On m'a accordé une
petite liberté et je me demande bien ce que je pourrais en faire.
J'ai plusieurs options,
plusieurs directions à prendre, potentiellement. Par-là, il y a mon
grand ami blond. Sauf qu'il n'a pas le droit de bouger de son coin,
pour le moment. Ce qui fait que ce serait un peu plus plate que
d'habitude si j'allais le voir. Ce n'est donc pas une option très
tentante.
Par ici, il y a le petit
garçon qui sourit. Il est drôle lui, il fait toujours les mêmes
choses que moi, si je bouge la jambe droite (ce que je fais presque
toujours), il le fait, si je tend la main, il le fait, si je ris, il
rit mais quand j'essaie de le toucher, il disparaît complètement
derrière ma main. Je ne comprend pas très bien comment il fait pour
se cacher tout entier dans ma main, sauf que je vois bien que c'est
ce qui se passe. J'essaie de mon mieux de ne pas le faire disparaître
et je reste quelque temps fasciné à le voir disparaître et
réapparaître.
Puis, je me dis que je
pourrais prendre une autre direction, ce que je fais, mais à toutes
les fois où je pars vers ce là-bas, je reviens systématiquement à
la case départ. Ce n'est pas de mon fait : c'est le sol qui
glisse sous-moi et me ramène d'où je suis parti. Je ne trouve pas
ça très rigolo. Il me faut donc, encore une fois, changer mes
plans. Soupir, gros soupir.
Je regarde autour de moi
et je me dis que je pourrais bien aller chercher mon livre, ça c'est
un bon plan. Je le fais et je me plonge dans la lecture avec
délectation. Dans le livre, il y a aussi le petite garçon qui
sourit. L'image est cependant moins claire et moins grande que celui
dont je parlais tantôt. Il y a aussi des bruits. J'aime ces bruits.
Mon ami blond les aime aussi, on dirait qu'il pense qu'ils sont pour
lui, mais il se trompe, ces bruits-là sont pour moi tout seul, c'est
maman qui le dit.
En parlant de maman, je
l'entend parler dans une autre direction. Je pourrais peut-être
aller voir où elle est. Je ne la vois pas, mais je reconnais très
bien sa voix et son odeur. Allez, je me secoue et repars en quête.
Je suis pas mal certain d'approcher de mon but parce que son odeur
est de plus en plus forte. Ça sent bon une maman, je crois que c'est
le plus beau parfum du monde. Un drôle de mélange de sucré, de
salé et de lait aussi.
En chemin, je croise des
petites billes bien rouges et bien luisantes. Je me demande bien ce
que c'est. Les billes bougent toutes seules. Ça m'intrigue vraiment
beaucoup. Et comme je découvre le monde par le goût, je prends une
grosse croquée de bille avec mes petites dents aussi blanches que
les billes sont rouges.
C'est là que j'entends
maman, du rire plein la voix, qui dit : « Chatou!
Qu'est-ce que tu fais? Tu mors mes orteils? » D'abord, je ne
sais pas ce que sont des orteils, mais je sais que j'aime ça quand
il y a du rire dans la voix de maman alors je mors dans une deuxième
bille rouge, juste pour voir, et c'est à ce moment précis que
quatre têtes rieuses apparaissent sous la table où je me suis
âprement rendu et moi je les regarde, bien fier de mon coup, avec le
pied de maman dans ma bouche.
Ça, c'était une belle
aventure. Demain, peut-être, je recommencerai.
Libellés : L'enfance de l'art