Gaspiller ma salive (ou pas)
Je ne suis pas une
spécialiste des peuples autochtones d'Amérique du Nord, mais disons
que ce sujet m'intéresse. Je fréquent, auditivement, Serge Bouchard
depuis assez longtemps pour avoir saisi que je n'y connais pas grand
chose. Cependant, je peux affirmer que j'en sais sans doute un peu
plus que la moyenne des gens sur ces communautés et les difficultés
qu'elles traversent encore aujourd'hui à cause de la colonisation
blanche dans cette partie du monde.
Par ailleurs, je
travaille à un endroit qui me permet de mesurer l'ignorance
généralisée concernant ces peuples. Le marché Jean-Talon est un
endroit très touristique. Alors bien entendu, il y a un paquet de
touristes qui y flânent à la recherche de quelque chose de
typiquement québécois. On a bien une table à cet effet dans la
librairie, auteurs d'ici, musique d'ici et tout ce que vous voudrez
de ce genre là, à condition que la québécitude y soit bien
identifiée. C'est ce qui marche, il faut un identifiant visible et
facilement compréhensible pour que le touriste moyen l'achète.
Assez souvent, un
personnage ou un autre, nous demande quelque chose de canadien ou de
québécois et on fini par comprendre qu'on nous parle de quelque
chose d'amérindien. On a des ressources: des livres d'auteurs
présents ou passés, des musiciens fantastiques, des recueils
d'illustrations d'artistes visuels. Bref, du beau matériel. Mais ce
n'est absolument pas ce qui est recherché. On veut du gros maudit
cliché et, soit-dit-en-passant, de l'inexistant. Ce que ces
personnes veulent, ce sont des coiffes en plumes, des tipis
miniaturisés, igloos et des cabanes de bois ronds et des villages
sans électricité.
Certes, ces réalités on
déjà existé, mais ce n'est plus le cas. Pas davantage que l'image
de l'Europe du Moyen-Âge n'existe aujourd'hui. Oui, ça fait parti
de souvenirs collectifs, mais nous vivons majoritairement à l'ère
de l'électricité et des autoroutes. Le reste est pittoresque et
réducteur.
Cette semaine, un homme
m'a demandé un dictionnaire amérindien/français. Je lui ai répondu
que je n'en avais pas en stock et que de toute manière, il lui
faudrait être un peu plus précis pour la langue amérindienne. Cet
homme était, à l'accent, canadien confirmé. Il m'a regardée comme
si je débarquais de Mars avant de me demander : « ils ne
parlent pas tous pareil? » J'ai pris une grande respiration
pour ne pas laisser transparaître mon indignation dans ma voix avant
de lui répondre que non, tous les amérindiens d'Amérique ne
parlent pas la même langue.
Il m'a répondu que ce ne
devait pas être bien différent d'une langue à l'autre et j'ai
rétorqué que ça pouvait sans doute ressembler aux différences
entre l'anglais et le français. L'homme est resté bouche-bée
pendant quelques secondes avant de me dire : « Je ne
vous crois pas, ça doit bien exister un dictionnaire de
français/amérindien, c'est juste que vous ne l'avez pas, alors vous
mentez ».
Je n'ai rien ajouté.
C'était la deuxième fois dans la même journée qu'un client me
disait que je lui mentais. Un moment donné, une fille décide de
dépenser sa salive à d'autres escients.
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