Je n'ai pas su
Quand tu es apparu devant moi, la peau blême et tirée, les yeux fous cherchant une réponse au mal qui t’usait les tripes, j’aurais aimé savoir faire le pont des gestes. Je suis restée démunie, silencieuse et maladroite.
J’aurais voulu savoir mettre ma paume dans ton dos, apaisante et sereine, pour te faire respirer normalement; tranquillement. Sans que la boule qui obstruait ton œsophage se mette à grossir davantage. Respirer pour prendre le temps, respirer pour vaincre les peurs.
Je n’ai pas su.
Quand je t’ai vu te tordre de douleur, sous les assauts du mal qui te rongeait, j’aurai aimé savoir te dire de t’étendre près de moi; là où ta tête pouvait rejoindre mes mains afin que mes doigts puissent éloigner la souffrance de leur attention caressante.
Je n’ai pas su.
Entre moi et les autres, il y a cette muraille invisible qui fait en sorte que je ne sais pas poser les gestes qui parlent de réconfort. Chaque élan vers l’autre, que cet autre soit homme ou femme, même le plus spontané, me donne une impression d’intrusion. Les gestes se suspendent d’eux-mêmes dans les vides des heures.
Lorsque j’ose transgresser mes limites et mes interdits, dans des moments d’humour et de convivialité : prendre vaguement un coude, donner une tape affectueuse sur une épaule, la culpabilité entre en jeu. Je revis en pensée ces gestes pendant des temps trop longs ; rappels d’une condamnation dont j’ai été à la fois la juge et l’accusée.
Poser un geste, sans que les pas de l’intimité eussent été préalablement franchis, m’est quelque chose d’inaccessible. Moi la sur-maternelle femme, je suis sans solution devant l’épuisement de l’âme et des sens. Je ne sais pas voir mes amis pleurer.
J’aurais voulu te consoler.
Je n’ai pas su.
Laisse ce jugement à ceux que tu as consolés. Parce que, apparemment, tu te juges mal.
Merci Jay... Je suis très contente que tu aies commenté ce texte. Parce que je le trouvais beau et sensible. J'étais si triste qu'il soit tout seul, ainsi, dans le vide, sans ligne avec laquelle dialoguer
Je suis revenue quelques fois depuis que tu as écrit ce texte tu sais. Je n'osais pas. Je le trouve moi aussi beau et sensible. Et, pour tout dire, bien injuste et dur à ton égard. Bien sûr que je te connais peu, mais une femme comme toi, qui a une telle sensibilité, ne peut pas ne pas savoir réconforter. Tu trouves d'autres manières Mathilde, ça j'en suis convaincue.
Lumières : Je suis effectivement une fille bien sensible et capable de mettre en mots beaucoup ressentis. Mais j'ai vraiment des réactions étranges lorsque quelqu'un que j'aime a de la peine ; j'ai l'air de m'en foutre et j'ai souvent un fourire pour assaisonner le tout. En tout cas en face à face. Et c'est une attitude blessante pour ceux qui sont cherchent de la compassion dans mes yeux.