vendredi, avril 07, 2006

La pulpe des mots

Il s’étonnait chaque fois qu’il rencontrait ces gens qui carburent à des histoires de passion tout droit sorties de la littérature. Un peu en dehors du réel. Il me disait : « Ça ne m’arrivera jamais. » Penaud. On savait bien tous les deux que ce n’étaient que des balivernes, qu’un jour, un jour il s’en irait si loin que je ne pourrais plus le rejoindre. On riait de ce malaise qu’il porte en lui, cet inconfort qui lui fait fuir la foule et ces rencontres sans importance. Ces moments où il me tend la main, pour s’accrocher à la terre, parce que le monde a toujours été trop grand pour lui. Parce que le monde a toujours été trop petit aussi. Il fuyait les hasards qui rencontrent des dialogues à refaire. Il ne voulait pas qu’on le perçoive et qu’on le reconnaisse.

Il me parlait des femmes de sa vie. Celles qui avaient croisé son chemin et celles qu’il voulait dans un quelconque avenir. Il murmurait des promesses à mon oreille attentive. Ces gestes qu’il déploierait pour se rendre jusqu’à elles. Il me disait : « Je prendrai sa main comme on tient un oiseau. Je caresserais ses doigts pour en connaître toutes les textures et ainsi reconnaître chacune de leurs inflexions sur ma peau, quand elle caressera mon dos. » Il me racontait le ton de la voix, le pétillant du regard. Il me racontait les détails que j’aurais préféré ignorer, me décrivait ce corps dans lequel il vivait, sans complaisance. Il m’en montrait les bleus et les défauts. Il pressait ma main sur sa poitrine pour me faire sentir le râle qui s’en échappait tout le temps. Il me disait : « je suis blême. » Et c’était vrai.

Il m’affirmait qu’il ne croyait plus en rien. Ni en l’amour ni en l’amitié. Il pensait qu’il ne croyait plus en moi, en nous. Je le regardais s’époumoner sur les falaises de ses craintes et je le berçais des heures durant. On pleurait en silence, abîmés par la vie. Trop jeunes pour mourir. Trop vieux pour vivre. Je lui racontais ma solitude, mes abysses. Il caressait ma chevelure emmêlée de ses doigts gourds. Je le laissais aller plus près de moi que quiconque avant lui. Je lui confiais mes rêves et mes projets. Un temps avant de réaliser qu’ils m’habitaient. Il embrassait mes tempes et déclarait qu’il y croyait. Plus fort que moi, plus clairement que moi. Il dessinait une colline là où je voyais une muraille infranchissable, il me poussait dans le dos juste assez pour la montée. Je me sentais plus légère et je ne tombais pas.

Il m’écrivait les poèmes qui traçaient son cœur. Il me disait que j’étais belle, qu’il aurait voulu être amoureux de moi, que ça aurait été plus simple comme cela. Moi, je savais qu’il me mentait. Il était amoureux des mystères, des inconnues. Il s’était toujours fait magicien, illusionniste pour ses femmes de désir. Il ne pouvait être amoureux de moi puisqu’on se connaissait jusque dans la pulpe des mots.

7 Commentaires:

Blogger Magenta s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Très beau.. je pense qu'on peut appeller ça des âmes soeurs.

1:35 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Jusque dans la pulpe des mots, l'expression est magnifique, et tombe à pic après les caresses des doigts dans le dos. J'ai adoré!

5:37 p.m.  
Blogger Juli s'est arrêté(e) pour réfléchir...

L'amour se fane avec le temps tandis que l'amitié se renforcit. Je suis d'accord avec ton personnage, quand deux êtres sont fait pour se connaître, laissons le tout intact dans sa candeur... T'avais raison...

6:42 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Pas de mot pour dire le magnifique de cette relation entre deux êtres. A préserver vaille que vaille ! C'est si rare.

Quand à ton texte, Mamathilde, superbe ! La tendresse déborde de chaque mot, chaque phrase.

7:49 a.m.  
Blogger La Souris (Marie-Ève Landry) s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Je suis passée voir trois fois si tu avais posté un nouveau texte...

Puis, ce fut: «Shit, on est samedi!»

2:21 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Magenta : Âmes soeure? Peut-être. Non, sans doute... je crois que je tends vers cela.

Tubuai : J'ai justement écrit ce texte parce que j'avais cette image fichée dans l'esprit.

Juli : Tsk tsk tsk... Je crois encore à l'amour tu sais. Très fort même. Mais je sais que certaines personnes ne peuvent pas tomber amoureuses de moi parce qu'elles cherchent un mystère que je ne suis pas pour elles. Différent.

Annie-Sandra : De la tendresse, j'en ai à revendre il me semble. Tu penses qu'il existe un marché pour cela?

Dda : Je connais cette conivence, mais pas exactement telle que je l'ai décrite, comme c'est souvent le cas ici.

La Souris : Je crois que je pourrais me forcer et écrire pour toi, même si on est dimanche. Allez, je me lance.

9:33 a.m.  
Blogger La Souris (Marie-Ève Landry) s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Youppi! Ce sera ma récompense après le déménagement d'aujourd'hui!! (nous sortons les meubles et les trucs que je garde de l'appartement de ma mère, dans quelques heures... le reste ira aux pauvres!)

J'ai hâte de te lire!

9:44 a.m.  

Publier un commentaire

<< Retour sur le sentier