mardi, mai 09, 2006

Projet Matador


On s’était assis dans ce bar, pour faire changement un peu. On ne savait pas qu’il y avait un spectacle ce jour-là. La soirée de discussion banale, s’est donc transformée en soirée-spectacle. Ce qu’il y a d’embêtant avec ces histoires là, c’est que lorsqu’on ne connaît pas l’artiste, il arrive qu’on n’aime pas. Ce qui fut mon cas ce soir là. Je n’arrêtais pas de grommeler sur tout et sur rien. Jamais satisfaite de quoi que ce soit. Lui, riait comme à toute les fois qu’il voit mille émotions en même temps sur mon visage et surtout lorsqu’il entend l’exaspération dans mon ton. C’est dans ces circonstances que je lui avais dit que le seul artiste pas encore connu, dont j’avais vu certaines œuvres, qui me plaisait sur le plan poétique était David Thiboutot. Je lui avait dit : « quand il fera un spectacle et que je le saurai, je t’inviterai ».

Le lendemain en ouvrant ma boîte de réception j’avais une invitation de David. Et nous voilà, deux semaines plus tard, assis dans ce bar que j’aime bien à attendre la musique. Et moi, en plus j’attends le verdict. J’ai quand même affirmé que c’était bon. Mais je ne pourrais jurer que mon invité a les mêmes goûts que moi. Après tout, je ne le connais pas tant que cela. La fois précédente, quand nous étions là par hasard, la salle s’était remplie dans le temps de le dire. Des amis, de la famille sans doute. Hier soir, quelques tables traînaient fièrement leur vide. À 21h00 David s’est pointé sur la scène, arborant une chemise rouge vif, en attaquant une pièce sans même nous la présenter. Tout de suite on sent qu’il a vraiment quelque chose à offrir, comme un raz-de-marée qui le soulève en entier.

Il se tord sur son espace scénique, hésitant entre l’envie de rendre un matériel bien à lui et une timidité qui l’entrave. C’est, à mon avis, la plus grande lacune de ce spectacle-là. Le contact avec le public est aussi court que possible et les liens entre les chansons sont hésitants. Cependant à travers tout cela, transparaît une sensibilité à vous écorcher la peau. Sa poésie, si belle, me lacère toujours. Entre lui et moi, il y a les mots et les images qui parlent. « Cette ville s’épelle sans elle et s’éteint peu à peu de ses dernières lueurs » Pendant que je frissonne sur ma chaise parce que je reconnais l’image. Ou encore « Parle-moi de la chair et du sang, si l’on parle des orties. D’abord faut savoir se taire, s’il est question du ciel ou de l’enfer ». David présente aussi quelques pièces en anglais, qui portent des questionnements comme les mots que l’on doit s’approprier et faire siens. Et moi j me dis que l’écriture après tout est un vaste plagiat dans lequel on trouve un peu de soulagement.

Quand les dernières notes se sont éteintes, j’ai regardé la personne qui m’accompagnait avec des étincelles dans les yeux et un zeste d’appréhension. Il a dit « Oui, j’aime bien, mais je trouve que l’artiste passe trop de temps à s’excuser d’être avec nous, comme si nous n’étions pas venus pour le voir ». J’ai souri, soulagée. Et je me suis dit qu’il avait vraiment tout compris. Ce qu’il manque à David, c’est l’assurance de savoir que son public est content d’être-là.

Et moi je sais que dans pas si longtemps je pourrai dire que j’ai vu ce spectacle bien avant que le gars soit devenu un artiste à la mode.