La majuscule
Ce qu’il y a d’intéressant dans le poste de caissière à dans une librairie achalandée du Plateau Mont-Royal, c’est qu’on voit passer toute sorte de gens. Moi qui suis une groupie dans l’âme, j’aime beaucoup regarder passer les personnalités publiques. Et je les juge à leur manière d’interagir avec les employés. Certaines m’enchantent, d’autres m’horripilent. Dans le temps des fêtes, on s’amuse bien entre caissière à se lancer des coups d’œil sur l’une et l’autre. Ensuite, on se raconte en long et en large comment Il ou Elle était. Moi, j’ai l’œil, je les reconnais presque toujours. Généralement, je connais leur nom et ce qu’ils ont fait. La plupart du temps, je fais celle qui ne sait pas, pour leur laisser un peu d’intimité dans ses lignes bondées de gens qui leur demandent des autographes alors qu’ils ont les mains pleines. Il arrive que je déroge à ma règle.
Quand un caissier me fait la gueule et étend son air sur toute la clientèle par exemple. Je sais bien que je suis méchante pendant la semaine avant Noël parce que j’interdit aux gens de mettre un banc derrière la caisse, que je décide de quand les gens mangent et prennent des pauses et surtout que je chicane quand les pauses se sont étirées. Je veux bien croire que les gens soient en colère contre moi, c’est normal, j’assume avec délices le rôle ingrat de faire la police derrière l’équipe. J’ai le tempérament qu’il faut pour cela, et j’adore être celle qui dirige. Vraiment. Un grand plaisir dans une semaine de rush. Mais que ça ne rejaillisse pas sur la clientèle s.v.p. Dans ce cas, je me fais un devoir d’être plus fine que fine avec les gens devant nous. Je sors le grand jeu du charme et ça fonctionne assez bien.
Quelquefois, les gens que j’admire ne sont que peu connus. Quelquefois aussi ils sont surtout des gens de radio. Maintenant que vous connaissez ma fascination pour les voix, vous comprendrez que ce genre de truc m’arrive. L’an dernier, en novembre, j’ai passé un commentaire à l’un d’entre eux. Il m’avait fait rire la semaine d’avant dans le cadre d’une chronique. Il m’a renvoyé un air totalement estomaqué avant de me demander si j’avais reconnu sa voix. Moi de rire et de lui expliquer que non, qu’en fait c’était sa face parce que je l’avais vue à la télé. On a discuté de la chronique en riant beaucoup. On avait un problème avec sa facturation et il a dû traîner à ma caisse un bon 10 minutes. Le temps a passé, il a dû déménager parce qu’il a cessé de venir à la librairie. Ou alors mon horaire a trop changé et je ne suis plus jamais là quand il passe.
Toujours est-il qu’hier, pendant que je faisais le grand jeu à cause qu’un caissier me boudait, il est passé. Il s’est arrêté devant moi pour me demander où nous cachions les cahiers Moleskine. Ses yeux bleus me scrutaient avec attention pour savoir si je le reconnaissais et surtout si je me rappelais. J’ai fait mon plus charmant demi-sourire avant de lui donner l’indication réclamée. Sans ajouter quoique ce soit. Il a payé à la caisse derrière moi. Quelques minutes plus tard, il se penchait au dessus de mon comptoir pour me dire : « Joyeux Noël, Mademoiselle ».
Je suis certaine qu’il y avait une majuscule à son «Mademoiselle».
Mmmmmpf... Si, en plus, il a les yeux pour venir pimenter l'intelligence, la finesse, l'humour et le côté sérieux... Il triche celui-là (oui on l'sait!), c'est trop pour un seul homme. Je me plaindrai: aurait fallu partager dans la famille.
Moi, les majuscules, j'ai toujours aimé. Et le Mademoiselle, je l’emploie encore… je trouve cela plus joli que Madame ! D'ailleurs, Mathilde, tu le sais, le mot ayant une importance si capitale dans ma vie, quand j'appose une majuscule, c'est que c'est mérité!
Sauterelle : Il doit être un vrai mini-weats dans ce cas là... On est un peu bouillies. Et depuis quand les familles partagent de manière équitable?
Alex : faut pas t'en faire hein, j'ai pris le compliment.