jeudi, octobre 13, 2005

Les indiscrétions

Il fallait que je mange : je n’avais avalé que quelques fruits depuis mon réveil. Il était presque 16h00. Après avoir déposé mes sacs, je suis allée faire les courses pour le souper. Sur le chemin du retour, je me suis arrêtée dans un casse-croûte pour me sustenter.

C’est un quartier qui recommence à vivre. Les devantures des magasins on reprit du pimpant. Je ne l’ai connu qu’à l’été; lorsqu’il bat dans un rythme lent, sous le soleil. Cet après-midi-là, l’automne avait déposé sa bise sur les êtres qui le fréquentent. Les pas pressés se succédaient et j’entendais le vrombissement de mille discussions sérieuses autour de moi.

J’ai pris le plateau que la caissière me tendait et je suis allée m’assoire dans la vitrine. Pour observer. J’avais attrapé un journal que j’ai ouvert devant moi sans le lire parce que mes oreilles captaient la discussion à la table voisine. Les femmes étaient particulièrement mal fagotées. Les couleurs criardes de leurs tenues juraient entre elles. Sans les regarder vraiment, je pouvais deviner les mauvaises teintures de leur cheveux abîmés. Elles devaient avoir l’âge de ma mère, mais paraissaient âgées de trente années supplémentaires.

L’une racontaient sa vie a bâtons rompus. La cruauté de son homme. Les coups. L’alcool et la drogue. Et ce fils qui avait tout vu et tout entendu. Ce fils qu’elle n’avait su protéger du monstre. Elle disait qu’elle ne savait pas qu’elle pouvait partir. Qu’elle était restée beaucoup trop longtemps. Qu’encore aujourd’hui elle parlait à cet homme parce qu’il avait besoin d’elle. Moi, j’écoutais triste de sentir la détresse et le manque de ressources de cette femme. L’autre lui a demandé ce qui l’avait fait partir. Elle a répondu : « c’est quand Lise Payette a inventé le féminisme.»

J’aurais pleuré. Évidemment, ce n’est pas Lise Payette qui a inventé le féminisme. Elle a été une digne porte parole de ce courrant. A travaillé pour que les femmes sachent qu’elles n’avaient pas a tout endurer. Pour la femme à mes côtés, madame Payette était plus qu’une politicienne ou une auteur de téléromans à succès : elle lui avait permis de dire : « ça suffit ».

J’ai ramassé mes trucs, écoeurée de mon voyeurisme auditif.