Jouer le jeu
T’as passé des jours à te maudire pour ton attitude. T’as passé des semaines à laver ton corps le plus vivement possible, pour oublier les traces qu’on y avait laissées. T’as crié ta haine à travers les fenêtres ouvertes sur l’été. Tu t’es crachée dessus, coupable. Tu savais que ce n’était de la provocation, rien de plus que de la vulgaire provocation. Jouer le jeu jusqu’au bout. Tu voulais lui donner tord, lui faire croire que rien, surtout pas lui n’avait de l’importance, pas davantage que toi en tout cas. Tu voulais lui faire comprendre qu’une nana comme toi ça ne court pas les rues. Que s’il ne faisait pas un peu plus attention à toi, tu ne serais pas là toute la vie à attendre qu’il se décide à te trouver assez belle et assez fine pour lui.
Tu as décidé d’être juste un peu moins attentionnée pour voir ce que ça donnerait, et tu t’es aperçue que ça portait ses fruits. Il s’est mis à rentrer tous les soirs, à te donner des signes d’attention que tu n’attendais plus. Il s’est mis à te parler, comme avant, au tout début. Il s’est mis à te laisser croire qu’un jour, sans doute, il pourrait te frencher. Pis toi tu buvais ses paroles comme de l’eau, sotte que t’étais de le croire encore, lui qui jouait avec toi depuis si longtemps. T’as relevé tes jupes de quelques points pour lui faire voir le galbe de tes jambes le plus souvent possible, en réprimande. Et tu l’as vu dans ses yeux que la trêve était proche, qu’il capitulerait sous peu, rien que pour pouvoir glisser ses mains sur tes courbes.
Alors, t’as décidé que ce ne serait pas assez. Qu’avec lui ce serait toute ou pantoute. Rien de mitoyen. Et t’es allée le narguer dans le bar où il est connu, t’as ramené tes fesses en toute impudeur, répondant sans vergogne aux œillades lubriques des hommes autour de toi. T’as additionné les shooters comme t’aurais dû additionner les verres d’eau. Tu t’es retrouvée sur le comptoir, après les heures de fermeture, à baiser sauvagement le nouveau barman que t’avais jamais vu avant ce soir-là, sachant pertinemment que c’était de la vengeance facile et ridicule. Pis t’es rentrée chez toi, la chair en lambeau et le cœur en miette, sentant à quel point tu t’étais leurrée toi-même.
Depuis t’essaie de laver les traces de ces assauts sauvages sur ta peau, sans y arriver. Tu voudrais effacer toutes les bêtises que t’as fait pour en arriver là, mais surtout la douleur que tu vois désormais dans le fond de ses yeux, parce que tu as poussé le jeu un peu trop loin, parce que t’avais voulu lui montrer que t’étais difficile à remplacer. Mais au lieu de faire les choses dans le bon ordre, au lieu de lui parler, tu t’es laissée guidée par ton maudit orgueil et tu te retrouves toute seule un samedi soir, avec le cœur gros et les émotions en morceau, à rêver au temps d’avant. Du temps où rien n’était perdu.
Dans la noirceur de ta chambre tu l’as entendu rentrer. Une fille accrochée à son bras qui égrenait son rire comme les pétales d’une fleur sauvage. Et tu t’es dit que tu l’avais bien mérité.
Déchirant de beauté, tendre mélancolie et triste de vérité. Ce serait au-dessus de mes forces de vivre ce qu'elle vit.
Arf.
Un beau conte moral pour illustrer une opinion que t'as exprimée ailleurs, n'est-ce pas? ;)
Si tous les gens pouvaient se parler...
Les non-dits sont parfois délicieusement chargés; dans d'autres cas, lourdement dévastateurs.
Alex : Je vais m'organiser fort fort pour pas que ça ne m'arrive. Et si tu continues à te respecter et à t'écouter, ça ne t'arrivera pas non plus.
Benoît : Oui, ce thème de la communication m'est cher, mais j'avais pas tellement l'impression d'y aller du conte moral. Je voulais juste raconter une histoire à un ami dans l'éventail des possibles.
Étant donné que les histoires se rejoignent parfois, je retouche mes propres mots, semblerait-il.
Je crois que c'est mon premier commentaire chez toi. J'ai dû me sentir fortement interpellée.
Je vais reprendre les mots d'Alex : triste de vérité.
Julie : Bienvenue sur mes chemins. N'hésites pas à commenter, les compliments font bien souvent ma journée.