L'art de perdre son temps
Voici une petite participation au Coïtus impromptus pour la semaine. Le thème était, évidemment L'art de perdre son temps.
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Je sentais sa présence derrière moi, comme une chape de plomb sur mon inconscient. J’essayais, tant bien que mal de rempoter mes géraniums, moi qui ne suis déjà pas très à l’aise, les deux mains plongées dans la texture humide des terreaux. Je n’avais pas besoin de regarder dans sa direction pour savoir qu’il arborait ce sourire en coin qui a le dont de me faire enrager. Je soufflai sur la mèche rebelle qui me tombait dans les yeux pour ne pas me mettre de plus de terre sur le visage et retournai à ma besogne en essayant de ne pas me soucier de cet observateur attentif. De temps à autres, je percevais l’ombre de sa silhouette ondoyer au rythme de ses changements de positions. Selon mon habitude, je discourais avec les pousses que je mettais dans de la nouvelle terre et je me tendais à toutes les fois où je percevais les notes des grains de rires qu’il laissait s’échapper. Il m’avait toujours trouvée particulièrement ridicule de parler à mes plantes. Ce qui ne l’empêchait pas d’assister le plus souvent possible à mes acrobaties florales.
Lorsque mon géranium eût dûment été transformé en famille de géraniums, je l’ai regardé l’air de dire : « mais que fais-tu donc-là? » en m’abstenant, bien sûr, de poser la question parce que je savais pertinemment qu’il se contenterait de prendre une gorgée supplémentaire de café, bien calé sur le cadre de la porte, les cheveux encore tout fripés de sommeil, et l’œil pétillant dans le soleil matinal. Sous son regard taquin, je rangeais les débris de mon travail, excédée de le savoir en train de m’observer comme un prédateur épie sa proie. Quand j’en fus à passer le balai, il me tendit l’objet d’un geste nonchalant, contribuant ainsi à mes occupations estivales. Dans la cuisine, le comptoir pimpant me faisait de l’œil, encombré qu’il était des gerbes de fleurs à tailler, occupation que l’homme avait laissée en plan pour venir s’amuser à mes dépends.
Je suis passée à la salle de travail pour répondre à mon courrier tandis qu’il me suivait encore. Je commençais à être sincèrement énervée de le savoir en train de se prélasser dans mon sillage. Je me suis installée à l’ordinateur, dans le grand fauteuil qui était à mon père et qui faisait dire à mon énergumène que c’était mon trône de personne sérieuse. Lui, s’est tiré une chaise tout à côté de moi et s’est mis à lire par-dessus mon épaule. À bout de patience je lui ai dit : « Ça va hein? Tu trouves pas que tu empiètes un petit peu sur mon espace vital? T’as rien de mieux à faire aujourd’hui que de jouer au chien de poche? » Il n’a évidemment rien dit et a rapproché davantage la chaise de l’écran. J’ai ajouté : « Tu n’es plus drôle, ça fait deux heures que tu me talonnes en silence! Je peux tu avoir juste une heure de bulle à moi toute seule? » Il a secoué la tête en riant et m’a planté un bec sonore sur le nez. J’allais argumenter encore quand il s’est levé de lui-même.
Soulagée j’ai repris de l’espace devant l’écran et je l’ai regardé sortir de la pièce de sa démarche claudicante. Il s’est arrêté sur le pas de la porte, a penché sa tête sur la gauche, de cette manière qui lui est si particulière et qui me fait toujours craindre la pire niaiserie. C’est à ce moment qu’il m'a affirmé : « J’adore cultiver l’art de perdre mon temps, surtout si c’est pour te regarder vivre.»
Je lui ai lancé une boule de papier pendant qu’il me tirait la langue, très content de son effet.
Ahh, j'adore. Tout simplement !
Excellent ! Et quel bonheur de venir prendre son temps ici a lire, sourire, relire, ne pas grandir et repartir pour mieux revenir.
C'est un art qui se perd de plus en plus et qu'il nous faut réapprivoiser. Il permet de s'arrêter et vivre, tout simplement.
Dda : Ok, un jour je vais en écrire une juste pour toi. Mais faudrait que je te connaisse un peu mieux.
Sofness : "ne pas grandir et repartir pour mieux revenir" Quoi? je suis la fontaine de Jouvence?
Alex : Et on oublie souvent de faire cet arrêt, malheureusement
Oh, c'est une gentille attention. Merci.
Mais, je n'ai rien d'extraordinaire, non plus. Pas de quoi écrire deux lignes. Mais bon, c'est toi qui décide.