Le mois de Décence
Hier il neigeait. Nous sommes le premier décembre, j'ai arrêté de boire, de rire à gorge déployée pour meubler mes insomnies, de siffler les jeunes employés de la ville en passant dans ma voiture, de lancer des regards gourmands aux clients du magasin. Je me suis levée ce matin et je l'ai su tout de suite, j'avais arrêté. Je ne porterai plus de décolletés indécents, de jupes trop courtes, je vais oublier les chants vulgaires de la femelle en chasse, je n'irai plus souiller les mains d'hommes sans noms avec le fluide généreux de mon sexe. J'ai froid, je n'ai pas faim, ni soif. Le café n'a plus ce doux effet sur moi qu'il avait autrefois, il m'assèche la bouche et me pique l'estomac comme une vieille angoisse qui revient se loger en moi. J'ai froid. Ma main glacée reste suspendue au-dessus de la feuille blanche.... blanche. Cette pureté dans la pensée, cette austérité matinale, comme si on pouvait tout recommencer à zéro et retrouver sa vie intacte, la nudité véritable des gestes, une innocence... Nous sommes le premier décembre, je suis neuve, je ne me connais pas, j'ai peur.
Je regarde par la fenêtre. Il y a la rampe du balcon, l'escalier qui mène à la cour, le toit du hangar couvert de neige, trois arbres, en arrière plan, trois maisons à deux appartements. Supposons que le monde se limite à ça, à ce décor qui tient dans le cadre de ma fenêtre. Moi, où suis-je ? J'habite là, dans la maison du centre, parce que les deux autres on ne les voit qu'à demi et moi j'ai besoin d'espace. Je vis donc là, au deuxième étage. Derrière, il y a un champ infini et une rivière qui traverse la plaine et plonge dans la forêt noire qui tient lieu d'horizon. Qui habite autour ? Je ne sais pas... Au-dessous vit un vieillard étrange. Il s'occupe du jardin et m'apprend à faire pousser les fleurs. Il ne parle pas. Je ne saurai jamais le nom des plantes à qui je donne la vie et qui me le rende bien. Je n'ouvrirai jamais un bouquin sur la botanique. Pour ne pas trahir cette beauté qui ne demande pas de nom. Pour ne pas dévoiler le printemps qui se cache derrière le paysage de décembre. J'habite donc là, dans cette image, derrière la façade de neige et de briques. À gauche, c'est ma chambre. J'allume la lumière. Je suis en train de lire, étendue sur le lit. C'est dans cette pièce que je reçois mes amants, que je les appelle par leur prénom, que je jouis en silence. C'est de là que je les chasse poliment. J'ignore où ils vont. Je ne leur demande pas de revenir. Le reste de l'appartement m'appartient. Je nettoie les draps dans la salle de lavage, tous les jours, pour qu'ils soient bien propres. Il n'y a pas de parfums imprécis qui s'incrustent chez moi. La salle de bain sent la vanille, la cuisine, la lavande et parfois le thym quand je prépare des potages.
À gauche, la chambre donc, rangée et bien chauffée, à droite, le salon, avec un bureau où je m'installe pour écrire le matin. Ou la nuit. Le bureau fait face à la fenêtre. Quand je m'y assois, je change la perspective et la réalité me rattrape: l'hiver ne dure pas toujours, décembre ne reste pas éternellement blanc, les odeurs s'entremêlent et se succèdent, les fleurs portent des noms inscrits dans des dictionnaires. Dans la maison de l'autre côté de la rue, une femme se tient derrière une fenêtre, elle rit.
Alors, ma main se pose sur la feuille, le sang se remet à circuler dans mes doigts, je comprends: rien ne s'est arrêté. J'écris.
Le monde n'est pas un tableau. Le regard est un cadre qui se déplace. Rien ne s'y fixe. Le mouvement et le temps échappent à l'image...
À toutes les fois où je passe faire mon tour et que je découvre un message de toi, je suis surprise. Surprise par la précision des images et cette étrangeté qui fait en sorte que j'aurais toujours pu avoir écrit le texte en question. Nous n'abordons pas les mots de la même façon, il y a chez toi une impudeur qui m'est inconnue, mais les thèmes eux, se rejoignent. Au bout du compte les points de vue aussi.
Difficile à trouver dans tes textes, toi? Nah, je trouve pas moi. On y voit l'uto qui écrit. Est-ce qu'on y voit uto, la femme, ça je sais pas.
Y'a un côté du miroir avec lequel j'ai toujours eu du mal à vivre. Je te le donne en mille...
(Pour les commentaires vulgaires et déplacés, je laisse ça à d'autres. Ahem-Vianney-Ahem. (Ouais, bon, c'est plus subtil à l'oral, hein?))
Impudeur dans le choix des mots, Utopiaque. Eh puis, comment je peux savoir que tu te cache dans tes textes? Moi, je ne connais que la fille qui écrit. Je suis biaisée. Et je préfère regarder vers le miroir qu'à l'extérieur : j'aime l'imaginaire.
Jay : T'es vraiment nono quand tu veux. Et effectivement c'est plus subtil à l'oral ton apostrophe pour Vianney. Mais il ne commente pas ici. Alors tsé.
Ouin, ben je vais lire ça bientôt, quand tu auras lu ma fresque du siècle passé, mon La Guerre et la Paix à moi.
Pfff! (Jay, j'ai le droit de faire un pffff! dans ce cas précis) Utopiaque, si tu penses que ce sont tes jérémiades qui m'ont fait repasser, tu ne t'accordes que très peu de crédit. J'ai recommenté parce que j'avais quelque chose à rajouter sur ton commentaire très chère.
Vianney : c'est moi qui va te péter une crise si tu commentes uto et pas moi ;-)