mardi, octobre 02, 2007

L'ombre de l'éléphant

Dans ma jeune adolescence, je foulais les trottoirs de ce quartier tellement loin du mien certaine que j'étais rendue à un certain bout du monde. Ici, rien ne ressemblait à ce que je connaissais. Les nuits étaient agitées, pleines des bruits de la circulations abondantes de la rue Ste-Catherine ainsi que les échos de discussions salaces dont je ne comprenais pas tout le sens. Mais je me rappelle très bien que j'avais l'impression d'avoir été brusquement plongée au coeur d'un triller américain, dans une zone de danger qui m'était jusque là inconnue. Même les jeunes de mon âge étaient totalement différents de ceux que j'avais connus jusqu'à ce moment. Dans mon coin du monde, les enfants étaient choyés, entourés par des parents présents, dans cet autre univers, je faisais connaissance avec les effets de la pauvreté; la pauvreté qui n'était pas dans la télé et encore moins dans un pays éloigné.

À quelques rues de là, en haut d'une côte qui m'apparaissait insurmontable, il y avait des appartements de luxe dans des bâtiments rappelant vaguement des pyramides par leur forme étrange. Un univers d'adultes dans lequel les seuls enfants présents étaient des visiteurs. Dans les corridors de ces édifices, nous devions marcher calmement : interdiction formelle de courir ou de crier. C'était une épreuve pour l'enfant que j'étais. Surtout les jours où je portais des souliers de course tout neufs et que j'avais l'impression qu'ils courraient plus vite que la paire que je venais d'abandonner parce qu'elle ne faisait plus sur mes petits pieds. J'ai fréquenté cet endroit pendant cinq ou six ans, jusqu'à ce que ma grand-mère meure, et c'est vers cette époque que j'ai commencé à visité l'autre quartier, celui du bas de la côte. Sans toutefois me rendre compte que ces deux univers, si dissemblables se jouxtaient.

Et puis un jour j'ai appris le sens de l'expression « éléphant blanc ». J'ai appris que le plus grand symbole architectural de Montréal, ma ville, en était un. Le stade Olympique, incomplet en 1976, incomplet encore dans les années 1980 qui était à la fois le plus gros gouffre financier et le bâtiment le plus éléphantesque de la ville. Je devais avoir treize ans quand j'ai réalisé que le stade était tout près de chez ma grand-mère et de chez cette amie qui m'amenait dans une réalité que j'avais jusque là ignorée. Dans mon petit snobisme innocent d'adolescente, je me disais que jamais je n'irais m'installer dans ce creux de vallon si loin de tout ce que je connaissais, dans ce qui m'apparaissait comme l'antre de la pauvreté montréalaise.

Mais la vie joue bien des tours. J'ai choisi de quitter la maison familiale assez jeune. Et je suis un jour revenue dans ce quartier que je jugeais si froidement autrefois. C'est là que j'ai trouvé un appartement dans lequel je suis bien. Loin de tout, mais bien. Et puis, ce quartier a changé en vingt ans. Ou peut-être est-ce simplement mon regard qui a changé. J'ai appris à connaître tous les détours des rues de ce quartier. J'ai appris à en aimer les parcs et les marchés. J'ai appris à m'y sentir en sécurité. J'ai rencontré des quantités de gens sympathiques qui me saluent sur la rue simplement parce que désormais il me reconnaissent comme l'une des leurs puisque je ne suis plus simplement une visiteuse impromptue.

Et toujours, depuis le mois de mai, quand de mon vélo je vois le mat du stade, je sais qu'au prochain tournant je n'aurai plus qu'à suivre l'ombre de l'éléphant pour arriver chez-moi. Comme si j'avais toujours fait partie de ce morceau de pavé-là.

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2 Commentaires:

Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

je suis une jeune fille qui depuis, voila bientot trois ans, lis cet "ailleurs", qu'est ton blog, sans jamais y laisser mes traces. Tes textes me rejoingnent toujours, et lorsque j'entre dans une librairie, je me plais a épier les vendeuses et libraires, me demandant si la talentueuse écrivaine dont les textes mettent des sourires dans mes yeux, est celle qui se trouve devant moi. J'ai grandi pres du quartier Hochelaga-Maisonneuve, dans Rosemont, et les " pyramides" ont toujours marqué l'endroit où j'entrais chez moi. Le stade, c'était tout simplement l'endroit ou mes parents travaillaient,au biodome. Cétait mon terrain de jeu, l'endroit ou jai fait mes premiers pas. Je ne sais pas pourquoi, mes je suis restée très attachées a ce coin du "monde". Lorsque j'ai envie de me sentir vraiment " chez moi", je cours jusqu'au metro et je débarque quelque pars entre le metro maisonneuve et viau...et pour toujours, je sais qu'il existe une endroit ou cest, partout et nulle part "la maison". Merci pour tes textes magnifiques.

9:20 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Gabrielle : Quel beau message! Merci beaucoup d'avoir pris le temps de t'arrêter pour l'écrire. Il me fait toujours chaud au coeur de voir un brin de ce que pensent ces gens qui me lisent et ne me connaissent pas.

11:03 a.m.  

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