mardi, avril 18, 2006

La princesse et l'hippocampe

C’était une princesse de Noël, dans sa robe évasée et ses délicats escarpins qui donnaient l’impression de la voir sortir d’une cours du XIXe siècle. Elle avait attendu son prince, impatiemment, toute la soirée et j’avais pu voir ce soulagement sans réserve quand il avait franchi la double porte assez tard dans la soirée. Un oasis qui se déplace pour protéger la belle. Il y avait dans leurs échanges, leurs regards et leurs rires, cette complicité propre à ceux qui se connaissent et s’aiment profondément. Poser les yeux sur eux, c’était s’abreuver de paix. Il était évident qu’ils étaient seuls dans leur monde amoureux, sans doute et sans hésitation. Ils étaient seuls, mais forts. Je les observais de loin, fascinée par cet amour qui transperçait l’espace et le temps. Ils on quitté la fête parmi les premiers, las de toute l’agitation qui nous entouraient. La princesse portait une fatigue immuable en elle-même que son prince ne voulait pas voir trop s’étendre. Derrière leurs pas qui s’éloignaient, la salle perdit un peu de sa splendeur, mais on voyait ça et là, impressions de leur passage. Comme une fleur oubliée sur une table, qui ne fane pas.

Quelques semaines plus tard, la princesse est devenue régente de son royaume. Fière future maman de l’héritier de cet amour qui s’étalait en corolle autour d’eux. Elle portait la vie. La suite. Elle traversait les places publiques, forte comme un bélier, malgré sa petite taille et ses os menus. Son nouveau statut lui donnait de l’assurance. Elle me racontait les décisions à prendre pour fabriquer cet héritage, les bouleversements à venir dans la vie de son roi et d’elle-même. Elle me racontait les responsabilités et les dangers. Elle savait qu’elle n’aurait pas un million de chances, coincée qu’elle était par une santé sous surveillance. Elle était jeune et resplendissante. Sa bédaine pas encore apparente lui donnait du coffre, du souffle, de l’espoir. Dans son rire brillait désormais une sagesse que je ne lui connaissais pas auparavant.

Elle est venue me voir une semaine plus tard, convulsée de larmes. La veille, elle avait saigné jusqu’à la lie cette vie qui grandissait en elle. La veille, elle s’était écrasée impuissante contre le mur de toilettes publiques, tentant tant bien que mal de retenir cet asticot qui désertait ses chairs. Elle pleurait des larmes pluriséculaires, une douleur hors du temps, cette perte qui vrille le cœur et décourage l’espoir. Elle traînait autour d’elle un parfum de tristesse que j’aurais aimé pouvoir chasser d’un coup de baguette. Mais je n’en avais pas. Quelques jours plus tard, elle est allée voir un médecin à cause de la violence des événements récents. Et c’est là qu’ils ont découvert, un minuscule hippocampe, fermement accroché à sa paroi utérine. Il avait bravé l’ouragan et restait-là, tout beau et plein de vie à narguer les pires prédictions. Un petit Prince voulant éclore.

Depuis ce temps l’hippocampe a bien changé. Il a pris toutes sortes de forme passant à la crevette puis au têtard, faisant de son habitacle maternel un véritable aquarium. Maintenant, il ressemble à un petit garçon, encore un peu fragile pour sortir de sa maison. Mais moi, quand je vois la nouvelle reine croiser mon chemin, je dis toujours et à jamais : « Alors Madame Hippocampe, vous allez bien tous les deux? » Elle me sourit sans me reprendre, parce qu’elle sait très bien que son bébé restera toujours le prince des hippocampes, puisque c’est sous cette apparence qu’il nous a montré sa fureur de vivre.

3 Commentaires:

Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Wow, encore une fois bravo

T'as un talent fou

12:04 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

La vie est ses surprises bonnes et/ou moins drôles.
Vive le Prince Hippocampe et à sa Reine mère !! (sans oublier papa Roi aussi).

6:04 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Harakiri : Merci beaucoup!

Dda : Je crois que toute la royauté de ce minuscule royaume est particulièrement heureuse.

9:35 a.m.  

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