samedi, octobre 25, 2008

La petit reine

Du lundi au vendredi, elle se meut au centre de sa cour, pavanant sa blondeur presque indécente sur le petit monde qu’elle s’approprie. Du haut de ses quatorze ans, elle se sent tous les droits. Elle est jolie, elle le sait. Cela lui permet de s’arroger tous les droits sur ses pairs. Souvent, elle pousse l’audace pour se prévaloir du droit de se mettre au cœur de l’existence de tous ceux qu’elle croise. Dans l’autobus bondé des jours de semaine par exemple, elle parle plus fort que tout le monde, prenant un malin plaisir à crier des commentaires au gens qui sont le plus loin d’elle possible. Ainsi tous les quidams qui s’entassent autour d’eux sont-il témoin de son importance, de celle qu’elle se donne, de celle qu’on lui donne.

La plupart du temps, elle écoute de la musique sur un téléphone cellulaire. Point pour elle d’écouteurs, ce n’est pas nécessaire, son petit joujou fonctionne sans, ainsi elle peut faire profiter à tous ceux qui la croise de ses goûts musicaux. Qui ne sont pas les miens. Et forces de commentaires sur la pertinence de cette musique ajouteront aux bruits ambiants. Que les autres ados approuvent sans hésitation. Elle est celle qui sait. Qui connaît la valeur de tout un chacun sur ce trajet. Et surtout la sienne.

Je vois bien le mépris dont elle me toise. Je ne suis après tout qu’une vieille femme qui croise sa route tous les jours. Je n’ai même pas d’amis avec qui parler dans le transport en commun, alors je me mure dans un livre. Je sais que pour cette jeune demoiselle, c’est le comble du déshonneur. Cette solitude absolue qui lui raconte que je n’ai pas plus d’importance qu’un grain de sable dans l’univers, tandis qu’elle se donne bien du mal pour s’assurer de prendre toute l’importance à laquelle elle croit avoir droit.

Parfois, les adolescents sont tellement tumultueux que je n’arrive pas à me concentrer sur ma lecture. Alors je laisse dériver mes oreilles sur leurs conversations bruyantes et souvent ineptes. Je n’arrive que rarement à bien dissimuler mes sourires. Lorsqu’elle les attrape au passage, je sens que je la choque. Peu m’importe, en fait, ce qu’elle pense, je me retrouve à toutes les fois catapultée dans un passé depuis longtemps révolu. Ce moment de ma vie durant lequel j’avais moi-même quatorze ans et où je me définissais à travers le regard de mes semblables, ce moment durant lequel je n’étais certes pas la reine des lieux. Les reines de mon époque, en réalité, n’étaient pas très gentilles. Et quelque chose dans son attitude à elle m’affirme que l’histoire se répète aujourd’hui.

Malgré ses coups d’œil qui m’assassinent à chaque fois que flotte un sourire sur mon visage parce que je suis prise dans le milieu de l’ouragan de ce monde adolescent, je la vois se raidir et me juger. Je retiens à grand peine mes éclats de rire en me disant que, franchement, je suis bien aise d’en avoir terminé avec cette partie de ma vie. Maintenant, je n’ai plus autant besoin de l’approbation d’autrui à toute heure du jour.

Même si je dois admettre que l’approbation fait beaucoup de bien.

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