mercredi, décembre 28, 2016

2016

2016, tu auras été une année lourde de morts qui se sont échelonnées tout au long de ton parcours. De gens qui étaient des symboles ou des quidams fauchés par la une envie de vengeance pluriséculaire qui se matérialise aujourd'hui en dehors des zones de guerre où « le monde civilisé » la cantonnait, plus ou moins consciemment, depuis beaucoup trop longtemps. Si j'ai partagé certaines peines, si j'ai été touchée par l'absence qui sera désormais infinie de certaines personnes, je ne peux me résoudre à t'évaluer seulement à la mesure de ce qui aura été fauché.

2016, sur tes sentiers j'aurai pleuré. Beaucoup pleuré. Point pour moi de larmes intarissables, mais plutôt des petites montées lentes et discrètes du liquides lacrymal qui me brouillaient le regard à toutes sortes de moments importuns. Mais j'aurai eu la sagesse de tourner la tête pour ne pas me sentir observée plutôt que de laisser monter l'adrénaline de mes mécanismes de défense. Ce faisant j'ai réussi, presque à tous les coups, à garder le contrôle plutôt que de déraper dans les colères qui me happaient habituellement toute entière. Admettre, l'espace d'un battement de cœur, que je suis faillible, friable émotionnellement disponible à un paquet de sentiments, la tristesse en premier lieu.

2016, tu auras indéniablement été logée sous le signe de la famille. Parce qu'un petit bout d'homme s'est pointé le bout du nez quelques semaines avant ton aube et que nous nous sommes regroupés autour de lui pour le regarder grandir et êtres éblouis puis, tranquillement voir émerger sa personnalité. Si au départ, on ne remarquait que les ressemblances entre ses parents et lui, au fil des jours, on s'est mis à discerner le garçon qu'il deviendra. Un garçon joyeux, qui s'émerveille volontiers et qui câline ses personnes phares ou les jouets qu'il préfère. Un garçon qui aime la musique avec toutes les fibres de son corps et dont le rire est un bonheur qui met en joie le cœur de tout ceux qui l'entourent.

2016, tu auras été une année de défis professionnels. Que j'ai abordé avec beaucoup de légèreté de prime abord. Je n'aurais jamais imaginé que les quelques semaines que j'avais passées à expliquer les rouages d'un système informatique dans différentes succursales, m'amèneraient à plonger dans le vide d'un certain inconnu. Un inconnu où tout est à mettre en place. J'avais fini par m'avancer dans cette voie, certaine que la grosse chienne jaune de mes peurs resterait longuement à mes côtés. Mais je m'étais trompée. Je me suis rapidement aperçue que plutôt que de m'engluer dans la crainte, j'ai refais la connaissance avec une certaine moi que je croyais depuis longtemps oubliée. Une moi qui fonce en riant dans l'aventure quitte à me rendre compte que l'atterrissage est inconfortable.

2016, le plus beau cadeau que tu m'auras offert, c'est de me rendre mon talent pour le bonheur. Celui de trouver quelque chose à apprécier dans chaque journée. Celui de me sentir bien dans ma peau et de constater que d'autres que moi le voient. Je l'ai mesuré, ces derniers mois, à force de sourires ou de clins d’œil d'inconnus, comme à l'époque de mes vingt ans, quand je rougissais à n'importe quel compliment.

Au final 2016, tu auras été une année chargée. Je ne suis pas certaines de vouloir revivre chacune de tes parties, certaines sont vraiment trop tristes, mais je ne t'oublierai jamais, je t'en fais la promesse.

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dimanche, décembre 25, 2016

Noël c'est wow

Hier, j'ai été chez Grand-mamie. Il y avait de la belle lumière partout et des choses qui brillent, brillent, brillent. Je m'étais mis chic pour l'occasion, avec mon beau chandail rouge qui laisse voir un petit col de chemise. Je me sentait tout à fait à mon avantage. J'étais content de voir mon oncle si grand et Tatie-Mathie. Je leur ai bien montré que je les reconnais maintenant parce que je leur faisait tout plein de sourires. Il y avait un autre grand monsieur, qui m'intriguait pas mal. C'est aussi un oncle, il semblerait.

J'ai mangé des petits pains, tout seul dans ma chaise-haute. Ça, c'était un peu étrange parce que d'habitude je mange ce que tout le monde mange avec les gens en qui sont là. Ça ne me dérangeait pas beaucoup, j'avais très faim et c'était si bon. Et puis quand j'ai eu fini de me restaurer, les adultes m'ont posé par terre et j'ai déchiré tout plein de papier pour découvrir des trésors extraordinaires : un chien à qui faire des câlins, un bébé rien que pour moi, des blocs qui s'empilent ou s'emboîtent, des livres et tout plein d'autres choses. Et je trouvais cela si beau, alors je disais wow tout le temps.

Et puis, plein d'étrangers sont arrivés. Beaucoup avaient des grosses barbes et parlaient d'une voix qui roulent dedans le ventre. Je me sentais un peu perdu surtout parce qu'ils venaient tous me voir et me parler avec des sourires très gentils. J'aurais bien voulu me coller sur Grand-mamie, mais c'était impossible parce qu'elle était dans sa cuisine. Mais Papa et Maman étaient bien-là et ils me permettaient de me cacher la tête dans leur cou en faisant des petites faces gênées (c'est moi qui faisais les petites faces gênées, hein, pas eux).

Et puis j'ai décidé d'aller danser avec ma Tatie. Elle bouge moins vite que mon papa, lui c'est le plus rapide, mais j'aime beaucoup ça danser avec elle. Parce qu'elle rit tout le temps. J'aime ça faire rire. Maman dit toujours que c'est mon sport favori. Ma Tatie, elle est rigolote et rigoleuse. Alors, on s'entend très bien tout les deux. Je crois qu'elle aime ça rire et que je la fasse rire. Quand je suis bien certain que c'est à cause de moi et de moi seulement qu'elle rit, je lui décroche un super sourire, candide, mais bien charmeur, toujours selon Maman. Je ne sais pas ce que c'est le charme, pas encore tout à fait, mais j'en use dès que je le peux.

Pour une raison que je n'ai pas très bien comprise, mes parents ont un moment donné décidé qu'il fallait que je me couche. Je n'en avais pas du tout envie. Je voulais rester dans la fête moi. Faut comprendre que je suis le seul bambin de l'assistance. Personne d'autre n'allait se coucher. C'est plate en titi de manquer ne serait-ce qu'un moment de toute cette excitation. Même si celle-ci se limite à une tablée bien bruyante et que je suis coincé dans ma chaise-haute. J'ai tenu le plus longtemps possible, même si mes yeux se fermaient tout seuls. Je me cramponnais sur la table de ma chaise, bien bien fort.

Mais il a bien fallut que j'abdique et de laisser les bras enveloppant de mon papa aller me porter dans le grand lit de Grand-mamie. Je suis tombé comme une roche. Mais je me suis réveillé quelques heures plus tard, tout le monde était encore-là, je les entendais parler de l'autre côté de la porte. Mes parents m'ont alors habillé et ramené à la maison pour que je termine la nuit dans mon vrai lit à moi.

Ça aura été une soirée bien palpitante. J'ai hâte de jouer avec toutes les choses que j'ai trouvées dans les jolis papiers. Maman m'a dit que c'était Noël hier et que c'était la raison de la belle fête. Je ne comprends pas encore ce que c'est Noël, mais une chose est certaine, Noël c'est wow.

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mercredi, décembre 21, 2016

Trépigner l'impatience

Je savais, le jour où je l'ai rencontré, que j'avais sous les yeux un personnage. Un de ceux que je voudrais écrire. Quelque chose dans la mobilité agile de ses traits et sa vivacité d'esprit, qui me rappelait tous les jeunes improvisateurs avec lesquels j'ai longuement frayé, autrefois. Je me sentais en terrain connu. Taquineries intempestives incluses.

Il présente généralement un visage en broussailles à cause de l'épaisseur de sa tignasse et d'une barbe assez forte qui encadrent son regard d'un bleu éclatant. De temps à autres, il passe un coup de cisailles dans cet hirsute nous montrant alors une autre facette de sa personnalité. Il est, par ailleurs, la seule personne, à ma connaissance, dont la tête change de volume selon qu'il porte une tuque, ou pas.

J'ai une bonne mémoire, généralement bien au-dessus de celle de la moyenne des gens que je croise. Je constate à son contact qu'elle n'est pas si extraordinaire que cela. Différente de la mienne qui, je le sais, est tout à fait liée à des ressentis émotifs. La sienne est beaucoup plus cartésienne et pratique. Je suis régulièrement abasourdie par ce qu'il réussit à tirer de sa tête juste le temps qu'il faille pour cligner de l’œil.

Il possède la langue française dans la rétine de ses yeux, ne laissant passer aucune coquille, jamais. Ça me complexe à toutes les fois où j'ai à écrire quelque chose qu'il finira par lire, ce qui arrive souvent. Et bien entendu, je découvrirai, éventuellement, ces petites traces d'inattention que je sème aléatoirement dans mes écrits. Il ne me le dira pas, mais je sais qu'il les aura toutes vues.

Il trépigne son impatience comme un cheval sauvage. On peut la sentir monter à force de battements intempestifs sur toutes les surfaces que ses doigts peuvent rencontrer pour l'exprimer. Ce qui implique un jugement hâtif et sans concession sur tout et rien. Et pas grand monde n'échappe au haussement d'épaules caractéristique à l'expression de ce type d'exaspération. Moi la première.

J'ai rapidement découvert que rien ne sert de se justifier dans ce type de situation, il balaiera l'explication du revers de la main. Il est beaucoup plus efficace de changer de sujet et de le surprendre par une affirmation qu'il n'a pas prévue, alors il regardera son correspondant, interloqué pendant que ses méninges travailleront furieusement pour trouver une réponse adéquate à une telle absurdité. Ce qui arrive, généralement.

C'est un être d'une intelligence remarquable. Il fait les bons liens à une vitesse qui me sidère. Je dois admettre cependant, que je suis aussi douée à cet exercice. Ce qui fait en sorte qu'on se pousse continuellement dans les retranchements de la répartie, ce qui nous amuse beaucoup. L'un n'étant jamais autant satisfait que lorsque l'autre admet, en toute candeur, qu'il n'a rien à ajouter.

Je pense que je vais rire énormément dans ce nouvel avenir que j'ai choisi. Rire comme j'avais un peu oublié que je pouvais le faire. Parce que l'humour, en fait, ne se partage jamais aussi bien qu'avec quelqu'un qui comprend au quart de tour les référents desquels on parle, même si celui-ci ne les connaît pas de l'intérieur.

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dimanche, décembre 18, 2016

Les yeux du rêve

Soir de semaine sur le quai de la gare du métro Berri, deux étudiants discutent avec force et véhémence du cours duquel ils sortent. Si j'ai bien compris, c'était un cours de création littéraire, une forme de séminaire, je crois et ils étaient furieux de la manière dont celui-ci avaient été animé parce que, selon ce que j'en saisissais, le professeur avait très peu fait d'observations sur les qualités des textes qui étaient présentés et beaucoup sur des corpus théoriques dans lesquels les textes s'inscrivaient, ou pas.

Je me revoyais à leur âge, avec les même frustrations lors de ma première incursion à l'université, ce qui avait été pour moi, un Waterloo. Moi qui avais toujours écrit, toujours lu, toujours adoré les mots, je ne me retrouvais aucunement dans ce que l'on me proposais d'étudier. Je ne me reconnaissais pas dans la manière d'envisager les textes, d'ailleurs, la plupart du temps, je ne comprenais même pas les questions qui étaient posées. Je répondais toujours un brin à côté de la question, ce qui faisait en sorte que mes notes étaient médiocres.

Je ne souhaitais pas vraiment les écouter digresser sur leur propre expérience, mais leurs propos m'interpellaient. Comme moi autrefois, ils trouvaient que les choix de lectures imposées étaient curieusement sectaires. Eux, ils trouvaient que Michel Tremblay, ça suffisait, ce qui m'amusais parce que dans mon temps, il n'était pas encore enseigné à l'université, pas dans celle où j'allais en tout cas, et je me faisais juger par mes pairs et mes professeurs parce que je ne me cachais pas pour le lire. Je ne me cachais pas non plus pour lire des romans de littérature fantastique ou policière. Ce qui ne passe visiblement pas plus aujourd'hui, d'après ce que mes oreilles indiscrètes et captivées attrapaient de la discussion à mes côtés.

Ce qui me frappait le plus dans leurs échanges c'est que visiblement, les deux protagonistes aimaient les livres. Ils en connaissaient un bail sur ce terrain et se passionnaient pour des textes de tout acabit. Ils écoutaient des émissions littéraires, trouvaient absurde que la littérature jeunesse soit boudée par les cercles universitaires, considéraient qu'au bout du compte, il y avait très peu de sottes lectures, voire pas du tout.

Dans le tunnel entre ma station et la précédente, n'y tenant plus je m'étais dénoncée ; je leur avais dit que je suivais leurs paroles depuis plusieurs minutes déjà et que j'étais d'accord avec pas mal tout ce que j'avais entendu. J'avais conclu en leur disant qu'ils n'étaient peut-être pas de bon universitaires en littérature, mais qu'ils feraient tous les deux de fichus bons libraires. Ils m'avaient regardée un peu bizarrement, mais je sentais bien qu'ils étaient ravis du commentaire. J'avais alors ajouté, que j'en étais convaincue parce que j'étais gérante de librairie et que je savais reconnaître à 13 pieds les candidats potentiels à ce genre de poste.

Alors leurs sourires s'étaient élargis. Ils m'avaient remerciée en me demandant où je travaillais. Je le leur avais dit tout en leur mentionnant que tout ce qu'il leur restait à faire pour obtenir un poste dans ce genre de lieu c'était d'inscrire dans leurs lettres de présentation qu'ils ne faisaient pas de discrimination en lecture.

Je suis sortie en leur laissant un rêve dans les yeux.

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mardi, décembre 13, 2016

Divisions

Montréal est recouverte d'un duvet de neige. L'heure est à l'avenant. Dans son cocon blanc, encore immaculé, il y a quelque chose qui tient du temps suspendu dans l'atmosphère. Le corridor est long, vide, horrible et il y flotte l'odeur acre de la sueur rancie. Ça et là, des corps jonchent le sol où les pas des rares passants résonnent comme des coups de canon.

À la porte 17 du terminal désaffecté, une image me saute à la gorge. Je ne sais pas si c'est à cause de la bordée de neige, du silence imposé ou plus simplement du fait que nous soyons en décembre, toujours est-il que je revois le même endroit à l'époque où c'était le terminus d'autobus inter-municipal parmi les plus achalandés de Montréal, probablement du Québec en fait.

On était au début des années 1990, le terminal était bondé, puisque la date oscillait autour du 23 décembre. Je n'ai jamais trop compris comment les billets de bus étaient vendus, à cette époque, mais nous étions clairement trop nombreux pour un autobus qui fait la route entre Montréal et l'Abitibi, en s'arrêtant à peu près dans tous les villages qui s'échelonnent le long de la route, au nord de Mont-Laurier. C'était l'autobus de nuit, pour un trajet d'environ 7 heures dans lequel nous espérions dormir, ce qui fut bien évidemment impossible. J'avais fini par passer la nuit avec un bambin sur les genoux et un amoureux écrapouti sur mon épaule, ronflant allègrement.

Arrivés à Rouyn-Noranda, j'étais vannée tandis que l'amoureux était frais et dispo. J'allais faire la connaissance de sa famille, immédiate et élargie. C'était son père qui était venu nous chercher au terminus. Petit homme discret et rieur. C'est tout ce dont je me rappelle. Nous avions étés accueillis, à destination, par une femme au coffre immense, physiquement et vocalement qui écoutait en chantant joyeusement, un album de Noël de Ginette Reno. Il va sans dire que dans ces circonstances, j'avais été totalement incapable de m'assoupir pour la sieste de laquelle j'avais pourtant besoin.

On s'était déplacés, vers la fin de l'après-midi vers une autre maison, où la fête avait lieu. Avec un passage à la messe de minuit de huit heures. J'étais épuisée. Jusque dans la moelle de mes os. Je me sentais prisonnière parce que j'étais si loin de mes paysages connus. Et puis, il faisait froid. Un froid que je n'avais jamais rencontré dans mes propres contrées. Sec et mordant. Tellement que le souffle m'avait coupé quand j'avais mis un pied dehors.

C'était mon premier Noël loin de ma mère. Et j'avais eu les blues. Puissamment. Assez en tout cas pour pleurer en public. Assez en tout cas pour qu'un quelconque oncle me prête un téléphone cellulaire (à l'époque, c'était un gros machin qui ressemblait davantage à un radio-émetteur qu'à un téléphone) pour que je puisse appeler chez-moi.

C'est, à mon souvenir, la seule fois où j'ai passé la veillée de Noël loin de ma mère. Malgré le fait que j'aimais beaucoup la famille de mon amoureux de l'époque, et celles des autres que j'ai eu par la suite, il y a une chose que j'ai assimilée ce jour-là : pour moi, la veille de Noël c'est le cœur de la famille, et ce cœur a un nom, celui de ma maman.

Je ne sais toujours pas pourquoi, en ce matin de décembre, le souvenir de ce terminal animé s'est matérialisé devant mes yeux. Malgré les mots qui précèdent, ce souvenir n'est pas tellement triste autant qu'il est celui d'un réalisation : il y a des cellules qui se divisent bien, d'autres moins. Ma cellule familiale de Noël peu s'additionner de membres, mais je ne voudrais plus m'en diviser.

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samedi, décembre 10, 2016

L'aune

Ça fait quelques années que je me dit que je devais commencer à me sentir vieille, après tout j'ai dépassé le cap des quarante ans. Je ne sais pas si c'est parce que je travaille dans un milieu très jeune, m'enfin, j'ai souvent la sensation que les années me pèsent sans me vieillir. Évidemment, que je vieilli, comme n'importe quel individu sur cette planète. Sauf qu'hier, j'ai eu un choc, parce que je me suis aperçu que j'aurais pu garder un des gestionnaires avec lequel je travaille et que franchement, je n'avais pas imaginé une seule seconde que l'écart d'âge entre lui et moi. Lorsqu'il m'a annoncé son année de naissance, j'ai explosé de rire et rougi du même coup, parce que pour la première fois de ma vie, j'ai frappé le mur qui me montrait que je ne suis plus jeune.

Il porte le même prénom qu'un enfant que j'ai gardé dans les tous premiers mois de sa vie. Je faisais cela, adolescente, garder des bébés. J'ai un talent certain avec les jeunes bambins. Les mamans que je croise, surtout dans l'entourage de ma sœur depuis qu'elle-même est mère, sont souvent étonnées de la facilité avec laquelle je porte leurs enfançons au sommeil. J'ai tendance à faire confiance à ces nourrissons qui me le rendent au centuple, en somnolant doucement dans mes bras. Ma carrière d'endormeuse a, d'ailleurs, débuté il y a longtemps.

Tout cela pour dire que je me suis revue, dans ma prime adolescence à garder des nourrissons et que je me suis dit qu'il aurait pu être l'autre, celui que j'ai vraiment gardé. J'ai fait les calculs, et tout fonctionnait. Sauf que je suis nulle en calcul. Ce qui fait que j'étais dans le champs quand je lui ai raconté mon souvenir. Parce que celui-ci avait lieu plus de deux ans après la naissance de celui-là. Et je sais quelle est l'envergure de mon erreur parce que j'ai encore les journaux intimes de mon adolescence et que j'ai daté toutes les entrées qui s'y trouvent (je vérifie régulièrement à cette aune, les données de ma mémoire friable).

Est-ce que me sens vieille pour autant ? Non et re-non. Je sais pertinemment que je suis la plus vieille personne de toute ma nouvelle équipe, et de loin. Sauf que je me sens collectivement au diapason de tous ses membres. Ils sont intéressants, cultivés, allumés, drôles. Et je suis encore la ricaneuse que j'ai toujours été. Moins soupe-au-lait que durant ma vingtaine, certainement, ce qui me permet de rire de moi avant de rire des autres. C'est précieux.

Je constate que je n'ai plus envie d'asseoir mon autorité. Est-ce à cause de mon âge ? Je ne crois pas. En réalité, je suis passablement convaincue que seuls les gestionnaires le connaissent et que le reste de l'équipe s'imagine que je baigne dans les mêmes eaux que tous les autres. Grand bien m'en fasse. Même si je suis tout à fait consciente qu'un moment donné mon corps finira bien par trahir les années qu'il accumule. Je suis encore en sursis. Je constate que je n'ai plus besoin, d'asseoir mon autorité, elle est-là.

J'ai pris du temps à trouver de quelle manière exprimer mon leadership. Il se trouve que je me sens particulièrement heureuse de le faire sans élever la voix, ou si peu. Il s'avère que je ne réussirai jamais à avoir l'air de faire une fleur à quelqu'un en lui refusant un retour sans facture par exemple, je n'ai pas, et je n'aurai jamais, ce talent-là. Mais j'en ai d'autres. Une belle perceptibilité des humains qui m'entourent, je crois, et un certain talent pour les raconter...

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mardi, décembre 06, 2016

Je ne t'oublie pas

Il y a des années lors desquelles on te célèbre, d'autres lors desquelles tu passes presque sous silence.

Je n'oublie pas, j'en suis profondément incapable étant donné que je te perçois comme une pierre d'assise dans les choix que j'ai fait après avoir fait ta connaissance. Dans les choix que j'ai fait et qui ont participé à la définition de ma propre personnalité.

Je ne t'oublie pas, même si je ne connais qu'une de tes parties que de loin et seulement après les événements. Il me semblerait indécent de t'oublier où de te passer sous silence.

À toutes les fois ou j'ai entendu, ou lu le chiffre 14 aujourd'hui, j'ai vainement espéré qu'on me parlerait de toi. Mais non, les médias traditionnels se sont tus, collectivement. Heureusement, d'autres que moi ont souligné ton anniversaire, dans ces médias sociaux où l'on filtre mes intérêts pour ne me présenter que ce qui m'intéresse. Il faut bien quelquefois s'y rabattre, quand les autres qui ont le pouvoir de te dire, oublient te de te souligner.

Tu as 27 ans aujourd'hui. L'âge que j'avais à l'an 2 000. À partir du moment où j'ai su compter, il me semble, j'avais mis plein d'espoir dans ce moi de cette année charnière. Elle le fût, mais à des azimuts de ce que j'avais espéré. Puisque c'était pour moi, le début de la longue marche qui m'aura menée au Pays des zombies. Ma vingtaine n'aura pas été l’ascension étincelante vers les sommets les plus hauts de ma réussite personnelle et professionnelle. Je ne regrette cependant pas les chemins de travers que j'ai eu à prendre pour devenir celle que je suis aujourd'hui. Je crois que j'ai été capable d'en tirer les leçons nécessaires et en faire quelque chose de bien.

Je suis triste, ce soir, toute seule devant ma page blanche, à me dire que tu tombes dans les ornières de l'oubli du moment présent.

Pourtant, tout dans l'année écoulée nous a ramené à toi. À coups de fusils ou de machisme. À coups de gueule ou de klaxon. À coups de poing ou de verbe.

Je ne t'oublie pas Poly. Pour moi tu seras toujours une jeune femme en devenir dont la vie s'est arrêtée abruptement et absurdement, simplement parce que tu avais décidé de pratiquer un métier non traditionnel.

Et je me désole de voir quotidiennement des montagnes de jouets plus sexués les uns que les autres en me disant qu'au final, on n'aura très peu appris de toi.

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dimanche, décembre 04, 2016

Désamours d'automne

On ne s'attend pas à rencontrer grand monde lorsqu'on prend le métro à 6 heures le samedi matin. Étrangement, si la foule n'est pas très dense, elle n'est pas si éparse non plus. En fait, elle est juste assez clairsemée pour qu'on puisse s'apercevoir qu'on partage un wagon avec quelqu'un qu'on connaît, même mal, voire presque plus.

Nous avions été amis quelque part entre la fin de l'adolescence et le début de l'âge adulte, sans que cette amitié ne se déploie davantage que dans un immédiat délimité par la fréquentation d'un même cercle social. Bien entendu, à l'époque, nous partagions, ainsi que nos pairs, les émotions en fusion des amours en bandoulière alors, forcément, il y avait un petit quelque chose de l'ordre de l'intime, dans ce que nous avions échangé.

C'est dans ces circonstances qu'il avait laissé tomber son grand corps dégingandé devant moi en murmurant un « franchement » bien senti juste avant que je le lève les yeux pour l'interroger du regard. Je savais d'avance que sa vie tanguait sur des vagues tumultueuses. J'avais vu passer sur les réseaux sociaux, quelques 24 heures plus tôt, un message laissant entendre qu'il cherchait une chambre ou un appartement qu'il pourrait occuper immédiatement. Ça devait bien faire dix ans qu'on ne s'était pas croisé, encore plus qu'on n'avait pas échangé autre choses que des banalités.

Sans me répondre il avait tourné l'écran de son téléphone vers moi pour que je puisse y lire le texto encore affiché. « I don't wanna see you ever. It would be too hard for me. Send somebody between 10 and noon today. If you don't, everything will be on the street by 4. » Me plongeant du coup dans le cœur de sa vie actuelle, comme si nous étions de retour au café étudiant quelques 20 ans plus tôt et que j'étais censée tout connaître de ses déboires actuels.

En réalité, je n'en connaissais rien. Sinon qu'elle était Américaine et musicienne et qu'ils avaient été un couple pendant une dizaine d'années. C'est mince comme information pour essayer de consoler quelqu'un qu'on ne connaît plus. Que pouvais-je lui servir sinon des platitudes généralisées ? Ne sachant trop quelle attitude adopter, je lui avait finalement demandé : « raconte ».

Il avait poussé un énorme soupir. Pendant que je pouvais observer les rouages de ses méninges s'agiter dans sa tête, je ne pouvais faire autrement que de remarquer les pattes d'oies qui définissaient désormais son regard terriblement bleu et constater que sa houppe si caractéristique avait finalement cédé le pas à la calvitie. Ces indices visuels me permettraient, je le savais, d'enraciner l'homme dans autre chose que les souvenirs que j'en gardais.

Son silence s'éternisant, je m'étais dit qu'il ne me raconterait rien finalement. Je l'aurais compris du reste, nous ne nous connaissions plus. Mais il avait vidé son bagage émotionnel dans mon oreille compatissante. C'était une histoire complexe, dans laquelle personne n'avait tort ni raison. Et dont la fin, quoique prévisible, avait été aussi abrupte que possible. Une semaine plus tôt, ils formaient un couple, ce matin-là, ils ne l'étaient plus et une blessure ouverte des deux côtés rendaient toute discussion impossible.

Ils ne se parlaient plus, mais se textaient furieusement et continuellement. Quand j'étais arrivée à ma station, j'avais posé la main sur son poignet avant de lui dire : « Arrête ».

Je m'étais presque noyée dans la mer de ses yeux en détresse, avant de sentir qu'il avait saisi la bouée que je le lui avais lancée.

Je l'avais laissé patauger dans ses désamours de novembre, en espérant, qu'un jour, il se reconstruise.

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