mercredi, septembre 06, 2006

La blonde de son père

Elle l'énerve. Profondément. Toujours parfaite, tirée à quatre épingles, toujours souriante. Comme si chacune des journées de l'année était une journée solennelle. Elle l'énerve avec sa confiance infinie dans la vie et les gens qui l'habitent. Elle l'énerve parce qu'elle ne se met jamais en colère. Elle n'a jamais l'air trop fatiguée. Malgré les nuits sans sommeil que Félix lui fait vivre, sa peau n'en porte aucune trace. Elle l'énerve quand son père se penche vers elle et l'embrasse doucement. Une telle tendresse, un geste si langoureux; pas du tout acquis. Elle l'énerve quand il lui dit : « Je t'aime. » Elle l'énerve parce qu'elle n'est même pas si belle que cela, et pourtant elle a ravit son coeur. Entièrement. Elle le voit bien. Dans l'autre de vie, celle d'avant, ce n'était pas ainsi. Les gestes étaient froids. Depuis longtemps.

Elle ne lui parle que pour le strict nécessaire. S'enfermant dans sa chambre, passant des heures au téléphone avec ses amies, pour ne pas avoir à communiquer. Elle ne met la table qu'à contre-coeur, ne fait jamais sa chambre. Elle est désagréable au possible. Elle fait exprès, mais rien ne la fait sortir de ses gonds. C'est agaçant à la fin. Et son père ne voit rien. Rien du tout. Et puis, elle a toujours l'impression qu'ils parlent dans son dos. Quand ils sont tout seuls ensemble, le soir venu. Alors elle s'installe entre eux, pour écouter la télé et prend le contrôle de la télécommande jusqu'à ce que son père lui lance un «Mélissa!» bien senti. Elle se lève et claque la porte de sa chambre. Il lui laisse quelques minutes et gratte dans la porte en disant des choses stupides. De toute manière il ne prend jamais son parti. Et puis lorsqu'elle retourne voir sa mère, sa vraie mère, c'est pire encore. C'est plate, c'est vide, c'est dans une ville où elle ne connaît personne et sa mère veut toujours avoir des discussions de filles avec elle.

Elle l'énerve parce qu'elle connaît son père mieux que quiconque. Avec elle, il rentre tous les soirs à la maison. Pas comme avant, quand sa mère passait des heures à pleurer une douleur que Mélissa ne comprenait pas trop bien. Elle l'énerve parce qu'elle ne peut même pas lui reprocher d'essayer d'être sa mère. Elle n'a jamais interféré avec les directives des parents biologiques. Jamais. Elle l'énerve parce que ses yeux noirs voient sa colère. Ils la devinent et la débusquent, mais elle ne dit rien. Elle ne pose pas de questions. Quelquefois elle dit : « Si tu veux parler, tu peux. » Mélissa lui fait des grimaces dans son dos et l'imite méchamment. Quand son père la voit faire, il lui fait des gros yeux. Toutes les fois, la petite fille revient en force sur le devant de sa propre scène et l'énorme peur de le perdre, lui, ressurgit. Elle l'énerve quand elle vient porter Félix dans son lit à elle, après son boire de la nuit et que le bébé sent si bon. Elle l'énerve parce qu'elle ne peut même pas dire à ses amies que sa belle-mère est épouvantable. Elle sait trop bien que ce n'est pas vrai.

Mais surtout elle l'énerve quand elle lui dit des choses vraies. Quand elle vient, la nuit, avec Félix dans les bras et qu'elle caresse sa chevelure emmêlée pendant que Mélissa fait semblant de ne s'apercevoir de rien. Quand elle lui parle de l'amour que son père a pour elle, sa belle grande fille têtue. Lui expliquant que personne, jamais ne pourra prendre sa place. Malgré le divorce, malgré le fait qu'ils sont désormais deux de plus dans leur vie. Et quand la porte se referme sans bruit, elle verse des larmes de rage qui goûtent le sel en serrant son petit frère dans ses bras. Son petit frère qui est heureusement aussi beau que leur père, pas fade et ordinaire comme cette femme-là.


Ce qui l'énerve le plus, au bout du compte, c'est que malgré toutes ses colères, toutes ses crises et sa meilleure volonté, Mélissa sait bien que depuis longtemps, elle a commencé à l'aimer.

5 Commentaires:

Blogger Sauterelle s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Mmmmmpffh!

7:00 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Très beau texte. Très profond avec des mots qui coulent. Bravo Mamathilde !

12:57 a.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Je ne sais pour quelle raison, les enfants semblent toujours convaincus qu'aimer un beau-père ou une belle-mère est une véritable trahison. Difficile, tout jeune, d'avoir à gérer ce sentiment.

Enfin, moi, j'ai eu de la difficulté.

9:00 a.m.  
Blogger Miss Patata s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Conflit de loyautés :)

9:21 a.m.  
Blogger Pitounsky s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Touchant, tendre, réaliste... superbe!

11:17 a.m.  

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