Langue de vipères
J’ai commencé à mentir au moment où j’ai commencé à parler. Si chaque vérité était une colombe et chaque mensonge une vipère, je vomirais des vipères depuis ma plus tendre enfance. Mes vipères sont petites, elles ont surtout servi à me protéger. Vous voyez, moi si je n’étais pas parfaite, on ne pourrait pas m’aimer. Ben voyons? Vous ne saviez pas cela? Je risquais à tout moment de perdre l’amour de ma mère et de mon père. Pas assez jolie, pas assez intéressante, pas assez intelligente. Pas assez de talent non plus. Si je suis en recherche d’emploi et qu’on me demande si j’ai envoyé des cv je vais répondre oui dès que j’en ai envoyé un. Même si je sais que je devrais spécifier que ce n’est qu’un seul qui a pris le chemin de la poste. Parce que si je disais la vérité, le « on » en question cesserait de m’aimer n’est-ce pas? Vous voyez le genre?
Parallèlement à cela, je ne m’accorde pas beaucoup de crédit. Dans rien. Je travaille encore pratiquement au salaire minimum et j’ai beaucoup de difficulté à m’imaginer ailleurs. Je suis née pour un petit pain voyons. Je me rappelle de tous les trucs désagréables qu’on m’a dit dans ma vie, mais j’ai tendance à oublier les trucs gentils qu’on dit de moi. À mes trente ans, une copine a instauré le jeu suivant : dire à Mathilde pourquoi elle est notre amie et qu’on l’aime. Joli hein? Ben je ne me rappelle que du fait que Monsieur Moreau a dit que j’étais son amie depuis que je lui ai offert des fleurs. Mais bien entendu moi j’entendais parce que je lui ai offerts des fleurs. Et ce soir-là, selon ma mère, mes amis m’ont rendu hommage. No memories.
Hier soir, j’ai fait la connaissance de quelqu’un que j’admire. Un hasard. Après que nos connaissances communes eussent quitté la table, il m’a invitée à demeurer avec lui pendant qu’il prenait une autre bière. Évidemment, j’ai pensé qu’il m’avait lancé l’invitation pour ne pas être tout seul à sa table et pas parce que ça lui tentait de me rencontrer, moi. Il m’a demandé : « Alors tu écris toi aussi? » et moi de répondre : « Non, je n’écris pas, j’ai juste un blogue. » Je sais, je sais, je frôle le ridicule. J’ai passé la soirée à discuter avec lui, mais ce n’était certainement pas parce qu’il me trouvait intéressante… J’ai un ami qui m’a écrit : « Et t'es pas dans des souliers trop grands, franchement ! C'est tes pieds qu'ont grandi ces derniers temps, et c'est bien mérité. Alors que d'autres s'enflent la tête, toi tu changes de pointure, je trouve que c'est tout à ton honneur… » J’ai pensé qu’il me disait cela juste parce qu’il est mon ami.
Vous me lirez impudique, candide est trop honnête. Moi je mets le doigt sur le bouton de survie : dire que je suis ainsi publiquement c’est m’obliger à commencer à me donner le droit d’être dans ce que je suis. Sans trop en faire. Sans trop vouloir l’approbation de tout en chacun que de toute manière je n’aurai pas.
Ouf! J’ai une grosse job de reconstruction à faire. Je vais relever mes manches et y arriver.
Tu sais Mathilde, c’est en partie pour cette authenticité que je t’aime et aussi parce que quand tu agis comme tu l’as si bien décrit, je peux te sermonner et te dire que « on » voit toujours bien dans ton jeu et ne se gêne pas pour en remettre. Ce qu’il y a de beau entre nous, c’est que tu ne cherches pas à me plaire, et donc nous nous disons tout!
Et tu sais très bien que si t'as besoin de papiers ou de recommandations, tu peux me faire signe.
Je ne sais pas si ça vient des parents... je sais par contre que beaucoup d'entre nous sont nés avec l'impression que pour être aimés, ils devaient jeter de la poudre aux yeux.
D'où la mauvaise manie d'en faire trop, non pas pour essayer d'impressionner mais juste pour avoir l'attention d'une personne qu'on apprécie.
J'aimerais aussi ajouter que tu n'as pas besoin d'avaler une demi-bouteille de tabasco pour qu'on t'aime... :P
p.s. y'en a deux qui doivent avoir mal à l'estomac ce matin!
Alex : Je ne cherche pas à te plaire! J'aurais de la misère hein? Ce sont les mêmes personnes qui nous plaisent :p
Ben non, je comprends ce que tu veux dire : je suis naturelle malgré tout. Et merci pour l'offre.
La Souris 1 : Il y a une source familiale oui, mais beaucoup de ce que j'ai fait avec cela. Et je crois que je cesse tranquillement d'en faire trop tout le temps. Mais je le fais encore.
La Souris 2 : Je n'avalerais pas une demie bouteille de tabasco non plus. Pfff! Mais je dois avouer que j'ai pensé, en lisant ton commentaire sur mon dernier texte que tu me disais cela parce que tu es mon amie.
Uto : Le foutu regard des autres. Je ne sais pas trop ni quand ni comment je vais m'en sortir, mais j'y travaille très fort.
"Jay, t'es nono" "Jay, t'es vraiment non." "Jay, t'es vraiment nono, tu sais?"
Tu peux être pas mal nounoune toi aussi...
Jay : je suis certainement pas mal nounoune en effet.
Manque de confiance en soi ?
Cali : En effet... Ce que je sais depuis longtemps, mais certaines prises de conscience aident à cheminer.
Alors là, je suis entièrement d'accord avec vous. C'est même ce qui nous permet d'avancer.