Lâcher du zeste
Il y a des gens qui se sont bercés au son des vagues, moi j’ai toujours été fascinée par les histoires. Lorsque nous étions enfants et que nous devions faire de longs trajets en automobile, les quatre enfants derrière ne se lassaient pas d’écouter en boucle ces histoires qui traînaient dans le coffre à gants. Le samedi après-midi, lorsque nous revenions du ski, mon père écoutait l’opéra à la chaîne culturelle, et je me laissais bercer par l’histoire que le commentateur nous racontait. J’ai fait ainsi la connaissance avec des mondes merveilleux que je pouvais imaginer à ma guise. À la maison, nous avions des histoires sur disques, Fanfreluche, Bobino, Nic et Pic, que mon frère écoutait jusqu’à savoir la moindre réplique par cœur. Pour ma part, les histoires que je préférais étaient celles de Gilles Vigneault. Encore aujourd’hui, lorsque j’y pense un peu, j’entends les intonations de sa voix pour appuyer une exclamation. J’ai tant de fois vécu les quatre saisons de Piquot ou voyagé dans l’univers d’Eva… J’aimais ces histoires parce qu’il y avait de belles images dans la prose de monsieur Vigneault. D’ailleurs, je n’avais pas 10 ans que je connaissais déjà une bonne partie de son répertoire musical parce que chaque chanson était en soi, une histoire.
Un beau jour, j’ai appris ce qu’était la poésie. Grande révélation. On pouvait créer des images avec les mots, comme d’autres le font avec un crayon. Alors je me suis jetée là-dedans avec toute la fougue dont je suis capable. J’ai noirci des tonnes des pages de rimettes jusqu’au jour ou j’ai fait la connaissance avec l’œuvre de Jacques Prévert. C’est ce jour-là que j’ai compris que la poésie n’était pas nécessairement rimée. Et puis, je suis tombée sur Daniel Pennac qui truffe sa prose d’images plus puissantes les unes que les autres. Dès lors, j’ai voulu écrire aussi bien que lui. Grand défi. Alors je me suis mise à créer des images. Je devenais la petite déesse de mon propre univers : je façonnais mon monde. Et puis, je me suis mise à livrer des bouts de mes créations, ici et ailleurs. Ce faisant, j’ai entretenu un de mes plus grand travers : trop en faire. J’ai de la difficulté à doser. Avec moi, c’est souvent tout ou pas du tout. Les zones grises, trop peu pour moi, je ne m’y suis jamais sentie à mon aise.
Récemment, on m’a signifié, à deux reprises, que j’écrirais encore mieux si mes images ne se heurtaient pas les unes aux autres. Oups. « Tu abuses des adjectifs, Mathilde », aie-je pu lire d’un côté. « J’ai une petite impression de surabondance », a-t-on ajouté d’un autre côté. Je les aurais tué de me dire cela! Parce que je sais très bien qu’ils ont raison. Je fini par cacher mon propos dans un trop plein de mots. Au bout du compte, c’est Peau-de-Vache qui avait raison de me dire en secondaire cinq que j’écrivais de bien beaux mots placés les uns à côtés des autres, mais qu’au bout du compte, ça ne voulait rien dire. Re-Oups. En réalité, je ne crois pas que ce soit tout à fait vrai. N’empêche que je vais sérieusement devoir apprendre à me discipliner et à lâcher du zeste un peu, si je ne veux pas tourner à l’acide des lourdeurs…
Oui, je sais, j’en suis encore à me vautrer dans mes images. La discipline, c’est difficile pour une petite Mathilde.
Il ne s'agit pas d'oublier les images ni de craindre les zones grises.
Selon moi, il faut se rappeler constamment qu'on raconte avant tout des histoires, non des images.
On est ce que lecteur veut bien qu'on soit: des fois, il trouve ça verbeux, des fois éloquent... Utopique unanimité impossible: trop d'images pour certains, pas d'histoire pour d'autres.. grrr!
Originalité, rigueur et évocation.. amalgame complexe!
Benoît : Le hic, tu vois, c'est que j'ai une petite tendance à me tenir dans les extrêmes. Mais je travaille très fort pour m'en éloigner un peu.
Raconter des histoires plutôt que des images... Le pire, c'est que t'as raison.
Igby : Les commentaires qui m'ont récemment été faits, je ne les prends pas mal. Au contraire. À mon avis ça me permet d'avancer en écritute. Et les personnes qui font de moi un meilleurs écrivain on toute ma gratitude.