Les répétions
« Je ne sais pas si je t’ai raconté » m’as-tu dis, en enchaînant du même souffle sur cette histoire que je connaissais déjà. Je t’ai laissé parler pour m’assurer que je ne me trompais pas et j’ai souri dans ma barbe imaginaire. Quand je t’ai donné des détails de ton anecdote, tu t’es exclamé : « Ah, tu vois je radote déjà! Qu’est-ce que ce sera quand j’aurai 100 ans! » Tu discernais les premiers signes de la vieillesse. Moi je riais. Parce que je sais que les répétitions ne sont pas l’apanage de l’âge. Tu me diras que ça me rassure de croire à cela parce que je serai toujours plus vieille que toi.
Il y a des histoires qu’on porte aux oreilles d’autrui parce qu’elles nous font rire. Elles nous mettent en valeur ou au contraire nous montrent dans notre plus sincère ridicule. Quoiqu’il en soit, on les narre à tout venant, parce qu’elles ne sont pas menaçantes pour nous. On se pointe du doigt, on se marre à nos dépends, en étant les premiers à le faire pour éviter que d’autres nous mettent sous le nez nos propres travers en mettant l’accent sur les détails qu’on évite, plus ou moins sciemment. On entre alors dans une zone de confort qui nous permet de ne pas nous dévoiler plus avant. Je crois que plus on connaît quelqu’un, moins souvent on répète les mêmes histoires. Comme si tranquillement on se défaisait pelures étanches qui nous donnent l’impression de nous protéger d’un certain danger.
Lorsque je sévis dans les sphères sociales, je me sens l’obligation d’être drôle. De toute manière, ça passe toujours un peu mal quand je réponds autre chose que « bien » au sempiternel « comment ça va ». Je veux me faire apprécier, comme tout le monde, j’imagine. Alors je me drape de légèreté. J’ai mes tabous et mes faiblesses que je préfère garder pour moi ou encore partager avec des gens en qui j’ai pleine confiance. Et même à ce stade, je garde pour moi ce que je considère comme des informations qui pourraient être retenues contre moi. Il y a bien quelques personnes qui ne me laissent aucune chance de taire mes secrets, celles-ci respectent mes pudeurs et attendent que les mots sortent d’eux-mêmes; de ma plume ou de ma bouche.
Je choisis de dire ce que je veux bien dire. Ici ou ailleurs. En un peu plus d’un an, mes chemins se sont pavés d’éléments redondants. Je ne dévoile de moi que ce que je veux bien livrer. Quels que soient les propos que je tiens, j’ouvre mon cœur dans les espaces où il n’est pas fragile. Pas trop. Depuis quelques semaines, je sais bien que je suis prise sous le joug de mon censeur. Il est grand, tenace et froid. Il égratigne mes frustrations que je ne me sens pas le droit de crier. Parce que chacun de mes accrocs porte un nom. Alors je répète sans cesse les mêmes histoires, avec des nouveaux mots, des nouvelles images. Alors je me confine dans ces petits riens qui parlent de ce qui m’est sécurisant de montrer. Mes bons coups, le fait que j’ai appris à rire de moi, mes amours passées, mes amitiés tenaces, mes envies d’écrire. Tous ces pans de ma vie qui me dévoilent sans me déshabiller.
Non, on ne se répète pas tant parce que notre mémoire est courte. Je crois moi, moi qu’on se coltine dans des formules qui nous font bien, parce que c’est beaucoup plus rassurant que de se lancer, tête première, dans nos plus grandes vérités.
Dam right!! Je peux rien ajouter de plus, c'est tout à fait mon genre, pis je me rappelle jamais à qui j'ai raconté, donc je radote inévitablement!! rire!
Si je répète que j'aime ton texte, il y a des conséquences?
Wow... je me reconnais là-dedans.
Par moment, c'est comme si j'avais un «dossier de presse» dont je ne dépassais jamais les limites, de peur d'être jugée (de façon négative) par les autres...
...alors je reste en zone de confort.
Julie : mais on en revient à dire qu'on raconte ces affaires-là parce qu'elles sont dans notre zone de confort.
François : Non, surtout que ça faisait longtemps que je n'avais pas vu la trace du passage de tes yeux ici.
La Souris : J'aime bien l'image du dossier de presse.