mardi, mai 16, 2006

Les pieds dans le sable

Coici ma contribution au Coïtus impromptus de la semaine.

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La soirée était fraîche, le vent du large fouettait ses joues tandis que ses cheveux s’emmêlaient dans l’air salin. La falaise était abrupte et la terre trop rouge. Du haut de son adolescence, elle envoyait à la mer les espoirs meurtris de ses premières amours estivales. Au matin, il était parti en mer, fier moussaillon dans sa barque. Il ne serait plus jamais un Terrien. Elle ne le savait que trop. Elle connaissait la folie du regard des marins au long court qui n’ont de cesse que de retourner prendre leur envol sur les océans. Depuis le temps qu’elle passait les vacances sur ces plages rugueuses de la côte est, elle avait appris à déceler l’appel de la mer. Elle pensait à toutes les poésies qui la hantaient. Les premiers mots de désespoir qui lui donnait cette envie d’hurler parce que l’amour partait sitôt qu’il avait pointé le bout de son nez.

Elle avait toujours su qu’elle tomberait amoureuse ici plutôt que sur le béton de la ville où elle vivait d’ordinaire. Comme si le charme encore sauvage de l’endroit, la proximité des vagues et des ressacs étaient des prémisses à l’éclosion de ses sens. Mais elle n’avait pas prévu qu’elle se torturerait si jeune à voir partir un bout d’homme qui ne lui avait rien promis. Qui je lui avait, en réalité, rien dit. Aux yeux de Toby, elle n’était que la petite Sam qui passait ses étés dans la maison bleue de ses grands-parents. Elle était l’enfant muette que l’on prenait trop souvent pour sotte parce qu’elle ne parlait pas. Même ses sanglots étaient silencieux.

Contrairement aux autres jeunes, Toby parlait à Sam. Depuis toujours. Il lui montrait à faire des embarcations en coquilles de noix qu’ils laissaient filer dans les rigoles des pluies d’étés. Ensemble, ils avaient construits mille châteaux de sables sur les plages que les touristes désertaient à la nuit tombée. Toby parlait à Sam sans la prendre pour une demeurée. Souvent les garçons du village le taquinaient de ses étranges fréquentations. D’autant plus que la vilaine cicatrice sur la gorge de la jeune fille, n’en faisait pas une beauté. Mais Toby savait pourquoi Sam se taisait.

Les pieds dans le sable, elle pleurait ses premières amours. Grand-mère derrière elle mis une main sur son épaule en murmurant des mots doux sur la patience et l’endurance des femmes de marin qui attendent le retour de leur homme, luttant contre l’amour de la mer. Sam connaissait l’histoire. À 16 ans elle ne savait pas si elle aurait la force d’entrer dans leurs rangs. À 16 ans elle ne savait pas si elle aurait la force de regarder un premier amour se faner aussi vite qu’il était né.