jeudi, mars 30, 2017

Une tomate avec ça?

N'importe quel propriétaire de voiture, à Montréal, savait que sa voiture ne pourrait rester indéfiniment sous les bancs de neiges. De toute manière, les affichettes d'un orange violent se faisaient un plaisir de rappeler aux étourdis que l'heure, si elle n'était pas tout à fait venue, approchait à pas de géants.

Profitant de l'éclairage de la fin d'après-midi, les jeunes femmes s'étaient armées de pelles pour aller déblayer et dégager leurs véhicules. Le fond de l'air s'étant réchauffé passablement, la neige était beaucoup plus lourde que quelques heures plus tôt, ce qui leur permettait moult digressions sur tous ces muscles et autres ligaments que cet exercice, quasi forcé, leur permettait de découvrir. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elles avaient entrepris de dégager les voitures, une à la fois, en discutant de choses et d'autres, en riant beaucoup.

Émilie et Catherine avaient remarqué, du coin de l’œil, ce voisin, pas tout à fait commode, qui les observait attentivement. Pas tout à fait commode qu'il avait l'habitude de s'exprimer par une série de grommellements qu'elles ne comprenaient que rarement. Elles n'étaient d'ailleurs pas tout à fait certaines que cette incompréhension soit due tant au ton utilisé qu'à la langue ne pouvant pas affirmer qu'il parlait anglais, français, italien ou un curieux mélange des trois. Elles ne se rappelaient pas avoir eu une discussion quelconque avec l'homme, même si elles l'avaient croisé souvent.

Après avoir terminé de dégager les voitures, les filles avaient constaté qu l'état du trottoir laissait désormais singulièrement à désirer. Aussi s'étaient elles attelées à la tâche de remettre à leur voisinage un espace piéton praticable. Les voyant faire, l'homme avait aussitôt commencé à les invectiver de l'autre côté du rempart de sa fenêtre. Évidemment les filles n'entendaient rien de cette harangue, qui semblait pourtant bien sentie. Se tournant vers Émilie, Catherine avait demandé :
-Tu comprends quelque chose toi
-Pantoute !

Faute de mieux, Catherine avait pointé son oreille droite à l'homme pour lui montrer qu'elle n'entendait pas. Celui-ci s'était alors précipité à l'extérieur, armé d'une batte de baseball, les invectivant à qui mieux mieux. Sidérées elles avaient fini par comprendre qu'ils avait interprété le geste de Catherine comme une accusation de folie. Polies, elles lui avaient calmement expliqué le malentendu et le monsieur les avaient gratifiées d'un « humph ! » avant de rentrer dans son domicile.

Philosophe Émilie avait conclu :

-Ça aurait pu être pire, genre une avalanche de tomates avant qu'on ai eu le temps de s'expliquer.
-Vu d'même...

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dimanche, mars 26, 2017

Toucher juste

- Les équipes sont mal fichues cette années, je trouve.
- Ouain, t'as raison, c'est full pas égal.
- Il aurait fallut qu'il soit dans l'autre équipe pour que ça aille de l'allure.
- Ben là, c'est d'la faute à Pierre Lapointe, il avait juste à se retourner sur le bon gars.

Je ne voulais pas vraiment écouter, en fait pas du tout. Mais j'étais fascinée par l'application des jeunes filles à détruire le banc de neige avec leurs petites espadrilles légères dans la froidure de cette soirée encre bien hivernale. Forcément, mes grandes oreilles traînaient dans leur sillage. Évidemment, je ne comprenais pas grand chose à leur sujet de discussion étant donné que je n'écoute pas La voix, mais j'en sais au moins assez au sujet de cette émission pour avoir compris qu'il s'agissait-là du sujet de préoccupation principal.

Mais une discussion d'ados n'est pas une discussion d'ado si elle ne passe pas du coq à l'âne sans rime ni raison.

- J'pense que pour moi non plus personne se retournerait. 
- Normal, tu ne chantes pas. 
- T'es nouille, c'est pas ce que je veux dire.
- (sourire pas contrit pour deux sous) 
- En tout cas, j'ai été surprise d'apprendre que Koriass était ami avec Isabelle Boulay.

De mon poste auditif, je me demandais bien le lien qu'il pouvait y avoir entre ces éléments. Mais bon, j'avais présumé que l'un ou l'autre avait pu faire une apparition dans l'émission qui venait sans doute de se terminer.

- Moi non plus je ne savais pas, je suis aussi surprise que toi. T'as pogné ça où ? 
- Ben, il l'a pas dit juste tout à l'heure ? 
- Pas Isabelle Boulay, les Sœurs Boulay, ce n'est pas la même chose pantoute franchement ! 
- Ah, je me mélange tout le temps... Faut dire que je n'écoute ni les unes ni l'autre. 
- Les Sœurs Boulay c'est bon tu sauras, Isabelle Boulay c'est juste les vieilles madames qui écoutent ça.

La dernière assertion étant faite en me pointant du menton, j'ai doucement ri dans ma barbe imaginaire. Plus tôt dans la soirée, j'avais eu cette discussion sur les tounes qui font brailler permettent de faire sortir le méchant quand on est en peine d'amour et Isabelle Boulay faisait partie des incontournables. Mais surtout, j'avais admis que ma chevelure se teintait désormais assez de blanc pour que ce soit visible à l’œil nu. La jeune fille avait, comme qui dirait, touché juste.

C'était la première fois de ma vie que je me faisais traiter de vieille.

Je ne suis pas certaine d'avoir tant prisé cette nouvelle expérience.

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jeudi, mars 23, 2017

Changer le cours des choses

Tu avais rêvé ta vie, bien avant de la vivre. Tu savais que tu étais bien mal partie dès le départ. Non, tu n'avais pas eu les bons parents biologiques, mais tu te savais tout de même assez chanceuse dans ta famille d'accueil, qui elle n'avait rien de sordide. C'était peut-être un peu trop bruyant, un peu trop essoufflant, un peu trop n'importe quoi pour que tu aies eu envie d'y rester trop longtemps.

Comme beaucoup d'ados, tu t'étais projetée dans le rêve qui commençait inévitablement par avoir ton appartement. Sauf que, vivre en appartement, ça coûte cher. Trop cher pour un petit salaire de commis de dépanneur. Ta chance, dans tout ça, c'est que dans le petit village où tu as grandi, il n'y a pas de cégep, alors forcément, tu devais quitter le premier pour pouvoir étudier et ça, tu y tenais. Parce que dans tes rêves il y avait toujours des tonnes de nouvelles choses à apprendre.

Alors, bien entendu, quand tu avais rencontré ce beau gars-là, au charme incendiaire, avec ses grands yeux noirs comme le fond d'un puits et cette fragilité, ce désir d'amour et d'absolu tu n'avais pas trouvé si étrange qu'il te propose immédiatement d'emménager chez-lui, même si au fond, vous ne vous connaissiez pas beaucoup. Tu t'étais simplement dit qu'il n'y avait aucune raison pour que tu n'ai pas autant que lui le courage de t'engager.

Cependant, tu avais vite compris que rien dans cette relation n'était sain. La petite fragilité du départ, s'était rapidement transformée en escaliers qui se déboulaient, en mots qui faisaient mal, en interdits de toute sorte. Assez pour que tu vives avec la peur au quotidien. Peur qu'il ait trop bu, peur qu'il pète une coche parce que tu avais décidé de faire quelques heures supplémentaires, peur que ta complicité avec des nouvelles copines du travail, ou du cégep, soit mal perçue.

Tu avais donc fermé ta grande gueule plus souvent qu'à ton tour, jusqu'à ce que la phrase « tu es la femme de ma vie » te devienne un cauchemar. Et tu savais que tu ne pouvais pas le quitter. Qu'il fallait qu'il soit celui qui termine la relation sans quoi les conséquences pourraient être fâcheuses pour toi. Mais tu avais sauté sur l'occasion de partir quand il t'avais parlé d'un break. Bien évidemment, tu voyais cette coupure bien différemment de lui. Bien évidemment tu rayonnais de toutes tes cellules, toutes tes fibres durant cette césure et tu avais aussitôt rencontré quelqu'un d'autre. Un gars bien simple qui ne t'offrait pas tant d'habiter avec lui, mais de te trouver un appartement à toi, en colocation, à la limite, pour que tu puisses goûter un peu à la liberté.

Tu avais alors pris toute ta force de vie dans tes mains, traverser les étapes comme il se devait, soit commencer par aviser la police que tu devais retourner chercher tes choses à un endroit où tu étais possiblement en danger afin de te donner une chance de changer le cours des choses. Le problème, c'est qu'avec ton beau grand sourire, ta force intérieure, ton bagout, on ne t'avais pas tout à fait prise au sérieux et que toute ton existence s'était arrêtée sous le coup d'une arme blanche quand tu pensais, au contraire, avoir fait très exactement ce qu'il fallait pour te sortir de cet enfer-là.

Faire ce qu'il faut, n'est pas toujours la solution, faut croire.

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dimanche, mars 19, 2017

Partir du bon pied

Le soleil irradiait, taquinant les passants de son air tout guilleret comme si le ciel ne venait pas tout juste de nous tomber sur la tête. Les quantités de neige amoncelées un peu partout, nous rappelait que tempête, il y avait eu. Quand, j'avais été voir l'état de la chaussée, la veille, la neige atteignait la moitié de la distance entre la poignée et le sol. Impossible donc de sortir de la maison sans pelleter. Je m'y étais donc attelée, comme la plupart des voisins. Au moins je n'avais pas à chercher une auto sous les congères.

Comme c'est souvent le cas après ces chutes de neige intempestives, la température était clémente. Assez en tout cas, pour que la plupart des gens que je voyais aient eu envie de laisser l'écharpe et autres lainages à la maison. Moi, je me sentais d'humeur à conquérir le sol, à profiter de cette ambiance festive avec l'impression que le printemps me guetterait au premier tournant, malgré tout.

J'avais donc décidé de me rendre au métro Berri à pieds, en suivant la rue Ontario, m'imaginant que celle-ci serait dégagée étant donné que ma petite rue l'était. Eh bien non. Je n'avais pas si tôt dépassé la rue Champlain que je me suis retrouvée prise dans un balais de camions de toutes sortes, plus gros les uns que les autres, avec des angles morts, vraiment très morts. Ne voulant pas m'ajouter aux tristes statistiques des personnes malencontreusement happées par une déneigeuse, j'avais attrapé l'autobus qui me suivait de quelques mètres. Évidemment, celui-ci n'avançait que peu, par à coups, et le chauffeur avait l'air totalement exaspéré de la situation. Si bien qu'il avait décidé d'arrêter sa course à Amherst, sans en aviser ses passagers.

Avant de comprendre qu'il ne repartirait pas, j'avais vu une femme courir dans le milieu de la rue Ontario en provenance de l'ouest. Elle était visiblement dans un drôle d'état, pas tant à cause de sa course effrénée que par la peur qui se lisait dans ses yeux. Elle était montée dans le bus, sans payer son passage et s'était laissée choir sur la banquette arrière. À ce moment, un immense homme s'était pointé à la porte de l'autobus, tapant dans la porte à coups très forts et criant un amoncellement d'insultes en anglais. Les femmes dans le bus criaient au chauffeur de ne pas le laisser entrer, mais celui-ci fit la sourde oreille et l'homme s'était engouffré dans le véhicule en continuant de pester « Don't ever call de cops on me again, you bitch ! » Et autres jolies petites déclarations dans le même genre. Ils étaient ressortis en moins d'une minute. Comme l'autobus ne repartait pas, malgré le fait que la voie soit enfin libre devant nous j'étais descendue à mon tour afin de me rendre dans un magasin d'électronique pour m'acheter un fil de téléphone parce que le mien était complètement hors d'usage depuis la veille.

J'avais fait mon emplette en vitesse, et payer le fil qu'on m'avait montré rapidement pour ne pas me mettre en retard pour le travail. J'étais arrivée pas mal plus à la dernière minute que selon mes habitudes et c'est là que j'avais réalisé qu'on m'avait vendu un fil pour téléphone Samsung alors que j'avais spécifié que j'avais un Iphone.

Il y a des journées comme cela, qui ne partent vraiment pas du bon pied...

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jeudi, mars 16, 2017

Interruptions involontaires

Je déambule généralement avec des écouteurs dans les oreilles, un peu, je présume, pour préserver ma bulle, beaucoup, pour continuer d'apprendre, parce que j'écoute rarement autre chose que la radio. Si d'aventure, ça arrive, je chantonne généralement allègrement avec mon baladeur, laissant, me semble-t-il savoir que je suis dans un monde qui n'appartient qu'à moi.

J'ignore, ce qui dans cette attitude prête à la conversation, toujours est-il que je me fait continuellement adresser la parole par des inconnus quand je ne m'y attends pas. C'est particulièrement vrai quand j'attends en file pour payer mes emplettes à l'épicerie tard le soir. Ça m'arrive assez régulièrement étant donné mon horaire atypique. On me raconte tout et n'importe quoi, ces derniers jours, la température en a beaucoup fait les frais. Dans ces situations, j'ai parfois l'impression d'être la première personne à laquelle mes interlocuteurs aient parlé de la journée. Alors, je les écoute en souriant et en essayant de ne pas prendre un air condescendant.

Quelquefois, mon tempérament bouillant est mis à rude épreuve. Parce que ce sont souvent des hommes qui m'adressent ainsi la parole, des hommes plus vieux que moi qui me racontent des bonnes blagues. Généralement très sexistes, ou salaces, bref, à des kilomètres de l'humour qui m'amuse. J'ai développé avec le temps, toutes sortes de stratégies pour répondre sans répondre et fermer la porte à d'autres commentaires que je pourrais trouver aussi malaisants que ces petites blagues malvenues.

Des fois, je me dit que le fait que j'écoute la radio n'est pas étranger à ces conversations impromptues. Surtout quand je syntonise des émissions qui me font rire, soit dans leur entièreté, soit dans certaines de leurs parties, parce que j'aborde alors un large sourire qui se décolle difficilement de mon visage. J'imagine que j'ai, à ces occasions, l'air avenant. Le plus drôle, c'est que lorsque je suis dans ce genre d'écoute, je ne veux généralement pas en manquer un iota, parce que justement, ça m'amuse et me détend. Je tente néanmoins de faire bonne figure, malgré le dérangement. Ce doit être un réflexe de service à la clientèle, dûment intégré.

La plupart du temps, je crois que tout ce résume à cela : ma face de service à la clientèle. Ça fait tellement longtemps que je suis aux premières loges des clients bêtes que je me fais un devoir de ne jamais faire sentir aux personnes qui me servent à leur tour, mes mauvais poils et autres aléas de l'existence. Peut-être que cette attitude dépasse un tantinet ma volonté et ouvre des portes à toutes ces parenthèses qui ne me font pas envie.

Ce que ces personnages ne savent pas, c'est que je suis une portraitiste du quotidien et que tout ce qu'ils peuvent bien me raconter finira un jour ou l'autre dans la sève de ce que je crée. Que ce qu'ils me narrent m'intéresse, ou pas...

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dimanche, mars 12, 2017

Changer d'angle

La pièce sentait l'humidité et la friture. Autour de moi, les gens trimballaient des cabarets bien remplis ou des gobelets de boissons chaudes. C'était une pièce lumineuse et bruyante, comme c'est fréquemment le cas dans les chalets de ski alpins les après-midi de fin de semaine. Ce n'était pas celui auquel j'étais habituée, c'était la première fois que je me retrouvais-là, mais je me sentais, somme toute en pays de connaissance.

Je ne me rappelle plus exactement pour quelle raison j'étais fâchée, ni précisément contre qui, mais je l'étais. Il me semble que ça avait un rapport avec les duos de remontées mécaniques et comme nous étions trois filles d'à peu près le même âge, ce genre de frictions étaient assez récurrentes, surtout en dehors du site sur lequel on allait descendre les pentes habituellement. Là, il y avait toujours un paquet de personnes que l'on connaissait suffisamment pour vivre des remontées agréables, à peu près en tout temps.

Bref, j'étais fâchée et comme toute ado qui se respecte, non comme toute moi qui se respectait, je me vautrais dans mon drame. J'étais incomprise, délaissée, maltraitée, choisissez l'attribut qui vous plaît dans le lot, je me les accordais tous, convaincue que personne au monde ne pouvait expérimenté pire journée que la mienne.

Selon ma bonne habitude, dans ce genre de circonstances, j'écrivais. Je n'avais pas de papier, pas de cahier avec moi, il était rare que je pense à apporter ce matériel indispensable, pourtant, à mes épanchements. Je me servais donc d'un napperon en papier pour exprimer toute ma frustration. Au bout d'un moment, un garçon inconnu était venu s'asseoir devant moi et m'avait parlé. Au début, sa présence m'avait irritée, parce qu'elle me forçait me sortir de mon auto-complaisance et que mes treize ou quatorze ans ne voyaient vraiment pas en quoi une discussion avec un inconnu aurait pu être plus intéressante que l’apitoiement dans lequel je versais.

Mais bon, il était rigolo, plein de confiance en lui et de charme. Il m'avait invité à aller faire une couple de descentes en sa compagnie, ce que j'avais refusé vu que l'heure du rendez-vous de fin de journée approchait à grands pas. Les filles étaient venues me cueillir sur ces événements et j'avais quitté mon nouvel ami sans trop de regrets. Je me battais avec le support à skis pour en déloger les miens quand il était venu à ma rescousse, me donnant franchement l'impression que j'étais une empotée de premier ordre, et j'avais rougi sous son regard amusé.

Il m'avait fait un tout petit bisou sur les lèvres avant de donner deux puissantes impulsions à ses skis pour s'éloigner de moi pour toujours.

C'est ce jour-là, je crois, que j'avais pris la décision que j'étais assez grande pour cesser de me cacher dans les gardes-robes pour éviter de donner la bise aux invités.

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jeudi, mars 09, 2017

Le soliloque

Sur le quai, un homme se tient près d'un renfoncement d'un mur. Il tient un journal à l'envers à la hauteur de son visage. À ses côtés, un chariot à roulettes, de ceux qui sont couverts pour permettre à leurs utilisateurs de laisser leurs emplettes au sec. Je sais qu'il traîne dans le secteur depuis un bout de temps parce que j'ai eu un mini souci de sac éventé, j'ai donc laissé passer un train avant de me récupérer entièrement, et j'ai bien vu qu'il n'a pas bougé de son emplacement.

Son refuge est situé exactement devant l'endroit où j'attends ordinairement le prochain train. Alors j'entends ce qu'il dit derrière son journal: « Madame, moi je peux vous nommer tous les préjugés racistes que vous portez ». Ça m'a saisie. Comme s'il s'adressait directement à moi, de l'autre côté de ses feuilles de papier qui lui tiennent lieu de paravent. Il soliloque des imprécations sur le racisme dont il se croit victime pendant les longues minutes qui s'écoulent avant l'arrivée du prochain train. Il a ce phrasé à la fois musical et caractéristique des gens nés dans un pays du Maghreb, mais installés ici depuis un moment déjà parce qu'il y a quelque chose dans l'ouverture des « a » qui trahit une longue accoutumance de la parlure québécoise.

Il règne une certaine tension sur le quai. Personne ne répond à l'homme, pourtant toutes l'ont entendu, et la plupart des hommes présents sur la scène aussi. C'est d'une évidence crasse qui se mesure à l'aune des coups d'oeil qui s'échangent, l'air de rien. Au bout d'un moment, le discours change et on l'entend plutôt dire: « Ils ont laissé leurs femmes agir comme bon leur semble et voilà ce qui se produit, plus de respect pour la parole des hommes ». Nous sommes trois à relever la tête simultanément. Il ne nous voit pas, puisque son journal est toujours stratégiquement placé à la hauteur de son visage. Le malaise sur le quai, lui, est de plus en plus palpable. Personnellement, je pourrais avoir bien des choses à répondre à ce genre de discours, sauf que je suis convaincue qu'aucune discussion n'est possible : l'homme semble bien arrêté sur ses positions et sa mise en scène toute personnelle, laisse croire qu'il a envie d'accuser, pas d'entrer en dialogue.

Je suis à peine soulagée quand le métro rentre en gare. Même si j'avais vu l'homme, un peu plu tôt rester à son poste, je me dis que dans l'espace confiné d'un wagon, son discours serait encore plus audible et dérangeant. Il reste sur le quai tandis que tous ses auditeurs involontaires entrent dans la voiture. Et comme les portes se referment, on entend un soupir collectif. Je ne sais pas si nous avons peur de sa différence, de sa colère, de son esprit de vengeance, mais visiblement quelque chose nous titille le groupe. Même si nous sommes tous étrangers les uns pour les autres.

Au fond, ce n'est qu'un marginal de plus qui se tient sur le même quai, de la même gare, que tous les autres que je vois, qui m'effraient un peu par leur différence, leurs discours paradoxaux, agressifs ou même haineux. À cet endroit précis de la jungle urbaine, ils revendiquent leur droit de cité. Ils me mettent souvent sans dessus-dessous cependant ils ont autant le droit d'y être que moi.

Que je me le tienne pour dit...

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dimanche, mars 05, 2017

Trame sonore

Je ris souvent de mon accent quand je tente de parler une autre langue, particulièrement l'anglais qui est la seule autre langue que le français dans laquelle je puis soutenir une conversation. Mais je n'ai décidément pas les muscles buccaux assez travaillés pour y être bonne, c'est une vérité de la Palisse puisque dans ma bouche, white, right et write sonnent exactement de la même manière. Au moins, suis-je parfaitement capable de me faire comprendre et de comprendre mes interlocuteurs.

Ceci n'a cependant pas toujours été vrai. J'ai aimé des chansons, particulièrement à l'adolescence, sans en saisir le sens et sans trop me poser de question non plus. J'aimais la musique, c'étaient des pièces à la mode, c'était suffisant. Avec le temps, j'ai apprivoisé cette langue, je la lis bien, la parle convenablement, si on fait abstraction de l'accent et quelquefois même, le temps où je mes oreilles se mettaient systématiquement en mode absence quand on parlait anglais à côté de moi me manque. Aujourd'hui, je comprends aussi aisément une conversation dans cette langue que dans la mienne, à tout le moins dans les rues de Montréal.

Mon passé de joyeuse ignorante me revient néanmoins souvent au visage. Hier nous avions cette discussion à cause d'une chanson qui jouait à la radio du magasin. Je ne le connaissais pas du tout à l'énorme surprise des employés. C'était une ballade assez sirupeuse de celles dont sont friandes les pré-ados ou les très jeunes ados. Ça avait été populaire au début des années 2000, à peu près à l'époque ou j'étais personnellement en plein milieu du pays des zombies, ce qui fait que je n'étais pas du tout surprise d'avoir complètement loupé cet épisode musical. D'autant que je me suis débranchée des radios commerciales depuis bien avant cette date alors l'étendue de mon ignorance en musique pop anglo est plus que vaste.

Bref, une employée m'a alors dit qu'elle avait un attachement tout particulier à cette chanson parce qu'elle avait été la trame sonore de son premier slow et de son premier french. Tout naturellement elle m'a demandé quelle avait été la chanson pour moi. J'ai donc répondu que le premier slow était Careless whisper. J'allais laissé ça là sauf que je n'ai pas pu résister à la question muette des grands yeux verts qui me regardaient en attendant la suite. J'ai fini par dire que le premier french avait eu lieu sur Take my breath away et que ça avait été aussi agréable qu'un traitement de canal. Penchant la tête sur le côté gauche, l'employée m'a alors dit : « ah ben au moins, ça fite »

Et je me suis aperçue qu'elle avait raison. Je n'avais jamais associé la signification des mots du titre de la chanson avec les événements, parce qu'évidemment, dans ce temps-là, je n'avais absolument aucune idée de ce que ça voulait dire.

Comme quoi, dans la vie, parfois, les trames sonores sont aussi bien accordées à la réalité que dans les films, même si je sais fort bien qu'au sens figuré le titre de la pièce avait quelque chose beaucoup romantique que mon premier baiser mouillé.

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jeudi, mars 02, 2017

La bonne parole

À mon arrivée au travail aujourd'hui, j'ai été informée qu'un drôle de zigoto était venu hanter nos locaux en fin de soirée hier. Rien de bien méchant, seulement, il revenait d'une soirée de prières et il promenait son prosélytisme en faisant semblant de magasiner des dvd. Il avait passé une bonne demie-heure avec la libraire à essayer de la convaincre de suivre son cheminement religieux. Le gestionnaire en présence avait du intervenir de manière assez claire pour que le jeune homme finisse par quitter la succursale et laisser la libraire en paix. Mais il était revenu à deux reprises, mais n'avait fait que traverser en voyant que le gestionnaire était bien présent sur l'aire de ventes.

À vrai dire, nous ne nous attendions pas à le revoir de sitôt. Mais non. Vers 19h45, il est entré. La libraire m'a tout de suite avisée que c'était le zigoto en question, et m'a informée du même souffle qu'elle ne le servirait pas. J'étais bien d'accord avec cette décision. D'autant que ça fait partie de mon travail d'aider les employés dans des situations inconfortables, je peux d'ailleurs affirmer que je suis très douée pour éviter de tomber dans ce genres de discussions et mettre clairement mes limites.

À peine arrivé, il s'est dirigé vers la libraire d'un pas alerte et lui a demandé un film précis, qu'il était certain d'avoir vu la veille, mais qui n'était plus en rayons. Elle avait fait la fille de l'air et j'ai pris le client en charge comme si de rien était. C'était un drôle de jeune homme, dans ce qu'il dégageait autant que dans son apparence. Il était roux et avait les yeux bleus foncés. Ça donnait l'impression que ses yeux étaient aussi noirs et faux que ceux des personnages de personnes hantées par un mauvais esprit dans les films d'horreur et de science-fiction. Pas rassurant. J'avais rapidement trouvé le film qu'il cherchait, tandis que ses questions se mettaient à me pleuvoir dessus. Je débutais la seconde recherche quand il m'a annoncé qu'il était venu la veille et que la libraire avait été si gentille, mais que visiblement elle n'était pas prête pour sa bonne parole.

Sans le regarder, je lui avais répondu que ce n'était certainement pas judicieux de venir dans un commerce, propager sa foi avec des gens qui n'en avaient pas nécessairement envie et qui avait des obligations à remplir vis-à-vis leur employeur, ce qui ne comprenait pas, évidemment, de porter une oreille attentive à des partages comme celui qu'il avait fait. Du coin de l’œil, à ce moment, je voyais la libraire se faufiler entre deux allées pour pouvoir aller rire en paix, un peu plus loin. Il m'avait alors répondu « Ah, vous non plus, vous n'êtes pas prête ». Il s'était détourné illico, et avait poursuivi sa fouille afin de trouver un troisième titre pour compléter la promotion dont il voulait profiter. Je ne sais pas trop comment il s'était débrouillé pour tout de même me faire connaître d'autres informations qu'il jugeait de première importance, mais toujours est-il que j'ai su, en quelque chose comme trois minutes, qu'en fait il avait fait de la prison et qu'il était schizophrène.

Bon... Je n'ai rien contre les marginaux, je comprends qu'ils ont tout un cheminement à faire pour s'accepter et se faire accepter, je sais que je n'ai été ni bête ni méchante avec lui, mais je ne suis pas le genre de femme à qui on peut venir partager la bonne parole et que j'en sois ravie, surtout lorsque je suis au travail et que je me sens d'autres responsabilités que celles d'être la psychologue des clients de passage.

Il avait fini sa sélection, avait complété ses achats et à notre grande surprise, il m'avait dit en quittant : « Merci madame, pour votre gentillesse ».

Comme quoi, mettre une limite, n'est pas toujours si mal perçu que ce que l'on pourrait croire.

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