Miroir de moi
Quand elle faisait le tour de la librairie en processus de présentations, j’ai eu un choc. Cette étrange impression de me retrouver des deux côtés du comptoir en même temps. Elle est repartie en me jetant un coup d’œil par-dessus son épaule qui signifiait « je n’oublierai pas ton nom ». Moi, je suis restée ébahie, à la regarder continuer sa route, en me disant que franchement, on se ressemblait trop. Quelques jours plus tard, à sa toute première journée officielle, je lui ai dit qu’elle portait un beau chandail et elle m’a répondu dans un souffle « Oh oui, tu l’aimes? C’est mon green de golf !» Je suis partie à rire, reconnaissant le patern, cette toute mauvaise habitude qui consiste à faire une blague d’un compliment, pour pouvoir le prendre. Parce qu’un compliment tout seul comme ça, c’est bien trop gros pour soi.
Quand elle passe à côté de moi, je lui fais des grimaces dignes d’un enfant de 5 ans. Ses yeux bleus me transpercent et elle me répond par pire. Le coin droit de mon sourire se relève et je continue ma journée. Lorsqu’elle s’arrête, j’ai toujours l’impression de voir une figure des Loony tunes. Il n’y a jamais de décélération dans son mouvement. Que deux options : en action ou arrêté. Forcément quand on la regarde passer du mouvement à l’arrêt, on s’attend presque à voir un petit nuage de poussière, s’amonceler à ses pieds. Et elle repart, sur le même élan, comme si son arrêt avait été causé par une suspension du temps. Elle pourrait me dire : « patate pilée » sur le même ton qu’elle me demanderait de faire une vérification d’inventaire, juste pour voir la réaction. Je lui répondrais sans doute « bouillie pour chat » et on se comprendrait.
Quelquefois, elle arrive avec le regard tout chaviré, une énorme peine inscrite dans ses pupilles imbibées des déluges qui ne peuvent pas couler. Moi je suis désemparée parce que je sens tout ce que ça lui coûte d’être dans un pareil état. Alors je l’accroche et je lui raconte n’importe quoi. Particulièrement les dernières fois où je me suis rendue ridicule. Ou n’importe qu’elle considération absurde qui me passe pas l’esprit. Et je vois fleurir sur son visage, les éclats des joies qui l’habitent d’ordinaire. C’est un processus tranquille et long, sauf que je suis toujours très fière d’y être parvenue quand je la vois reprendre son énergie à bout de bras pour la traîner comme un vieux jeans confortable, finalement.
La plupart du temps, on échange sur tout et rien. On se dit qu’on a mille points communs. Des intérêts que peu de gens partagent : une passion pour l’histoire, un féminisme évident, un amour incroyable pour les livres, cette propension à se jeter dans une admiration sans limite pour ces gens qui sont devenus les artistes qu’ils voulaient être. On se dira qu’on est athées toutes les deux, mais on disséquera tout ce que nous connaissons des croyances d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui. On s’expliquera les travers du monde par les valises culturelles qu’il transporte en portant une attention toute particulière à l’aspect religieux de son développement.
La toute première fois que je l’ai vue, je me suis dit : ah tien, on se ressemble. Maintenant, je sais bien qu’elle est mon second coup de foudre amical en moins d’un an.
Tellement vrai! Toutes deux faciles à communiquer et tellement agréables à cotoyer!! J'avais jamais fais le parallèle, mais maintenant que tu le dis, je comprends pas pourquoi!!
Un bien joli hommage, ma foi.
Je vais me relire ce texte rien que pour le plaisir, après la découverte.
Juli : T'as fini par le faire, c'est l'essentiel.
Dda : T'aurais dû la voir se promener avec son texte imprimé : une vraie gamine.
Cela se comprend aisément. Avec un tel cadeau, impossible de rester de marbre.