vendredi, février 03, 2006

L'île

Il parade sa solitude de toute sa classe dégingandée comme la plupart des hommes abordent leur couvre-chef. Il porte son spleen en bandouilère de la même manière que les étudiants traînent leurs livres. On lui affirmera : « t’es beau. T’as du charme. » Et sa moue nonchalante nous apprendra qu’il le sait, mais il attrapera au passage le compliment qu’il gardera collé sur son être tel un rempart contre la prochaine salve d’insultes. Il sourira, au coin de la table, ironique. On le croira suffisant ou désabusé; il ne sera que gêné.

Il est capable de toutes les sociétés, mais allergique à ceux qui ne savent pas être. Il se tournera vers celle qui lui propose un défi de l’esprit plutôt que vers celle qui se complait dans ce que l’on voit. On lui dira qu’il a tout pour lui : l’assurance, l’apparence, le charme, le talent. Il ne prendra pas la peine de nier, encore moins de renier. Il se dira que les gens ne pensent pas plus loin que le bout de leur nez. Il dansera sa sensualité jusqu’à se faire exprimer mille regards qui rendront les autres hommes jaloux pendant qu’il détournera aveuglément ses pupilles. De temps à autre, on lui susurrera à l’oreille : « tu danses bien ». Alors, il me regardera de l’autre bout de la page, étonné d’un tel commentaire.

Il courtisera des femmes, jusqu'au bout de sont souffle, jusqu'à faire pousser des fleurs sur le plancher trop arride d'une surface bétonnée. Il ira jusqu'au bout de la poésie pour en faire jaillir la folie. Il mordra les instants jusqu’au sang. Se délectant de chaque rubis chaudement acquis. Puis, il se détournera, vampire repus, des corps à moitié vidés qu’il aura laissés sur ses traces, convaincu de n’avoir pas eu d’impact. Il choisira, sans hasard, les femmes qui ne l’aimeront pas pour préserver son ermitage. Il verrouillera ses frontières et s’isolera dans le silence pour décortiquer les mots et les maux qui l’habitent en reconnaissant, sans équivoque, ce besoin de silence dans la musique. De temps à autres, il me dira : « Un jour, je vais avoir des enfants. » Je resterai coite, sachant que c’est vrai.

On marchera des kilomètres, sur son bitume ou sur le mien, on s’expliquera la vie, la littérature, les analyses. On se racontera les cicatrices et les projets, mais surtout, on se taira car nous savons qu’on se connaît bien dans nos silences. Je lui affirmerai que mon prochain texte vaut la peine et il me fera un accent circonflexe dans les sourcils pour que je comprenne qu’en affirmant une telle chose, ça signifie beaucoup. On s’étendra sur l’herbe en riant, afin de butiner les derniers rayons de soleil et on n’en parlera plus. Quelques mois plus tard, je lui expliquerai tout ce qu’il ne m’aura pas dit cet après-midi-là. Il accusera le coup, le souffle court.

Mais la plupart du temps, je rêve que la distance n’existe pas et que je pourrais passer mes moments de dérive, endormie sur son lit, en sécurité dans son amitié, pendant qu’il dévorerait des livres et ne me dirait rien.

6 Commentaires:

Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Comment tu fais? Peu importe... tu sauras toujours toucher les gens échoués sur ton île!

11:00 a.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

J'ai cette sensation d'être une copie carbone de cet être. Profondément étrange aujourd'hui. (*

1:38 p.m.  
Blogger Marie-Hélène Gauthier s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Tu exploites un bon filon ma belle... Continue, l'or est pur et tu fais une Midas de toi. Je ne sais pas quoi dire de plus.

2:26 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Alex : Ben vous n'êtes pas que des naufragers! J'ose espérer aussi que je suis une escale de temps à autres.

LP : En te lisant j'ai souvent eu l'impression que vous vous ressembliez en effet.

M : Merci, merci, merci. Tiens, me voilà désormais "alchimiste" du web.

9:56 a.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Vivre, et se rappeler de rester vivant. L'île est ce petit espace à l'intérieur qu'on essaie d'agrandir, d'aménager.

Merci Mathilde, c'est touchant et très juste.

6:52 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Émile : Très contente que TU aies reconnu la silhouette puisque c'est exactement la personne que je tentais de portraitiser.

Ch. : L'île c'est aussi l'Il tu sais. En tout cas, pour moi. Un étrange agencement des deux composantes. Une zone de confort dans les confidences, je dirais.

Très juste? Ah ben, je suis fière de moi!

7:36 p.m.  

Publier un commentaire

<< Retour sur le sentier