lundi, mai 01, 2006

Écrire pour elles

Il faisait si froid dehors, en ce jour de Noël, que j’accompagnais le moins souvent possible mes cousins pour la cigarette qui se mélange à l’alcool. Je portais une robe noire comme mon mal-être et j’aurais voulu être à des kilomètres de ma propre vie, tellement je me sentais nulle. C’était en décembre 2003. Je n’arrivais pas à comprendre ce que je faisais-là, ni comment entrer en contact avec les autres. Je me sentais totalement perdue. Je ne travaillais pas, n’avais pas d’aide sociale, parce que j’étais tellement convaincue de ne rien valoir que je ne voyais pas ce que l’État pourrais faire pour moi. Je n’ai pas réclamé mes papiers pour avoir du chômage parce que je m’étais persuadée que je ne méritais pas d’en bénéficier. J’errais davantage que je vivais et je pleurais des torrents de larmes sans en comprendre la source. Ce soir-là, je ne voulais pas affronter cette famille faite de gens qui ont réussis. Qui sont juges, avocats, médecins, syndicalistes, présidents d’entreprise. Je n’étais pas à la hauteur, certainement. J’étais la pomme pourrie, assurément.

Nous étions deux sur une étrange planète. Mon acolyte a vingt-trois ans de moins que moi. Avec elle, je me sentais bien. Je sais que nous nous entendons à la perfection parce que je ne la traite jamais en enfant. Je lui parle comme je m’adresse à tous les autres, malgré le fait qu’elle soit encore très jeune. De toute manière, ce serait à mes risques parce qu’elle est remarquablement intelligente. Ce soir-là on jouait et elle me battait tout le temps. Je n’avais pas besoin de lui laisser d’espace pour me faire devancer de mémorable manière dans les jeux d’esprit, de logique et de vitesse. Nous ne sommes pas précisément devenues amies, mais clairement, nous nous entendons bien. Et depuis, à chaque fois qu’elle se sent seule dans cette famille dont elle est largement la cadette, je lui demande de jouer avec moi, sachant qu’une fois de plus, mon orgueil en prendra pour son rhume.

Nous parlons aussi beaucoup de littérature. Comme moi, elle dévore davantage qu’elle ne lit. Tout y passe. Je lui suggère des lectures et je dois être convaincante pour lui faire découvrir un nouvel auteur. Madame est difficile. Ses parents s’inquiètent un peu parce qu’ils sentent qu’elle manque de stimulation à l’école. Moi, j’essaie d’écrire le roman de Roger depuis des mois et je n’y arrive pas. J’ai découvert hier pourquoi. J’ai demandé à ladite demoiselle d’être mon comité de lecture. Mais j’ai tellement peur qu’elle n’aime pas que je n’écris plus rien. Ça m’a sauté au visage quand j’ai été présentée à une jeune demoiselle. Elle était blonde, vive, bavarde et remarquablement intelligente. Elle a tout lu et est très critique. Peut-être pas autant que moi, mais j’ai tout de même vingt-trois ans de plus qu’elle. J’avais l’impression de voir une réplique exacte de ma cousine. Un peu plus gênée à mon endroit, certes, mais elle ne me connaît pas depuis sa naissance.

À deux, elles sont exactement les gens pour qui je veux écrire. Elles sont celles à qui je désire plaire et dont j’ai peur du jugement. Ce qui me sidère dans tout cela, c’est qu’en plus d’avoir le même âge, elles portent le même prénom. Un prénom parfait pour une future héroïne.

1 Commentaires:

Blogger Lew s'est arrêté(e) pour réfléchir...

La motivation se trouve quelques fois à des endroits qu'on aprécie secrètement, ou pas. Dans ton cas ce sont les deux jeunes filles qui te stimulent à continuer et à parfaire le tout. J'espère que ça le restera ainsi car c'est un très beau projet qui te suivra probablement longtemps, à ton avantage sûrement.

9:16 p.m.  

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