vendredi, janvier 06, 2006

La reine déchue

Texte écrit dans le cadre du Coïtus impromptus. Je préfère vous rappeler que tout ce que j'écris n'est pas vrai. Juste au cas...


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Lorsque nous étions enfants, elle était celle qui accrochait tous les regards. Ma mère disait qu’elle était habillée en poupée et moi je l’enviais. J’aurais voulu avoir tous les jours, des souliers vernis, des jolies robes avec des collets en dentelles, mais surtout, j’aurais voulu avoir ses cheveux blonds qui descendaient en boudins lourds sur ses épaules. À l’école, elle était celle que toutes les petites filles voulaient pour amie. Tellement charmante, tellement jolie et en plus elle était bonne à l’école. J’aurais voulu être elle, mais j’étais une petite noire aux genoux écorchés qui passait plus de temps dans les arbres que sur le plancher des vaches.

À la polyvalente, elle était entrée par la grande porte, dans la gang. En moins de temps qu’il ne le fallait pour le dire, elle était officiellement l’amoureuse d’un plus vieux. Elle avait troqué ses jolies robes pour des jeans mais les portait comme s’il s’agissait de vêtements griffés. La classe. Je la voyais évoluer au centre de sa petite cour. Je n’en faisais pas partie. Tout juste si elle me saluait d’un hochement de tête quand on se croisait dans un corridor. Je n’étais qu’une ado trop ordinaire, avec des lunettes et des broches. Et puis, j’étais incroyablement soupe au lait et pas du tout en vogue. Je faisais des mots-croisés dans mon coin et je remplissais des cahiers verts de mon écriture serrée. J’aurais voulu être à sa place parce qu’elle était tellement aimée.

Quand nous sommes passées au Cégep, elle s’est glissée dans la peau d’une admiratrice de sportifs. Elle était assise à la grande table de l’entrée de la salle étudiante. Je la voyais me croiser dans sa petite décapotable verte pratiquement tous les jours. Sise sur mon vélo, déjà presque arrivée, je savais qu’elle aurait le temps de retoucher son maquillage et de se boire un café avant que je n’arrive. De toute manière, je ne portais que peu d’importance à mon apparence : il m’arrivait souvent d’apparaître encore toute chiffonnée dans mes cours. Mais déjà, je n’avais plus envie d’être elle. J’avais appris qu’une Mathilde, tout simplement pouvait avoir une vie fort intéressante. En s’impliquant dans la vie étudiante, entre autres. Et j’ai développé mon bagou à cette époque-là, je crois.

Nous nous sommes perdues de vues à l’université. J’ai changé de ville. Je me suis fait toute une vie dans cette petite ville de région si chère à mon cœur. J’ai découvert là-bas que j’avais une voix radiophonique et un sens de l’autodérision que je m’étais toujours caché. J’ai continué à écrire, parce que ça m’est nécessaire. Je me suis encore impliqué dans tout et rien et j’ai fait grandir mon réseau social. Ces dix ans m’auront servi à me créer des connexions. Je suis revenue à Montréal, riche de rencontres et d’une plus solide confiance en moi. Surtout, je suis revenue certaine que j’étais une personne dont il est agréable de faire la connaissance.

Je l’ai revue la semaine dernière. Elle était assise dans ce bar où je vais trop souvent. Elle m’a reconnu au premier regard. Lorsqu’elle a vu tous les hommes qui étaient à ma table, elle s’est approchée de moi comme si nous étions de vieilles copines. J’ai joué le jeu. Et j’ai pris le temps de la regarder aller. J’ai pu constater qu’elle est une petite reine de cours d’école, déchue. Rien de plus.

4 Commentaires:

Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Pour paraphraser un vieux philosophe du nom de Plutarque, ce n'est pas des histoires que tu écris, mais ta Vie; et d’ailleurs ce ne sont pas toujours les actions les plus éclatantes qui montrent le mieux le caractère profond de quelqu'un, un petit fait, un mot, une plaisanterie révèlent souvent beaucoup plus qu'un coup d'éclat, ou un récit épique.
La reine est morte! Vive la reine!

3:50 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Ce genre de fille c'est moi, mais en moins pitoune.

Sérieusement, c'est au moment où l'environnement change autour de soi qu'on se rend vraiment compte de ce que nous sommes en tant qu'eidos. C'est là que certaines convictions, et plus particulièrement celles qui semblaient ancrées au plus profond de nous et ne pas reposer sur les fondations du doute, s'écrasent avec moins de subtilité qu'un éléphant en tutu rose dansant dans un magasin de porcelaine.

Nous sommes le mobilier périssable de nos sentiments, sur un tapis volant de convictions... (c'est une idée de Pennac, tenais-je à préciser).

Comme quoi le boomerang revient toujours à destination...

8:21 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Alex : je dois avoir franchi un cap de bloggeuse, parec que franchement me faire cité Plutarque en argumentaire... Ouéééééééé!

Jen : T'es plus ou moins pitoune que la fille? Je te niaise! Je crois que nous sommes en effet, en partie définis par nos relations sociales et la place qu'on leur accorde.

Et ce Pennac! Quel manieur d'images! Quel talent...

8:54 a.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

I love Pennac.......

C'est tout ce que je voulais dire :)

12:36 a.m.  

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