lundi, janvier 09, 2006

Sauterelle

Avant même que je fasse sa connaissance, on m’avait mise en garde : nous avions toutes deux des caractères autoritaires et nous risquions de nous heurter. La première rencontre nous a surtout prouvé qu’on risquait de s’aimer. En moins de temps qu’il ne le faut pour le dire, on s’était découvert une multitude d’intérêts communs. Ce soir-là, nous sommes allées voir Marc Déry en spectacle. C’était l’ouverture sur un été à écumer le même bar. Un été qui nous aura vu danser.

C’était l’été, l’université et la jonction de deux univers. Elle arrivait dans ma vie avec cet Amour-qui-ne-veut-pas-mourir, encore tout chaud au creux de son cœur. Elle arborait un célibat quelque peu forcé en écharpe de soie autour de sa gorge, comme si c’était la chose la plus agréable au monde. Bien entendu on y croyait. Mais dans les moments morts, pendant que je brassais les cartes, elle me lançait à brûle pourpoint : « Mathilde, j’ai le goût de frencher » tandis que je levais les yeux au ciel. Il y avait des matins sautants aussi. Ceux durant lesquels, fière d’avoir un véhicule à sa disposition, elle nous organisait une excursion sur le bord de l’eau en affirmant que je ne pouvais pas dire non puisqu’elle avait commandé du soleil pour la journée.

Elle est allée faire valser ses expériences de travail sur d’autres continents. Elle m’envoyait des courriel remplis de ces joies qui la font vibrer : un verre de vin particulièrement succulent, une rencontre fortuite sur le coin d’une rue, un souper en bonne compagnie. Quelquefois c’était un coucher de soleil ou simplement une flaque d’eau reflétant cet édifice pluriséculaire. Et les anecdotes qui se succédaient. Moi je souriais devant mon écran, toute heureuse de sentir cette joie de vivre printanière qui la décrit si bien. Quand vint le temps pour elle de ramener ses pénates au Québec, on s’est mise à compter les dodos comme les deux enfants que nous sommes au fond de notre âme.

Elle est une des rares personnes qui se permet de me dire mes défauts en pleine face quand je me plains justement que d’autres me l’ont fait. Elle me dira : « tu sais, dans ces reproches, il y a vraiment des trucs qui ne te sont pas étrangers ». Évidemment, j’ai envie de lui dire qu’elle se trompe. Mais je sais tout le courage que ça lui demande de me confronter et de me donner tord. Alors je me dis qu’il faudrait que je regarde cela de plus près. Évidemment, je le remets souvent aux calendes grecques. Et à notre prochaine rencontre, elle n’en parlera pas, mais nous saurons toutes les deux que l’information m’est restée encrée dans les méninges. Elle aura le tact de me laisser dans ma tour d’orgueil et attendra, un sourire en coin, le moment où je lui accorderai que je possède effectivement ce travers.

Plus que tout, elle me dira spontanément, tout ce qui traverse sa tête. Elle me téléphonera toute énervée sur une question de mec, de film, de bar, de travail. Je rirai franchement de certaines déclarations intempestives, de ces urgences qui souvent n’en seraient pas pour la plupart des gens. Cependant je savourerai avec délectation sa présence, puisqu’elle me donnera une fois de plus cette impression d’être vivante.

6 Commentaires:

Blogger François s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Sourire.

"..., mais nous saurons toutes les deux que l’information m’est restée encrée dans les méninges."

J'aime bien cette image avec "encrée"... T'as raison, mieux vaut l'encre que l'ancre! J'adhère!

5:37 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Il y a parfois des non-dits plus clairs que des mots. Et c'est toi qui me l'a appris, chère Mathilde. Nous les partageons bien. Et y'a la patience aussi, de laisser venir l'autre à soi, à lui-même, surtout.

Quoi?? Sauterelle, raconter "de ces urgences qui souvent n’en seraient pas pour la plupart des gens"?? Mais voyons donc, qu'est-il de plus important que l'humeur du moment? Pfff je comprendrai jamais les grandes personnes.

En passant, journée bien choisie pour publier un tel portrait. Merci belle biche.

Enfin: "puisqu’elle me donnera une fois de plus cette impression d’être vivante". Tu sauras très chère que je me tiens pas avec du bois mort!

8:28 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Un hommage vibrant à l'amitié de deux êtres qui se recoupent dans la candeur de leurs moments communs.

Une biche et une sauterelle... les deux pleines d'énergie et sautillante de vie!

8:23 a.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

C'est joyeux, plein d'entrain et bourré d'amour. Mamagnifique !

8:58 a.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Utopiaque : Merci! T'es drôle toi, la plupart des gens se sentent concernés par ce qui leur ressemble... Pis toi non. Hum!

Un verre ça voulait dire quand est-ce que tu pense venir à Montréal.

François : oui, au début c'était une faute et je me suis dit que l'image en vallait la peine. Alors je l'ai laissée.

Sauterelle : Contente que tu aies aimé. Contente d'avoir bien choisi la journée, mais c'était un peu fait exprès.

Je ne suis pas du bois mort? Vraiment?

Alex : une biche et une sauterelle... Il y a de quoi réfléchir longtemps. Faudra que je le fasse!

Tubuai : Bienvenue! Merci. Je m'essaie à cela depuis quelques temps, les portraits. J'ai beaucoup de plaisir avec les gens que j'aime et je crois que je vais éviter de peindre ceux que je n'aime pas.

9:25 a.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Pourquoi te restreindre. Je suis certain que tu es aussi bonne dans le vitriolique que dans le gâteau des anges...

4:05 p.m.  

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