dimanche, octobre 19, 2008

L'humour de la fuite

Elle n’était pas précisément gentille à son égard. Un brin trop fonceuse, un brin trop baveuse. Il la trouvait tellement vive, tellement intelligente et jolie. La plupart du temps, son attitude le faisait rire. Mais quelquefois, il trouvait qu’elle allait trop loin dans ses taquineries. Surtout celles concernant leur différence d’âge. Il n’était pas si jeune après tout, deux minces années les séparaient, mais elle continuait à enfoncer le clou comme si ses sentiments heurtés n’étaient que des dommages collatéraux auxquels il n’était pas essentiel qu’elle porte importance.

Malgré tout, il la désirait comme un homme désire une femme. Dans toute l’intensité de sa jeune vingtaine pas trop expérimentée. Elle le savait. Parfois, elle lui jetait ce regard intense qui évaluait la situation réelle, ce qui se terrait dessous l’humour acéré de ses paroles. Ça ne durait jamais très longtemps. Elle reprenait rapidement les sentiers connus des blagues qui créent une certaine distance, tout en favorisant les rapprochements. Pour se défendre, il se mettait aussi à l’humour, de façon maladroite, pour faire le punch, se sentir à la hauteur. Alors elle lui disait : « Tu fais tellement d’esprit de bottine que tu vas finir par t’emmêler dans tes lacets. » Et il avait envie d’hurler « Mais si tu m’écoutais quand je te dis autre chose que des niaiseries, je n’aurais pas besoin d’en arriver-là! » Règle générale, il passait cette information sous silence.

Il s’était battu pour elle, battu pour attirer et garder son attention. À coup, de soirées qui n’en finissent plus et de présence à tout moment. Il s’était rendu pratiquement indispensable, ami fidèle des hauts comme des bas de la jeune femme. Il savait qu’elle portait une peine d’amour qui lui avait lacérer le cœur, qu’elle n’avait cure de ces histoires d’amour qui finissent toujours par laisser des plaies béantes sur leur passage. Elle se trouvait dans le rebond de ces peines, cet instant durant lequel le désabusement l’emporte largement sur l’enchantement. Il arrivait à François de se dire que c’était justement cela qui l’attirait; l’envie de sauver Amélie malgré elle.

De son côté Amélie avait souvent l’impression d’être devenue ce qu’elle avait si longtemps détesté ; une femme qui joue de son pouvoir comme d’autres caressent les cordes d’un violon du bout de l’archet. Prise de culpabilité durant de brefs moments elle lui disait qu’ils feraient peut-être mieux d’arrêter de se voir. François, alors, défendait sa position bec et ongles, lui affirmant qu’il était assez grand pour décider lui-même lorsque ça ferait assez mal pour le mettre en danger.

Et puis, il quitta la ville pour poursuivre des rêves professionnels ailleurs. Créant ainsi une césure dans la relation. Un temps d’arrêt permettant une vue d’ensemble sur la situation. Seulement, François avait dû se rendre à l’évidence que la peau d’Amélie hantait encore ses doigts et ses songes. Qu’il s’était somme toute largement attaché. Alors prenant son courage à deux mains, un soir où il était de passage dans sa ville d’origine, il lui avait dit : « Tu sais Amélie, si tu avais voulu de moi à l’époque, tu ne serais sans doute plus toute seule aujourd’hui. » Elle avait répondu : « Je sais à quel point tu m’aurais aimée, et bien aimée. Je connais ton cœur et ta générosité. Je sais que j’ai créé toute seule ma solitude, et je suis vraiment désolée de t’avoir blessé. » Il lui fit un demi sourire, si triste, avant de tourner les talons et ne plus jamais revenir sur ces sentiers où il pourrait la croiser. Se jurant que, cette fois-ci, il serait guéri. À ma connaissance, il a réussi.

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2 Commentaires:

Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

il y a un gout incroyable dans tes écrits


www.editionslilo.com

6:07 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Merci beaucoup. Merci surtout d'avoir pris la peine de t'arrêter pour me laisser ce magnifique commentaire.

1:31 p.m.  

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