Ses voyelles
C’était un garçon bien ordinaire. Un peu grand, un peu mince, un peu brun, un peu sage et un peu extrême. C’était un garçon aimable qui se faisait remarquer dans les soirées mondaines parce qu’il faisait de l’esprit et savait flatter la vedette du jour avec la juste retenue qui impliquait qu’on le croyait sur parole, immédiatement. Il était un peu étrange aussi. Quoiqu’en réalité c’était sa collection qui était étrange : il collectionnait les voyelles.
La première fois, il n’avait pas fait exprès. La plupart des collections débutent un peu par inadvertance de toute manière, c’est bien connu. C’était une A. Il l’avait tout de suite su. Une A toute en amitié et en joie de vivre. Une A pour traverser l’Atlantique et partir découvrir des racines qu’on ne sait plus avoir plantées. Elle était son îlot d’accent connu dans un territoire étranger. Ils se reconnaissaient aux regards et aux gestes. À ces interdits aussi qui meublaient les silences de leurs tentions perceptibles. Ils en souriaient en chœur et les évitaient sereinement. Ils se racontaient les voyages, les villes et les villages, ils se racontaient les voyages en se tenant la main. Autour d’eux, on ne comprenait rien.
La seconde était une E. Une éternelle passionnée. Cette flamme qui brûle et ronge le corps en léchant avec attention chaque parcelle de peau disponible. Avec E il pouvait s’asseoir sur le toit du monde et braver les pires vertiges. Surtout ceux du cœur. Et il plongeait, tête baissée, prêt à tout pour la décharge d’adrénaline. Prêt à vendre son âme au Diable, si celui-ci existe vraiment, pour saisir, une fois de plus, l’éclat d’éternité qu’il voyait surgir à chaque fois qu’E l’embrassait. Alors il se vrillait sur lui-même, s’emportait dans le vent de la passion dévorante qui l’érodait et souriait aux anges en murmurant pour lui-même « ça y est, je suis vivant ».
La troisième était une I. Totalement intellectuelle. Un hymne cérébral, consécration de l’intelligence. Elle amenait dans son parcours, ces discussions à bâtons rompus qui laissent épuisé comme une course de fond. Elle était celle avec qui il discutait des points de détail de tous les mots que l’on peut rencontrer dans une phrase. Ils mettaient dans la balance les concepts et les expressions et regardaient le tangage des plateaux jusqu’à ce qu’ils atteignent le point d’équilibre et recommençaient avec les prochains accrocs de vocabulaire. De temps à autre, ils se parlaient des fleurs qui poussent entre les lignes de la séduction pendant que les auditeurs attentifs avaient l’impression de suivre une partie d’échec particulièrement serrée durant laquelle un des adversaires s’essayait aux manœuvres de diversion les plus perverses. Mais eux savaient qu’il n’en était rien.
La quatrième, une O évidemment, était l’œil qui regardait sa vie. Attentivement. Quelquefois, il se disait qu’il devrait la repousser, mais finissait par lui tendre une perche de plus pour qu’elle rapproche son poste d’observation. Elle lisait les lignes dans sa main et ses mots avec la même impassibilité. Parfois, elle lui piquait des colères pour le ramener sur Terre parce qu’il aimait bien descendre entre les mondes. Elle écoutait ses silences en lui faisant le coup de la logorrhée verbale. Il s’étonnait de se rendre compte, qu’avec elle, il se laissait aller aux confidences, autrement prises dans son gosier, sans trop s’en apercevoir. Avec le temps elle était devenue celle à qui il disait tout.
C’était un garçon ordinaire qui possédait une collection de voyelles. Elles étaient ses voix, mais surtout, le voyaient-elles.
Uto : tes compliments me flattent.
Et je crois que si un hibiscus peut parler, on peut collectionner la surprise...
Merci.
Pis pour une fille qui manque de vocabulaire, tu ne manques pas de répondant. J'aime ça!
Ça fait quelques semaines que je lis silencieusement ton blog. Oui, je sais, c'est pas bien, j'aurais dû me manifester avant. Mais aujourd'hui je voulais te dire : ton texte là, c'est juste très beau. Merci :)
Difficile de trouver les mots pour dire que je suis bouche bée.
D'ailleurs, j’y retrouve un peu de mes propres voyelles.
Ni U ni Y, par contre.
Quel texte! Vraiment, réactivez mes synapses quelqu'un, je suis béat.
Laurence : un tel compliment venant d'une amoureuse des mots telle que toi prend un envol dans mes joies quotidiennes.
François : Bienvenue sur les chemins qui mènent ailleurs. À ce point touché? Tu m'en vois ravie. La personne de qui je me suis inspirée a quatre amies particulièrement importantes dans sa vie c'est la raison pour laquelle je me suis arrêtée à O. Car, tu vois, les voyelles sont ces amitiés sincères qui sont des rencontres surprenantes et durables.
Les voyelles, elles allègent les angles de nos consonnes. Elles font sourire les mots.
Et puis le U et le Y, c'est celles qu'on ne connaît pas encore, dont l'amitié est incrite là, en creux, et qui nous font avancer.. ça représente l'avenir, les voyelles manquantes, tu vois..
Et c'est ça qui permet de rêver, encore.
Bonjour Mathilde,
C'est bien le sens que j'avais donné à ces/ses/mes voyelles. Merci bien, mes synapses vont mieux là!
Je suis heureux d'avoir suivi les chemins qui m'ont mené ici! Je reviendrai y faire escale.
Charles : Arrondir les angles des consonnes? Ouais... Il y a sans doute de cela.
Mais je crois qu'il y a plus que 6 voyelles possibles dans ma métaphore, les inconnues sont peut-être aussi inexistantes dans notre alphabet.
En ce qui a trait aux rêves, je crois qu'il y a des rêveurs et des non-rêveurs sur cette planète. Tu appartiens évidemment à la première catégorie.
Annie-Sandra : Je souris tout grand là.
François : Eh bien, fais escale mon cher, fais escale. J'aime beaucoup avoir de nouveaux promeneurs.