Les heures d'avant
J'ai été élevée par
une maman qui baissait le chauffage dans les nuits froides du Québec.
Je dors mieux lorsqu'il fait froid que lors des nuits chaudes de
l'été. Par ailleurs, il m'arrive parfois d'être coincée entre
deux saisons et de me réveiller, en sueurs, incapable de me
rendormir, simplement parce que j'ai trop chaud et que je n'ai plus,
à portée de main, la literie légère des jours plus cléments.
Durant les dernières
années, lorsque ce type de situation m'éveillait, au cours des
heures d'avant l'aube, je tournais dans mon lit, jusqu'à plus soif.
Mes journées étaient alors sapées par le manque de sommeil, ce qui
me donnait l'impression d'être à la fois brouillée et brouillonne.
À force de me battre pour trouver le repos, je finissais vaincue par
un épuisement qui prenait des jours à se dissiper.
Cela n'a pourtant pas
toujours été le cas. Il y a une dizaine d'années, à l'époque où
écrire était facile, je savourais à pleines dents ces moments
volés aux heures normales de mon existence et j'en profitais pour
créer des histoires. Quand la ville dormait, que les bruits du
silence étouffaient le pas des âmes assoupies de mes concitoyens,
j'avais toute la liberté du monde pour me laisser aller à marcher
sur la frontière du réel.
J'en profitais aussi pour
écrire les courriels qui me passaient par la tête. Je m'expliquais
la vie, en assommant au passage, mes amis de digressions sur tout et
n'importe quoi. N'importe quoi sur tout. Mon muscle d'écriture, bien
rodé était mon souffle de vie.
Revenir des limbes, n'est
pas si aisé. Même si, cette fois, je ne crois pas avoir fréquenté
le pays des zombies, je pense que j'en ai probablement vu l'orée à
plusieurs reprises. Jusqu'à faire des crises qui demeurent inexplicables
pour leurs témoins. Des crises qui m'ont laissée meurtrie et isolée
durant des périodes plus ou moins longues, essentiellement parce que
je ne cherchais même pas à me les expliquer. Enfin, je crois.
Ce matin, je me suis
levée pour écrire. Écrire pour avancer et continuer à vivre,
garder cette vibration qui m'anime depuis presque un mois.
Écrire pour partager les
heures d'avant l'aube qui m'alimentent, mais uniquement si je les
porte au bout de mes doigts.
Libellés : Digressions
Magnifique ce texte!!!
Merci beaucoup! Je suis contente que tu aimes, particulièrement parce que c'est devenu si difficile d'aller jusqu'à la fin d'un texte depuis que j'ai renoué avec la pratique.
"Quand la ville dormait, que les bruits du silence étouffaient le pas des âmes assoupies de mes concitoyens, j'avais toute la liberté du monde pour me laisser aller à marcher sur la frontière du réel."
Si c'est bien écrit! Et je dois confesser que, souvent, la nuit m'inspire également écriture et chanson...
Fred : de tout mon texte, tu as relevé exactement l'extrait qui m'a été le plus difficile à écrire, mais qui est celui dont je suis le plus fière. Et je ne suis pas du tout surprise que ça t'ai atteint.
J'espère que tu sauras profiter des heures d'avant l'aube, alimentées par ta vie de jeune père, pour nourrir ton essence artistique...