Les larmes de Thor
La première fois que je l’ai vue, j’avais l’impression d’être sous les foudres du dieu Thor, version féminine, tellement elle n’avait pas l’air de m’aimer. Faut la comprendre, pour elle j’étais l’intruse qui débarquait à la caisse et que tout le monde avait l’air d’aimer. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, j’étais installée dans ce rôle de petite boss des bécosses que j’affectionne particulièrement. Diriger, l’air de rien, l’équipe, faire basculer les horaires pour que tout s’imbrique particulièrement bien à la caisse, avec le sourire et beaucoup d’humour. Et aussi, un certain manque de tact. J’imagine que ça donne un drôle d’effet à une employée qui ne sait pas que je ne m’étais absentée qu’un mois. Par ailleurs, je remplaçais quelqu’un qu’elle aimait bien et j’agissais, dans son regard à elle, comme si j’avais voulu prendre sa place à lui.
Rapidement nous avons eu à travailler ensemble. Noël arrivant à grands pas, il fallait bien placer la marchandise, en évitant de faire des piles déséquilibrées. Des heures à courir la section dans toutes les directions, riant comme des enfants de se voir la broue plein le toupet. Elle me montrait des livres, des étoiles plein les yeux en me disant : « Oh regarde, c’est Léon! Il est comme mon amoureux, tu trouves pas qu’il est comme mon amoureux? » Et moi je lui répondais que Léon n’avait qu’un œil et que son amoureux en avait deux. Un soir, en finissant de travailler nous sommes allées prendre un verre. Sans détour je lui ai demandé pourquoi elle ne m’aimait pas, au début. Je l’ai surprise, cependant elle a répondu. À partir de ce jour-là, une entente tacite d’amitié réciproque nous lie. On s’installe ensemble, au moins une fois semaine, seules, pour une discussion de fond.
Lorsqu’elle considère que les choses ne vont pas comme elle veut, je l’entends s’exclamer : « Ah ben là, ça pu d’rapport! » Je lève des sourcils interrogateurs et elle explique. J’ai souvent le fou rire avant la fin de l’exposé qu’elle conclue avec un : « Ben là! » exaspéré. Et les jours où quelque chose me taraude, elle me demande ce qui ne va pas. J’ai alors deux options : lui dire que je n’ai pas envie d’en parler ou la vérité. Parce que si je joue à « non, non, ça va bien » elle ne me croira jamais. Par conséquent, quand je prends la peine de m’ouvrir vers elle, j’ai droit toute son attention.
De temps en temps on arrête de rire. De temps en temps on se parle dans le blanc des yeux de nos histoires pas si drôles, celles qu’on préfèrerais garder sous les tapis. Un soir que nous déterrions nos morts, elle me racontait une histoire dans laquelle je ne connaissais pas les personnages, sinon elle-même. Et je me suis retrouvée en train de pleurer à chaudes larmes devant elle. Pleurer sa peine avec elle. Je ne me rappelle pas avoir pleurer autre chose que mon nombril depuis l’adolescence. Pas avant ce soir-là. Mais les larmes sont montées toutes seules, je n’ai rien fait pour les retenir et je ne me suis pas sentie plus faible ni plus ridicule. Depuis, je me surprends souvent à verser des larmes sur les mots qui traînent dans d’autres pages, et j’ai beaucoup moins souvent mal au cœur.
Je ne pourrais pas jurer qu’elle sera mon amie pour la vie, mais je sais que je vais toujours me rappeler d’elle comme l’amie qui m’aura fait pleurer.
Oooooh, ooh!! Quel beau portrait Mathilde!! ^___^ Je vous imagine tellement toute les deux hihihi!! Surtout quand elle dit que "ça a pu d'rapport"!
Le seul mot qui me vient en tête en ce moment c'set «puissant». Chose sûre, tu ne l'oubliras jamais, elle. ^__^
Laurie : On fite très bien en dehors de l'imagination!
Lew : Non, je ne devrais pas l'oublier. ;-)
Sunnygirl : bienvenue sur mes chemins. Passionnée? Je ne suis pas certaine, mais profonde et sincère, ça oui.
Il est certain qu'en commençant d'une telle manière, une possibilité d'amitié éventuelle est assez mince... Ce qui m'épate dans toute cette histoire, c'est que ça donne une belle leçon de moralité: la première apparence est souvent trompeuse et il faut savoir aller chercher plus loin pour découvrir qui se cache sous le rideau du mystère. Douceur candide, permets moi de la faire rire et pleurer encore, comme ça nous pourrons continuer de cultiver ce petit bourgeon (d'hibiscus? ;) ) qui s'est révélé camoufler une jolie amitié qui ne cessat ensuite de grandir au fil du temps...
Franchement, je suis toute émue.
Un grand merci Mathilde :)
Joli portrait d'une amitié que l'on ressent profonde et sincère. Vu le départ de la chose, c'était pas couru d'avance. Les belles surprises de la vie, pleine de trésors cachés.
Jen : ça m'a fait plaisir. :-)
Dda : mais lle est tellement adorable que fallait que j'arrive à être son amie!