L'imperfection
Quand il s’est assis à côté de moi, la première question qu’il m’a posée était : « C’est quand que t’as scoré avec Boudrias? » Je l’ai regardé avec des points d’interrogation dans les yeux, qu’il a interprété comme une demande de spécification de l’identité du personnage susmentionné. Il n’en était rien. En réalité j’étais plutôt estomaquée qu’on présuppose, en me donnant une tape dans le dos, que j’avais eu une aventure avec Boudrias, quelque part dans le temps. Il fait du charme à toutes et chacune, m’incluant quelquefois au passage. La plupart du temps, il me parle de choses sérieuses et assommantes auxquelles je ne comprends pas grand-chose. Et surtout, il a ce tic de langage qui m’énerve. Je suis snob, je l’ai toujours été et je m’assume assez bien là-dedans. Il n’est pas du type d’homme avec lequel je pourrais jouer, même si je sais pertinemment qu’il ne ferait que jouer avec moi. Parallèlement, il n’est pas le type d’homme avec lequel je m’engagerais non plus. Et puis, nous n’en sommes qu’au stade de la rumeur, n’est-ce pas?
Ce qu’il y avait d’ironique dans cette histoire, c’est que je me tiens tranquille depuis des mois. Plus de chasse, plus de pêche. Plus l’envie de me retrouver dans des draps souillés de sueurs qui ne m’appartiennent pas, fatiguée de chercher mon chemin dans les nuits de la ville pour retrouver mon havre tout personnel. Et puis j’ai goûté au plaisir fugace d’avoir une relation qui à défaut d’être amoureuse, se conjuguait en tendresse et en rire. Alors les éphémères alcoolisés, les rencontres de coin de table, les désirs qui consument et que l’on assouvi sur le champ, trop peu pour moi désormais. Lasse, je suis. Lasse, et pour être honnête, plus tout à fait assez courageuse pour me lancer. Mais peut-être que je portais d’avantage de l’inconscience que du courage à ce moment là : de l’inconscience de moi.
Aujourd’hui, j’ai la sensation d’être branchée en tout temps sur mes émotions. Je me prends à verser des larmes sur tous les sujets. Quelquefois, je me retiens encore. Surtout en public. Quelquefois, je sens que mes larmes ne feraient qu’alimenter des fontaines qui nous tarissent à force d’épuisement. Alors je plaque un sourire sur mes lèvres et je fais comme si ça ne me dérangeait pas. Il y a des jours durant lesquels je me surprends encore à crâner. Mauvaise habitude sans doute. Mais ces jours-là voient mes soirs se noyer dans les peines que je ne sais plus endiguer. Bizarrement, tous ces bouleversements semblent avoir un lien direct avec ma manière d’agir avec les gens qui me plaisent. Autant avant je me lançais tête baissée vers les quidams qui m’entourent pour leur annoncer qu’ils me plaisaient, autant désormais je reste figée, un peu envieuse de ne pas profiter pleinement des présences qui m’attirent.
Et pourtant, j’ai croisé tant de regards qui allumaient mes antennes, tant de phrases percutantes qui me harponnaient le cœur en m’attirant aussi sûrement qu’un aimant. Mais je suis restée muette, consciente de n’être, après tout, qu’un petit bout de femme, pas parfait du tout.
"L'inconscience de soi" est-elle une forme de l'abandon de soi? Mais c'est aussi une forme de spontaneité que témoigne la conclusion. Bon courage
Je suis clouée. Encore une fois. Quelle est la meilleure méthode : la quête, la chasse ou la pêche ou alors se faire le lit de la lassitude et attendre qu'un miracle s'accomplisse ? Je ne sais. Je n'ai pas encore tranché cette douloureuse question.
En tout cas, c'est joliment écrit.
Pierrot : La réflexion est intéressante. Et la dernière phrase me dérange : aie-je l'air à ce point déprimée?
Dda : L'équilibre?
Uto-dilettante : Tu t'es procuré où le décodeur de moi?
Par contre l'inconscience de soi, je ne la voyais pas du tout sous cet angle là. M'enfin, il doit y avoir des éléments positifs à tout état.
Oui, l'équilibre, mais bien avec Soi.