Je ne t'aime pas
Elle triturait le sous-verre en se disant qu’elle en avait plus qu’assez. Assez d’être plus seule et plus forte que supposé. Assez de ne pas avoir le droit crouler dans les larmes salvatrices puisque personne ne pouvait l’imaginer faillir. Aussi loin qu’elle se souvenait, elle avait toujours endossé le rôle de la psy avec les gens qui l’entouraient. Toujours mis un sourire sur son visage, de l’entrain dans leur vie. Désormais, elle était épuisée. Morte avant l’arrivée. Seule dans la coquille qu’elle s’était forgée pour ne pas déplaire. Prise dans un donjon imprenable dont elle n’était plus certaine d’avoir la clef. Elle n’était même plus certaine d’avoir les indices pour se décoder elle-même. Elle traînait sa bonne humeur comme un boulet. Plus lourd que toutes les peines des condamnés. Elle aurait tant voulu qu’un magicien vienne éclairer sa forteresse de ses solutions sans heurts. Elle aurait voulu croire qu’un méchant roi la tenait prisonnière dans sa tanière et que n’importe quel preux chevalier pourrait venir la secourir. Mais elle savait qu’il n’en était rien. Elle savait être la seule responsable de cette distance.
Au lieu de lui dire : « Tu me plais, j’aimerais bien te plaire, » elle lui avait demandé de lui laisser de l’espace pour respirer. Penaud, il était parti. Retourné jusqu’au fond des douleurs. Il avait contenu sa petite tragédie toute personnelle, endigué les éclats de chagrin, ri quand il ne fallait pas. Il n’avait rien compris. Elle l’avait regardé partir en apparente indifférence, faisant comme si rien de tout cela ne l’atteignait vraiment. Il était revenu quelques mois plus tard, lui dire qu’elle était la seule à hanter ses rêves. Elle avait sourit, sachant très bien qu’il disait vrai. Elle avait dit : « je ne t’aime pas », comme on annonce le beau temps, contenant à grand peine l’envie de lui hurler de sacrer son camp, de déguerpir, menacée qu’elle était de cet amour sans borne qui la déchirait davantage que tous les abandons qu’elle avait essuyés. Elle était plantée dans la peur. Alors elle disait que l’amour faisait trop mal pour qu’on s’y attarde. Alors elle disait n’importe quoi pour justifier le fait qu’elle le repoussait.
Lorsque d’autres hommes se présentaient sur le pas de sa vie, elle se réfugiait invariablement dans son donjon. Elle égrenait les souvenirs de ses amours meurtries, tapissant son avenir des nostalgies que miroitaient son âme. Elle accusait son corps, sa vie, des responsabilités trop tôt drapées sur ses épaules. Elle criait que la solitude n’était pas un fardeau, qu’elle n’avait pas envie de pis-aller. Elle était forte et ne pleurerait pas. Elle accusait les coups, les déchirures, les désillusions. Elle riait à en perdre le nord, elle riait pour chasser les fantômes. Elle riait d’elle-même et des autres pour n’avoir pas à avouer son inconfort. Elle disait que le bonheur était dans les petites phrases de la vie, ces perles qu’elle réussissait à construire à partir du vide. Elle faisait fi de ses angoisses, les chassant des gestes désinvoltes qu’elle avait appris par cœur. Elle répétait : « je ne t’aime pas. »
Dans le creux de l’hiver, à la brunante ce soir-là, elle se disait que les donjons étaient de bien tristes forteresses dans un monde où les magiciens n’existaient pas.
C'est vrai que les forteresses les plus imprenables sont celles que l'on se construit.
J'aime beaucoup ceci : "Seule dans la coquille qu’elle s’était forgée pour ne pas déplaire" et aussi ceci "... menacée qu’elle était de cet amour sans borne qui la déchirait davantage que tous les abandons qu’elle avait essuyés."
Bravo !
La magie et les histoires se construisent et se déconstruisent au fil du vent qui souffle.
On créé souvent nos propres histoires de preux chevaliers ou de mages noirs. Certes, il y a des démons à affronter comme dans tout bon conte qui se respecte mais une histoire ne se bâtit pas avec un seul personnage.
Quand la princesse cessera-t-elle d'utiliser le miroir pour se faire dire qu'elle est la plus belle ? Un miroir, ça doit aussi servir à se regarder, tel que l'on est et à comprendre ses douleurs. Il est normal de recevoir un coup d'épée à l'occasion et d'avoir mal. Faut juste apprendre à se l'avouer et à se relever.
C'est un peu ça la vraie façon de vivre heureux et d'avoir beaucoup d'enfants.
Je te salue bien bas Mathilde C. pour ce texte.
Faire face, se regarder et faire confiance. Accepter qu'on a des défauts, assumer nos qualités. Apprendre à dire BYE aux gens qui nous voient mal, qui nous observent sans nous laisser de chance, qui nous jugent sans prendre le temps.
C'est pour ne pas devenir comme cette triste reine que j'ai décidé de briser ma coquille. Non pas sans efforts, non pas sans prudence, mais de la déchirer, pour pouvoir goûter.
Goûter à ma vie, profiter des possibilités que je peux moi-même créer en ouvrant les portes que je souhaite ouvrir.
Parfois, on a envie de se retirer. De fuir. De tout envoyer promener. Okay, alors on le fait. Mais pour 10 min. Pour une soirée. Et puis après on se raisonne. On comprend.
Merci Mamathilde, pour ton commentaire et pour ce texte. Comme tous les autres, il me parle. Ils me touchent, à des endroits qui ne sont pas habitués à cette beauté. Parce que c'est beau les peurs. C'est beau, parce que ça nous permet de nous apprivoiser. De repousser nos propres limites. De grandir. De foncer. De plonger. C'est ce que je lis dans tes textes. Avec toi, on apprend à accepter nos peurs. Merci encore.
Dda : Les forteresses les plus imprenables sont celles qui se dressent autour de nous, solides, quand on à l'impression de n'avoir qu'un petit muret pour protéger un jardin...
Pat : Je crois qu'au bout du compte, la princesse de mon histoire n'a pas trop confiance en elle et qu'elle est malheureuse. Alors elle s'accroche à tous les artifices possibles, même les miroir, pour se donner un peu de courage.
*révérence*
Andy : Je ne sais pas si je peux apprendre à qui que ce soit à accepter ses peurs, mais je suis certaine que je peux apprendre à en parler, par contre.
et un jour le crabe l'a envahie, il s'est frayé un passage dans ses dénis... superbe texte, des mots que j'aurais souhaité pouvoir écrire pour une histoire que j'ai vécue.
Je peux imaginer les souffrances et les peurs de cette princesse ou de cette reine, appelons-la comme on veut, comme elle le veut, mais c'est une bien triste histoire quand même. Pour elle. Merci Mathilde.
Mariel : Merci. Mes mots ne sont sans doute pas les tiens, mais j'ai beaucoup appris en allant chercher ça et là des idées qui caressent la blogosphère.
Annie-Sandra : Platement je te répondrai que la seule réelle certitude qu'on ait dans la vie, c'est qu'elle se termine un jour. Je préférerai toujours garder les yeux fixés sur l'espoir de vivre.
Sauterelle : Je crois que nous sommes toutes un peu cette reine froide dans son donjon. Il faut simplement savoir construire des escaliers qui brisent l'isolement.
Je me reconnais dans chacune de tes lignes, au moins cela veut dire que je ne suis pas la seule a etre ainsi.
Merci.