'est pas arrivé alors j'ai pris un plaisir immense à suivre la grossesse de cette collègue, au quotidien. Si j ne lui ai pas posé cent questions sur le développement de son enfant, je ne lui en ai posé aucune. Je devais même en être tannante par moments. En tout cas, elle savait que je m'y intéressais.

Elle a traversé tout le mois de décembre, et sa folie furieuse, sans se plaindre une seule fois. Elle m'a même solidement aidée en formant des employés quand je n'avais plus le temps de le faire, et même avant que j'en sois rendue-là. Malgré la lourdeur de sa silhouette, ses membres ankylosés, elle est venue travailler tous les jours, en souriant. Je ne l'en ai admiré que davantage.

Mais voilà que le temps file à une vitesse retentissante et que son congé de maternité débutera vendredi. Elle me manquera; qui est-ce que je pourrai désormais appeler « grosse madame » en étant certaine de la faire rire? Personne, c'est certain.

Mais je penserai à elle souvent, à elle et à cet enfant à naître qui, je l'espère me sera présenté plus tôt que tard pour qu'en 2016 je puisse catiner deux fois plus qu'en 2015.

Non, je ne serai pas mère, mais il est clair et limpide que je serai toujours maternelle.

Bonne chance mon amie, dans ta nouvelle vie.

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samedi, janvier 02, 2016

Langue de vipère

Je m'étais laissée tombée sur le premier banc disponible, sans prendre garde à qui se trouvait autour de moi. Se faisant, j'avais levé les yeux pour croiser ceux, très noirs, d'une femme que j'aurais préféré ne jamais revoir. Nous ne nous étions rien dit, cet échange muet était plus éloquent que n'importe quelle suite de mots. Elle savait et je savais.

J'avais connu cette femme quelques années plus tôt. Nos chemins ne s'étaient pas croisés très longtemps, juste assez cependant pour qu'elle puisse instiller son venin dans mon existence. Quand elle avait débarquée dans mon entourage, fièrement perchée au bras d'un beau garçon de ma connaissance, elle m'avait fait une impression mitigée. Je n'en n'avais rien montré et j'avais tenté, autant que faire se pouvait, de l'accueillir dans notre cercle. J'étais la seule femme permanente de cette drôle d'unité. La seule qui n'y ait pas mis les pieds parce que j'avais été, un jour ou l'autre, l'amoureuse d'un des garçons.

Avec les années, il m'était arrivé bien souvent d'avoir de drôles de rapports avec les femmes qui se joignaient à nous. Mais j'avais toujours fini par apprivoiser les filles, leur faire comprendre que je n'avais aucune envie de courtiser leur amoureux et que l'inverse était tout aussi vrai. Ma place était ailleurs. Souvent celle de l'amie qui restait après la rupture, présence pas si souvent fréquentée, mais dont la pérénité à travers le temps faisait en sorte que d'une fois à l'autre, je pouvais additionner les bouts d'eux-mêmes et les aider à se reconstruire.

Mais lorsque la petite beauté aux yeux noirs était arrivée, il m'avait semblé qu'il y avait quelque chose de malsain avec celle-ci. Je ne savais pas quoi exactement. Elle est repartie au bout de quelques mois, laissant l'ami dans une mare de questions sans réponses. Plus rétif qu'avant elle. Plus sauvage aussi. Il nous aura fallut des années pour le ramener vers nous, pour regagner sa confiance. Comme si nous l'avions trahi.

La petite peste à la langue de vipère était de cette engeance qui distillait du poison autour de l'être aimé semant le doute dans toutes ses certitudes. Ce qu'elle ne contrôlait pas, elle le méprisait. Un groupe d'amis tissé serré, revêtait à ses yeux, je le supposais, une source potentielle de discorde. Alors elle avait semé les graines de la rupture absolue entre lui et nous. En ce qui me concernait, plus précisément. J'étais devenue une envieuse arriviste. Les années d'amitié n'ayant aucun poids dans la balance. Aux yeux de cet ancien ami, j'étais devenue, méchante et mesquine, ce qui ne me ressemblait pas.

Ça ne faisait pas très longtemps qu'il avait admis la manipulation. Il lui avait fallu piétiner son orgueil pour finir par m'écrire qu'il avait laisser un amour d'une demie année faire table rase sur des relations qui lui avaient été, jusqu'alors, nourrissantes. Si le ponts avaient été durablement brisés, nous caressions l'espoir qu'ils soient en train de se reconstruire.

En la voyant ce jour-là, j'avais eu envie de lui cracher au visage et surtout de dire à l'homme qui la regardait amoureusement de se pousser au plus sacrant.

Je n'en avais rien fait. J'avais plutôt épié sa conversation en me disant qu'elle n'était, somme toute, qu'une toute petite vipère, qui n'attendait qu'un bon coup de talon pour être anéantie.

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