lundi, janvier 02, 2006

Monsieur

Il était évaché sur un divan trop bas. Tout seul avec sa bière et une cigarette qui traînait sur le bout des doigts de sa main droite. Son regard bleu traversait les mèches de ses cheveux blonds en éclairs. Et moi je me sentais un peu mal. Lorsqu’on nous a présenté, j’ai tendu la main en me tortillant les chevilles. Lui n’a même pas pris la peine de se lever et il a balayé ma salutation d’un geste nonchalant. Il y avait quelque chose de tellement dédaigneux, d’hautain dans cette attitude que je me suis crue à jamais exclue du cercle de ses amitiés. Alors j’ai oublié son prénom.

Il fait partie de ces gens qui cachent leur gêne dans une assurance simulée. Mais ils en jouent le jeu jusqu’au bout. Ils tiennent leur rôle jusqu’au prochain entracte, lorsqu’ils seront entourés de personnes dont ils sont proches. Ils jettent des « je t’emmerde » en pleine face, pour donner le change. Et ça marche. Ils annoncent aussi, au tout départ, qu’ils ne sont pas appeleux et que c’est aux autres de courir pour cultiver l’amitié. Comme si rien ne les dérangeait et qu’ils étaient au dessus de tout. Il fait partie de gens qui font des clins d’œil par-dessus une bière et me plaquent en souriant, sans avoir dit quoique ce soit.

Et moi, je suis restée derrière, curieuse de cette intelligence impétueuse que je voyais briller sur le fond de ses rétines. Je l’ai revu plusieurs fois, tenir un rôle de capitaine et venir questionner un arbitre à coup de condescendance amusée. Je l’ai observé souligner toute l’ironie des quiproquos et montrer férocement que ses méninges fonctionnent. Il m’impressionnait. Il me stimulait aussi, paradoxalement. J’étais sa fan. Lui ne s’apercevait de rien. Mais je sais bien moi que j’allais voir les match d’improvisation pour voir ses performances de capitaine. Sans savoir son prénom. Je l’appelais Monsieur.

Des années ont passées. Il a remisé sa gêne et sa suffisance. Il ne m’appelle jamais, mais de temps à autre il me fait signe sur msn pour qu’on aille prendre une bière. Il me dira tout dans l’ordre et dans le désordre comme si nous nous étions vus la veille. Il me lancera des regards mitraillettes quand je vais mettre le doigt sur une vérité qu’il aurait préféré ne pas aborder et me traitera de Drama Queen pendant la demie heure suivante. On parlera de littérature et de femmes. On parlera des hommes qui s’absentent de ma vie amoureuse mais qui me sont furieusement fidèles en amitié. On se racontera cette première rencontre, la fois ou une fille m’a déshabillée sur une piste de danse ou cet anniversaire qui a scellé notre amitié. On parlera du fait que j’écris et lui me dira que c’est bien fait. En 3 heures, on aura fait le tour du monde dans les grands traits et les détails ne seront pas épargnés.

Il partira de sa démarche sèche et rapide en m’invitant à donner de nouvelles plus souvent. Je ne le ferai pas, nous le savons bien. Mais on se reverra dans 3 mois, pour prendre un verre.

5 Commentaires:

Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

J'ai beaucoup aimé la façon dont tu nous racontes cette histoire. C'est captivant de bout en bout.

J'en profite pour te souhaiter une bonne année 2006

2:22 a.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Oh merci Obni! Je dois dire que j'aime beaucoup mon sujet. Et que j'apprécie l'exercice de faire des portraits.

Je te rends la pareille!

6:31 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Je l'aime bien ce Monsieur. ;)

8:19 a.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

hé hé :)

4:02 p.m.  
Blogger Julie s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Étant moi-même de ceux qui cachent leur gêne sous un grand manteau de suffisance, je trouve que tu le comprends drôlement bien ton Monsieur....

Très joli texte plein de tendresse.

:)

2:59 p.m.  

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