D'amitié en finale
Ce qu’il y a de bien dans la blogosphère c’est que les sujets des uns peuvent devenir aussi les nôtres un peu. Plus tôt cette semaine, sur Bazar d'heures, Charles a traité des amitiés qui s’éteignent. Ça me turlupine depuis que j’ai lu son billet là-dessus.
Je suis une femme profondément fidèle et idéaliste. J’aime en amitié comme la plupart des gens tombent amoureux. C’est entier, sans compromis, sans concession. C’est désintéressé. Je suis disponible en tout temps et je ne compte ni les heures ni les points. J’aurais voulu être l’amie parfaite. Je suis loin de la perfection. J’aurais voulu être l’amie fidèle entre tous les fidèles. J’ai promis, par une nuit angoissée, de toujours être là. De ne jamais abandonner une personne en particulier. J’ai tenu bon pendant plus de 15 ans. Et j’ai glissé tranquillement dans le pays des zombies (il faut que je dise que cette expression n’est pas de moi mais de Ileana Doclin dans L’autruche céleste, cinq ans plus tard). À ce moment-là, j’habitais avec l’amie à qui j’avais promis une amitié éternelle.
Dans l’espace restreint d’un appartement montréalais, nous nous sommes perdues de vue. Je me suis mise à avoir peur de perdre son affection. Parce que je ne m’accordais plus de crédit. Je suis devenue victime. J’étais recroquevillée sur moi-même, avec l’impression d’être de trop partout, même dans la solitude de ma chambre. Nous n’avons pas bien fait les choses. Elle m’a traité de folle, je l’ai méprisée. Mais j’étais folle. Parce qu’au fond, c’est ça la dépression. Ma folie a tué l’amitié. Et sans doute le manque d’empathie de cette personne aussi. Je crois qu’elle était déstabilisée par mon état d’être. Par le fait que, pour la première fois depuis toutes ces années, lorsqu’elle me faisait la gueule, je ne lui disais pas : «Rien à faire, je t’aime pareil». Je n’étais plus la flèche fichée dans le sol, immuable.
J’ai brisé ma promesse et je l’ai abandonnée. Sans vraiment la saluer, sans vraiment lui signifier. Je l’ai laissée déverser sa colère sur moi. Me dire toutes les atrocités qu’elle pensait de moi. Je n’ai pas répondu. J’ai pleuré. Versé des larmes sur cette amitié achevée. Aujourd’hui, rien de ce lien ne me manque. Pas une seule fois, je n’ai eu envie de lui raconter mes mots et mes maux.
Mais toujours je crains de la croiser.
De la vraie amitié, c'est quand on accepte l'autre en entier, avec ce qu'on aime et ce qu'on aime moins. Quand on est capable de se dire autant "je t'aime" que "tu me fais chier". Être capable de reconnaître que l'autre a besoin de distance.
Mais surtout... être capable de se pardonner.
Je ne suis pas du tout rancunière. Dans cette histoire, ça fait longtemps que je n'en veux plus à personne.
Si je pense baisser les yeux lors d'une éventuelle rencontre, c'est surtout parce que j'ai honte d'avoir failli à ma parole.
Faut pas avoir honte, je crois. Les amitiés sont éternelles le temps qu'elles durent. Au-delà de ça, pas de promesses, pas d'attaches maritales, une simple franchise, capable de tout, même de dire que l'éternité est finie.
Je te trouve bien dure envers toi-même, Mathilde. Je ne connais pas le fond de l'histoire, évidemment, mais de vouloir ainsi porter tout le blâme sur tes épaules, n’est ce pas un peu ((beaucoup) excessif?
En tout cas, c'est un sujet à débattre en profondeur. Il y a tant à dire là-dessus.
Si je peux me permettre, je dirais que ton sentiment de honte t'honore, Mathilde, parce que significatif de la grande valeur que tu insuffles à l'amitié. Je te souhaiterais toutefois de ne pas y rester enlisée, dans cette honte, car elle ne change rien au passé et semble te figer. En +, t'as des raisons (et non des excuses) : on ne peut pas de demander à personne plus qu'elle n'est capable à chaque moment.
J'oserais ajouter que je tique un peu à ton emploi du mot "folie". La dépression est un problème de santé mentale, mais de là à parler de folie, il y a un pas que je ne franchirais pas. Mais je ne veux pas dire les choses à ta place, j'expose plutôt mon point de vue sans savoir jusqu'à quel point ça colle avec ton expérience. En tout cas, je concluerai en disant que ce que je lis surtout, c'est que la Mathilde souffrante n'a pu agir telle que la Mathilde qui-se-sent-bien l'aurait fait.
Et puis, l'amie en question n'est pas la seule qui aurait dû pouvoir compter sur une épaule amicale en cas de situation difficile, me semble. La réciprocité ne fait-elle pas l'amitié ?
Charles : Tu as raison. L'éternité fini. Mais la Mathilde adolescent croyait qu'elle était infinie.
Daniel : Je ne vois pas comment exposer les choses autrement : elle n'est pas là pour se défendre. Je ne veux pas lui faire porter tout l'odieux de la mort de l'amitié. Et puis bon j'ai été élevée en me faisant dire que j'avais une responsabilité dans tout. Je crois que j'essaie simplement d'en prendre la première part. Et puis je l'ai tout de même traitée de pas empathique...
Maridan' : Je crois que la dépression devient de la folie lorsqu'on devient totalement apeurée de tout. Lorsque tout est une corvée plus grande que nature. Lorsque L,on se rattatine sur soi-même et qu'on pense sincèrement que plus personne au monde ne pourrait nous aimer. La folie c'est le trop. Le grain qui fait tout basculer. Et puis, Elle me traitait de folle. C'était son mot pour me décrire aussi.
Brève intro, je connais Mathilde depuis assez longtemps et j’ai été de ceux qui l’on accompagné, tant bien que mal, au moment où elle a vécu ce passage de sa vie. Comme certain l’on dit, non tu n’as pas à avoir honte. Ton état t’empêchait de réagir comme à l’habitude et son état (car cela tu n’en glisses guère mots) ne lui permettait pas de voir ne serait-ce qu’une infime partie de ton mal. Vous avez, toutes deux, contribué à l’éloignement. L’amitié, comme toutes relations interpersonnelles, est plus complexe et beaucoup plus subtile qu’on ne saurait l’imaginer. Pour moi, ça demeurera toujours une fleur, qu’on offre et qu’on espère qui restera belle à jamais. Il y a plusieurs moyens de la conserver, mais un jour elle fane et meurt. Bien sûr, on souhaite que cela n’arrivera jamais avant notre propre mort… mais bon, je ne veux pas tomber plus dans le pathos. La vie doit suivre son cours…
Mathilde, ce que tu réponds à Maridan', je connais et je comprend et ce sont des marches qui font parties de l'escalier qu'on monte ou descend, c,est ce qui fait ta beauté.