lundi, mars 27, 2006

Une enfant du béton

La Matou Déphasée se demandait d’où nous venons et son texte m’a inspiré ceci.

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À l’arrière, de la maison, il y avait une piscine dans laquelle les enfants couraient, hurlaient, riaient dans tous les sens. Il y avait souvent la foule, les jours d’été, il fallait même parfois attribuer des heures de plaisance aux garçons et aux filles, parce que la flaque bleue artificielle était trop remplie pour que les enfants puissent s’y prélasser convenablement. Les filles, plus âgées, en majorité, partaient bras dessus bras dessous sillonner les rues avoisinantes, courant faire du lèche-vitrine sur la promenade toute proche. Elles revenaient, les yeux rieurs et la langue colorée par les slush et autres friandises glacées qui leur étaient tombées sous la main. Les jours de pluies, les rassemblements se faisaient dans les sous-sols et dans les chambres. Là, elles sortaient les poupées et les jeux de société. L’hiver, les bancs de neige se transformaient en forts, la cours en patinoire et à l’intérieur, Maman avait toujours un peu de chocolat pour réchauffer les enfants frigorifiés.

À l’adolescence, les filles se sont mises à parcourir le béton. Elles étaient déjà des habituées du transport et connaissaient toutes les ruses pour ne pas manquer les correspondances. Les samedis étaient consacrés à des expéditions en ville. Suivant toujours les mêmes trajets, comportant des arrêts dans des boutiques spécifiques et des casse-croûtes très précis. Elles revenaient à la maison, exténuées d’une journée de marche et de la turbulence d’un trop grand contact avec la meute humaine. Elles passaient la soirée dans leurs chambres à parler au téléphone, tout en écoutant la télé et la radio en même temps et en feuilletant distraitement une revue pour préparer le prochain samedi. Elles étaient fières, se sentaient incroyablement indépendantes, parce que les filles du bitume pouvaient partir seules dans Montréal, en vélo ou en métro, pour toute une journée sans avoir besoin de l’aide parentale pour revenir à la maison.

Dans une ville anonyme, elles trichaient sur leur âge pour se faire admettre dans des bars où on ne les connaissait pas. Elles meublaient les pistes de danse en s’agitant jusqu’à ce qu’elles finissent par tomber de fatigue et retourner à la maison avant le couvre feu que Maman avait élégamment étendu de façon à ce que toutes la communauté féminine dorme sous son toit. Les petits déjeuners du dimanche étaient nourris de croissants et de brioches, comme les jours de fêtes. Elles étiraient le temps le plus possible avant de se séparer pour se plonger dans les devoirs qu’elles auraient à rendre le lendemain. Un peu plus tard, elles se sont gavées de la vie culturelle. Elles étaient de tous les festivals, de toutes les fêtes en plein air et se faisaient un devoir d’aller à la Ronde au moins une fois dans l’été pour se confirmer qu’elles étaient dans le coup.

Aujourd’hui encore, quand elles arpentent les rues de la ville dans ses printemps agités, elles se reconnaissent dans les petites qu’elles croisent. L’odeur du métro a quelque chose de réconfortant à leurs narines; le caoutchouc usé sur les rail leur fait comprendre que la maison n’est jamais loin.

Malgré le fait que je me sente toujours aussi étouffée par la foule, je suis une enfant du béton, mon appartenance est aux trottoirs et à la mouvance humaine.

9 Commentaires:

Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Je ne viens ni du Lac, ni du béton; je suis un enfant de la forêt. Moi qui ai toujours détesté le béton et qui y vit depuis maintenant trois ans, en lisant ce texte, je réalise à quel point l'avantage des arbres c'est qu'on se fait des racines n'importe où, à condition qu'il y ait un peu de terre. Merci Mathilde et La Matou, je comprends mieux vos réalités maintenant.

12:51 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Une vie de jeunes filles en fleurs, en fait !
Pour ma part, mi-béton sage et surtout campagne. là où tu sillonnes le pavé de la ville, c'était pour moi les virées en vélo sur les sentiers au milieu des champs, bois et les bottes de foin, les cabanes dans les arbres.

3:52 p.m.  
Blogger Martyne l'intellex s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Un point commun à toutes nos réponses, je crois : l'odeur.
Nous n'avons ni racine, ni suroît ni jusant, que des odeurs.
Olfactivement vôtre,
M xxx

4:43 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Alex : Je pense que je suis capable d'un peu de tout aussi, mais je reviens toujours à l'urbanité.

Dda : Tes textes laissaient transpirer que tu étais une souris des champs.

Intellexuelle : De même, ma chère, de même.

10:58 a.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Vi, et qui, les soirs de pleine Lune, se transforme en souris de bibliothèques ;-))

1:34 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

En l'occurence, on pourrait aussi dire enfant de la jungle ;)

1:55 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

L’odeur du métro a quelque chose de réconfortant à leurs narines. Je suis devenu citadin il y a quelques années, et c'est quelque chose que je ressens maintenant: c'est joliment décrit !

3:18 a.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Matthieu M : Jungle ici? Non, pas vraiment, la densité de population n'est pas assez grande.

Tubuai : et le mieux, c'est qu'ici les métros sont vraiment propres.

9:07 a.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Je voulasi te remercier pour ce texte qui me parle tellement...parce que je suis une fille de ville. NE fait je susi née parmis les arbres, ms les gratteciel mon accueillis alors que je commencais a me servir de mes papattes...et maintenant que je suis revenue ds ma vlle de naissance et que je mapprete a revenir ds mon Montreal adoré, je me rend compte a quel point c différent.

5:50 p.m.  

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