mardi, mars 28, 2006

Rumeurs de loups

Elles se hâtent dans le froid de la nuit pour gagner leur destination. Le vent claque autour d’elles en rosissant leurs pommettes et elles doivent s’arrêter de parler, de temps à autres, pour respirer un peu. La glace de l’air leur scie les poumons, autrement. En cheminant, celle de droite raconte un vieux bout d’histoire incomplet de leurs confidences et lorsqu’elles entrent dans le dépanneur, pour acheter des cigarettes, la personne dont il est question traverse la porte dans l’autre sens. La narratrice, saisie, se tait, complète ses achats et ne revient sur le sujet que lorsqu’elles sont confortablement assises devant une bière.

C’est un soir de pleine lune, les loups affluent dans la ville. Partout où elles se rendent, ils sont-là. Ces vieux souvenirs qui restent d’ordinaire intangibles et vaporeux, sont matérialisés dans toutes les sphères de leurs habitudes. Elles rient jaune de le constater. Cette nuit, la meute s’est donnée le mot pour envahir les rues du Plateau. Les yeux brillants les suivent du regard, attendant un signe pour se joindre à leur conversation tandis qu’elles font tout en leur possible pour ne pas rencontrer les étincelles qui les épient. Elles n’ont pas peur, les loups urbains sont bien nourris.

Les bruits ambiants augmentent au même rythme que l’alcool ingéré. Lorsqu’elles se tournent vers le bar, elles les voient tous, en rang. Comme si le rendez-vous était concerté. Pourtant, ils ne s’adressent pas la parole; ils ne se connaissent pas. Dans la lumière tamisée, étouffée par les volutes, ils sourient de leurs grandes dents tandis qu’elles sentent remonter la chenille de l’appréhension le long de leur colonne. Que vont-ils faire, que vont-ils dire? Plus le temps passe, plus ils semblent conquérants. Elles baissent la tête et le ton. Les confidences se parcheminent peu à peu comme si elles avaient craignaient de se faire voler une parcelle d’elles-mêmes si les loups les entendaient.

Dehors des nuages alourdissent la lune. Elles quittent l’endroit serrées l’une contre l’autre. Elles marchent d’un pas pressé qui se voudrait désinvolte. Malgré le froid et la neige, elles traverseront la nuit montréalaise jusqu’au lever du jour. Les astres nocturnes perdent leur influence sur les bêtes pendant que les rayons joyeux du soleil taquinent le pavé. Elles s’endorment en sécurité.

Désormais, elles portent les marques des griffes sur la blancheur de leur peau et quand la pleine lune se lève sur la première nuit du printemps, elles savent que les loups hurlent dans le silence des mots qui ne seront pas dits.

5 Commentaires:

Blogger Juli s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Effectivement, j'adore ce texte!!!

10:45 a.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Dans ce texte on a le sentiment qu'il y a une sorte de soumission de la part des louves... :) Pourtant lorsqu'elles sont en groupe les louves ont autant de poids que les loups. Et qu'en est-il des loups solitaires ? ;)

1:49 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Quand on parle du loup!!!
Héhé ;)

2:04 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Juli : :)

Matthieu M : Hey, j'ai pas parlé de louves moi! Je voyais des femmes ou des filles, mais pas des louves. Dans ce texte, ce sont les hommes qui sont prédateurs.

Jen : Il y a de ça...

7:32 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

OUuuuh, je ne suis pas certaine que se soit le froid de la nuit qui me glace tant. Mais le regard des loups. Elles ont bien louvoyé cette fois-ci.

2:01 p.m.  

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