dimanche, avril 03, 2005

À propos de frissons

« Le monde ne sait pas frissonner »

Je n’ai pas compris lorsque tu m’as sorti cette phrase que tu parlais au sens propre du terme. Depuis cette discussion, dans la morsure d’un printemps hésitant, je me demande jusqu’à quel point le figuré de cette phrase est faux. Et je me dis qu’en fait, tu as probablement bien résumé une bonne part de mes problèmes avec la vie.

Il aura fallu que tu reviennes de l’autre côté du monde, là où il n’y a qu’une saison chaude et une saison trop chaude, pour me faire réaliser que je n’ai pas toujours su frissonner. Je me suis trop souvent engoncée dans des comportements acquis qui me tiennent en laisse. Je suis passée à côté d’un paquet de trucs importants.

Te souviens-tu de mes discours grandiloquent sur le film Dead Poet Society? Peut-être pas. Peut-être que je ne te connaissais pas à l’époque. Mais ce film nous apprenait à saisir le jour. Ce que j’ai tant voulu faire adolescente. Je me rends compte, à presque 32 ans, que je n’y suis pas du tout. J’ai oublié mes objectifs romanesques pour m’enfoncer dans une vie d’adulte pleine de responsabilités, dans laquelle avenir rime avec amortir. J’ai voulu être grande, j’ai voulu me sécuriser et je me suis enfoncée dans mes peurs. Un millier de peur pour une seule fille.

Peur d’aimer et d’être aimée. Peur de gagner comme celle de perdre. Peur d'être abandonnée. Mais avant tout peur du ridicule : laissant ainsi à d’autres le droit de diriger ma vie par le seul regard qu’ils portent sur moi. Je suis tombée à un certain moment.

Depuis quelques mois je me relève. Étrangement, j’ai vraiment réussi à mettre la plupart de mes peurs de côté : elles ne sont plus mon principal moteur. «Qui suis-je? Que fais-je? Où vais-je?» sont encore des questions ouvertes auxquelles je n’ai pas de réponse, mais au moins je n’ai plus l’impression d’être attachée à un boulet qui me draine vers les fonds d’océans.

Je crois que j’ai finalement appris à frissonner; à canaliser mes craintes et à en faire des outils positifs. Je crois que je sais, aujourd’hui, frissonner devant la beauté des gens, ou l’horreur qu’ils m’inspirent. Je sais le faire sous un regard ou une caresse. Je sais me rendre compte du froid ou du dégoût aussi. En gros, je sais reconnaître et sentir la vie.

C’est dans le calme étrange, la sérénité de ta voix que j’ai trouvé la sécurité nécessaire pour me dire que je pourrais oser frissonner davantage et ainsi tenir le pacte que je m’étais fait adolescente et de vivre ma vie plutôt que de la regarder passer.

3 Commentaires:

Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Ca m'a donné des frissons. Un peu comme un récit d'une seconde naissance. J'espère que tu fais tout pour honorer ton pacte d'adolescente.

Je me suis toujours dit que la peur et la paresse étaient mes pires ennemis. Sun Tzu recommande de bien connaître ses ennemis pour les vaincre.

Affronter l'autre, affronter la vie, le/la prendre par les cornes...

9:30 a.m.  
Blogger La Souris & Myrrha s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Je suis le commentaire deleté de ce matin...

Ton texte a failli me faire pleurer...c'était excellent!

4:21 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

C'est très étrange que vous lisiez mon texte de cette manière. Pour moi ce n'étaient que des réflexions que je disais à mon ami Australien qui est trop peu souvent présent ici pour les échanges verbaux. Mais si je vous ai touché, j'en suis ravie.

9:04 p.m.  

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