lundi, juillet 02, 2007

Moi (et mon père)

La plupart du temps, lorsque j'arrête d'écrire, ou que je ralenti le rythme de mes publications, c'est parce que je ne vais pas bien. Je me défendrai toutes les fois de visiter de trop près les spleens qui m'habitent, je nierai jusqu'au bout de mon âme, l'évidence. La plupart du temps c'est ce qui se produit. Mais il arrive parfois que ce soit l'effet d'un petit détour du destin. Mon silence actuel est dû à une demande que l'on m'a faite. Une demande en toute innocence. Pour la fête des pères. Une amie m'a enjoint d'écrire un texte sur le sujet. Et je me suis retrouvée pieds et poings liés à mes silences. Prise dans l'étau de la culpabilité, incapable d'écrire. Sur quoi que ce soit, enchaînée à cette question que je ressentais comme une obligation. Malgré le fait qu'il n'en était rien.

Comment, en effet, écrire sur la fête des pères quand on vit dans ma peau? Je n'ai pas de papa. J'ai un père, pas de papa. C'est un homme avec lequel j'ai coupé toute forme de relation depuis quelques années déjà. J'ai passé trois ans à me torturer l'esprit parce que j'avais pris la décision d'arrêter de lui parler. Parce que d'être en relation avec cet homme là me faisait angoisser. Paradoxalement, ne pas l'être me faisait aussi angoisser. Dans la longue spirale qui m'a menée à la dépression, le questionnement sur cette absence relationnelle, la culpabilité inhérente à cet état de fait, me plongeait dans des gouffres de doutes. Comment vivre une mort éventuelle sans avoir pardonné, fait la paix avec cette personne, à qui je dois en partie, ma propre vie? Et cette question revenait sans cesse dans la bouche de mes interlocuteurs. On me disait : « C'est ton père, tu n'en as qu'un. Il y des gens qui n'en n'ont pas du tout, plus du tout, comment peux-tu le rejeter ainsi? » Comment le pouvais-je?

Alors, j'ai pris sur moi de renouer. Décidé de le prendre dans ce qu'il est. Décidé que malgré tout j'étais capable. Ce n'est pas une mauvaise personne. Simplement quelqu'un avec qui je ne suis pas capable d'être moi et d'être bien en même temps. Il y a une impossibilité relationnelle. Entre ma personnalité et la sienne. C'est mon père. Ce n'est pas mon papa. Ce n'est pas une personne vers qui je puisse me tourner quand tout va mal. Pas quelqu'un à qui je puisse dire : « Je me sens impuissante, console-moi ». Il m'a plus que convenablement nourrie, abritée, éduquée. Il a adopté le rôle du père tel qu'il le voyait : pourvoir à nos besoins matériels.

Je suis une petite bonne femme exigeante, fille de mon tempérament vif et passionné. Il m'importe que les relations soient vraies. Que les choses soient nommées. Je ne peux pas regarder une personne jouer à l'autruche toute sa vie, niant toute forme de responsabilité dans tout ce qui ne fonctionne pas dans son existence en lui donnant mon aval en même temps. Je ne suis pas une fille parfaite. Je suis incapable de vivre avec les reproches latents des additions de mes manquements. J'ai compris depuis longtemps que je ne pourrais jamais aimer cet homme de la manière dont il le voudrait. En lui donnant raison sur tout. Je ne suis pas faite de cette fibre-là. D'ailleurs je ne pourrai jamais aimer personne de cette manière. J'aime les gens en tenant compte de leurs qualités et de leurs défauts. Parce que je me sais femme de qualités comme de défauts. Dans mon optique, ce qui fait l'unicité d'un être c'est justement ce curieux mélange qui crée un certain équilibre. Et puis aduler quelqu'un nous met dans une situation de déséquilibre avec laquelle je ne suis pas à l'aise. Malgré le fait que mes passions et mes coups de gueule me placent souvent sur le fil du rasoir. Après un an, j'ai crié « Basta » de toutes mes forces et j'ai ,à nouveau, coupé la communication.

Je ne pouvais pas écrire un texte à l'occasion de la fête des pères pour dire ce que j'ai à dire sur mon propre père. J'aurais eu l'impression de vouloir me faire plaindre. Et ce n'était pas du tout mon but. Seulement, je n'ai pas de papa, je n'en ai plus depuis longtemps. Il n'y pas non plus d'homme dans ma vie qui soit le père des enfants que je n'ai pas. Je suis orpheline de cet espace affectif précis. Cependant, je ne veux pas qu'on me prenne en pitié. J'ai pris la décision que j'étais mieux sous l'opprobre de mes pairs, et celle de mon père que fille soumise d'un amour que je n'arriverai jamais à rendre de manière satisfaisante à ses yeux. Et depuis que j'ai fait la paix avec cette décision, je suis beaucoup mieux.

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10 Commentaires:

Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Il parait ue nous ne sommes pas obligés d'aimer nos parents. Mais la douleur, celle de ne pas avoir eu de papa ou de maman, cette douleur là reste, Tout le temps.
Je sais que tu ne fais pas pitié, tu es orpheline comme d'autres sont handicapés ou malades.
J'aime beaucoup ce que tu fais.

1:48 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Bravo de pouvoir écrire de façon détachée cette grande peine d'amour. J'espère que ce long chemin te mènera vers ton amour, le papa de tes enfants.

3:56 p.m.  
Blogger La Souris (Marie-Ève Landry) s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Comme je le dis souvent; «Ce n'est pas le lien du sang qui fait la famille».

La vie m'a appris que les véritables membres de ma famille sont ceux que j'ai choisi.

Il ne faut jamais se sentir coupable de se choisir soi-même lorsqu'on fait face à une relation qui nous rend malheureuse...

Peu importe les dogmes qu'on nous ramène à la journée longue: si ça fait mal, ça veut dire que ce n'est pas bien pour nous.

p.s.: Encore une fois désolée pour la crémaillère (tu as eu mon message j'espère)...

6:04 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Le geste que tu poses en écrivan ce texte est signe que tu as vraiment passé une autre étape. Je ne peut qu'admirer ton courage!

11:51 a.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Aki : Non, nous ne sommes pas obligés d'aimer nos parents... N'empêche que l'amour est là tout de même. Ce n'est pas l'absence d'amour qui m'a fait baisser les bras, c'est l'impossibilité d'avoir d'être en relation positive.

Quand à la douleur... Honnêtement, je ne la ressens plus vraiment.

Miche : Je crois que j'ai vraiment fait le deuil de cet amour-là. Tout simplement.

Souris : Est-ce que ça faisait mal? Oui sans doute, mais surtout ça m'amenait continuellement sur les rivages de la panique et c'est cela que j'ai quitté.

Alex : Pas certaine que ce soit du courage, ni de la sagesse. Je crois que c'est plutôt le résultat d'un long cheminement intérieur.

12:03 p.m.  
Blogger Sauterelle s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Tu sais que je te dis bravo. Et que je te fais un hug, puisque maintenant tu acceptes la chose!

12:26 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Pour répondre un peu à tout le monde et par solidarité d'orpheline-de-l'amour aussi; je suis en parfait accord avec le texte de Mamathilde.

Cependant, s'il est vrai que l'on est pas obligé d'aimer nos parents; que fait-on lorsqu'on a l'impression que, quoiqu'on fasse, ils ne nous aimeront jamais ?

Que cette blessure béante, même si l'on fait un immense travail sur soi; ne pourra être refermée que par celui (ou celle) qui l'aura ouverte ?
***
Je le sais, parce que je te connais, tu n'as écrit ce texte non pas par sursaut subit de courage, ni pour régler des comptes...

Tu l'as fait simplement parce que tu en ressentais le besoin viscéral.

Je sais que tu n'aimes pas les bravos; mais je t'en envoie un méga-gros.

P.S. Si ça peut apporter un peu de positif; j'ai revu "le flou artistique" après 14 ans de silence radio intense... Et, ma foi, ça ne s'est pas trop mal passé... Comme quoi, le temps fait son oeuvre...

P.S. Tu passes à la casa quand tu veux; on se voit plus. :-(

7:48 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Encore une fois, ton texte m'a beaucoup fait réfléchir, Mathilde.

Si on changeait les "papa" pour des "maman", ce serait tout à fait moi. Enfin presque. Tu dis que ce n'est pas du courage, mais c'en est. Je le sais parce qu'à 32 ans, je n'ai pas encore osé ériger cette barrière libératrice entre elle et moi.

Vrai que c'est difficile de ne se savoir aimé que pour ce qu'on n'est pas vraiment, mais ce l'est encore plus de cesser définitivement de jouer le jeu de la bonne fille.

J'te lève mon chapeau.
Voilà.

10:26 a.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

C'est drôle comme je me sens coincée avec ce que j'ai envie de dire sur ce texte, Mathilde. Il y a très peu de temps je croyais que rien n'était possible avec mon père. Et puis j'ai compris que ce que je lui reprochais était la résultante non pas de sa seule personnalité, mais aussi de la mienne. Ca ne change pas nécessairement TOUT, mais ça peut aider.

(bien sûr je ne te donne aucun conseil ou aucun encouragement ici, je sais que c'est bien plus compliqué que ça)

12:34 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Sauterelle : Je suis bien contente que tu sois fière de moi!

Liju : Comme tu l'as présenti, je ne l'ai pas écrit contre personne mais pour moi ce texte. Je ne veux pas rendre cette personne plus horrible qu'elle ne l'est. Je ne suis pas capable d'être en relation avec cette personne là, point. De surcroit, je sais qu'il m'aime, à sa façon.

Diane : Ce dont je suis particulièrement contente de ce texte c'est que j'arrive maintenant à en parler sans me mettre dans tous mes états. Parce qu'évidemment, ce type d'orphelinat vous met dans tous vos états.

Mélie : Je suis heureuse pour toi que tu y sois arrivée. Je me doute que mon père n'est pas le seul responsable. M'enfin, tout mon problème réside dans le fait que nous sommes incapables de communiquer de manière gratifiante.

9:23 a.m.  

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