jeudi, décembre 01, 2005

Une lame dans le coeur

T’avais le visage blanc et les lèvres exsangues. Tes yeux cernés ne te ressemblaient plus. Quand j’ai touché ta main, j’ai eu l’impression de rencontrer l’hiver et le désert en même temps. L’hiver à cause du froid, le désert parce qu’il n’y avait plus trop de vie sous cette peau là. Ta bouche craquelée ne laissait plus passer qu’un souffle d’air et tes poumons meurtris soulevaient avec peine ta cage thoracique malmenée. Je ne comprenais pas ce que tu avais, c’était beaucoup trop complexe pour moi. Je savais que c’était grave, que je ne devais pas courir dans la maison ni trop rire ni crier comme mes 5 ans m’en donnaient envie. Quelquefois, je m’approchais du salon ou tu t’installais tous les jours, sur la pointe des pieds, et je regardais la bête que tu étais devenu. D’autres fois, je t’envoyais des bisous doux en envolée par-dessus les silences et mon incompréhension, en espérant de toutes les forces de mon petit cœur, que tu guérirais.

Un jour, tu es parti. On m’a expliqué que c’était pour très longtemps et que peut-être tu ne reviendrais plus. Plus jamais. Je suis retournée me blottir sous mon lit, là où tu étais tellement venu me chercher souvent, avec mon toutou informe que je traînais partout. J’ai pleuré bien des fois, dans mon réduit. Quand on venait me chercher pour les repas, je les suivais en silence, les joues noircies de poussière et sillonnées des traces des larmes que j’avais laissé couler. Je me sentais toujours observée par la foule silencieuse qui regardait les adultes me mener à ma place. Le temps a passé et j’ai cessé de me cacher sous le lit. Je suis restée une fillette solitaire. Je n’avais pas d’amis. Je n’en sentais pas le besoin, et j’avais toujours peur que, comme toi, ils partent pour toujours et me laissent toute seule derrière.

La semaine dernière, en passant devant ce café, je t’ai vu. T’étais de dos, ça faisait vingt ans, mais j’ai reconnu la courbure de ton cou. J’ai figé. Je me suis approchée pour m’assurer. Et c’était toi. En moi blême, moins maigre. Et tes yeux si bleus, avaient retrouvé du pétillant. Tu m’as vue. J’ai même eu droit à un coup d’œil interrogatif à cause de mon insistance à te zieuter ainsi. Tu m’as vue, sans me voir moi. Comment aurais-tu pu voir l’enfant que j’ai été dans ce corps de femme hein? Comment?

Je suis repartie avec une lame dans le fond du cœur.

Demain peut-être me reconnaîtras-tu?

4 Commentaires:

Blogger La Souris (Marie-Ève Landry) s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Ta lame fend le coeur, en tout cas...

3:28 p.m.  
Blogger Pitounsky s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Ouf! Un texte qui va droit au coeur, encore une fois!

7:03 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

La souris : (ah un nouveau décors)

À toutes les deux : Merci :) j'étais très contente de me vautrer dans le vrai créatif en écrivant ce texte. J'ai eu peur quelques instants d'avoir perdu la main pour ce genre d'écriture. Ça faisait longtemps.

10:12 a.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

si j'avais encore des larmes pour pleurer, ce texte m'aurais fait éclater en sanglots. Un mot pour le décrire: sincère

5:36 a.m.  

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