C'est un pays étrange.
Un pays où la lumière est filtrée par d'épais nuages. Il n'y fait
pourtant pas vraiment sombre, ça ressemble davantage à un matin
d'hiver très brumeux quand la lumière est crue malgré tout. On
sent qu'on est sur le point de voir quelque chose, pourtant, rien
n'apparaît. Les êtres et les choses qui l'habitent sont comme
autant d'ombres aux contours indéfinis. Une contrée désertique,
aux sables fuyants.
Les issues sont
insaisissables. Elles semblent inexistantes et pourtant toutes
proches. Il n'y a aucun endroit qui soit confortable, le sol se meut
sous tes pieds. Et tu cries de tout ton cœur, tu cries que tu es-là,
toute seule et en danger mais personne te te répond. Personne ne
t'entend parce que les sons sont étouffés par la brume, l'opacité,
la distance, tu ne sais pas. Tes mains tremblent de froid, ton
sommeil est menacé par tout. Tu ne veux déranger personne et tu
sens que tu déranges tout le monde. Les nuits deviennent tes
ennemies, elles ne te portent pas conseil parce qu'elles te
rappellent à quel point tu es la sommes de tes erreurs. Toutes tes
erreurs de langage, de posture,de jugement et toutes les choses un
peu mesquines que tu aurais pu exprimer se remémorent à tes
souvenirs.
Le silence est menaçant
parce qu'il laisse tout l'espace à tes pensées. Elles ne sont pas
jolies. Tu n'es pas jolie. Pas assez pour être aimée. Tu te mesure
à l'aune de tes échecs, et bien entendu, ils sont plus nombreux que
tes réussites. Tu ne vaut pas la peine qu'on s'intéresse à toi, tu
es trop moche, pas assez intelligente, trop endettée, pas assez
drôle. Tout devient confus.
Tes proches t'ont
beaucoup dit, au cours des derniers mois que tu n'avais plus
d'écoute, plus de compassion. C'est tout ce que tu retiens de
l'ensemble de ton existence. Les accomplissements précédents n'ont
aucune espèce d'importance, tu ne les reconnais plus. Tu sais, au
fond de toi qu'à toutes les fois où on t'a dit quelque chose de
gentil, c'était par pitié et que tu ne le méritais pas. Tu es un
petit pou, un petit monstre d'égoïsme qui ne sait que se regarder
le nombril. T'as le vertige pour la première fois de ta vie, un vrai
maudit vertige. Dans les escaliers qui mènent de ton appartement à
la rue, tu te retrouves en petite boule, incapable de les descendre
parce que tu vois le sol dans l'ajouré du fer forgé. C'est une
voisine ahurie qui te tire de là. Une voisine que tu détestes parce
qu'elle te réveille presque toutes les nuits avec sa musique que tu
n'apprécies pas davantage.
Et tu pleures sans
larmes. Tous les jours. Tu pleures sur ta solitude, tes échecs, tes
maudits échecs. Tout devient une responsabilité énorme, au delà
de tes capacités. T'es totalement coincée dans ce pays horrible.
Tout en sentant, quelque part, pas si loin qu'il y a d'autres
contrées, moins pénibles. Sauf que tu sais très bien que tu ne les
mérites pas. Tu t'étioles au rythme de tes inspirations. Tu te dis
que dans quelques semaines, à la limite quelques mois, tu seras une
itinérante de plus parmi toutes celles qui hantent les rues de
Montréal parce que tu ne mérites pas plus que cela. Même pas la
mort prodiguée par tes soins, ce serait une beaucoup trop grosse
responsabilité, en plus, ça reporterait tes dettes sur les épaules
de quelqu'un d'autre, et ça, tu ne peux pas l'accepter.
Et puis, un jour, t'as
été prise par la peau du cou par un ami qui t'a amené au CLSC. Il
a attendu que tu sois vu par n'importe qui, mais que tu sois vue,
avant de laisser aller ta main moite. Et c'est là que tu as appris
ce que c'est que la dépression. Que le pays dans lequel tu vis, tu
n'es pas toute seule à le fréquenter et qu'il a un nom. T'es folle,
mais ce n'est pas insurmontable, ça peut se soigner comme un rhume
de cerveau, si tu te donnes la peine de bien vouloir essayer.
Très lentement, la brume
se lève sur le pays des zombies, mais pour le reste de ta vie, son
paysage restera tatouée dans toutes les fibres de ton corps, tu sera
toujours à distances de marche de ses marais gluants, si seulement
tu oublies que tu n'es pas infaillible.
Libellés : Maudite angoisse