Une toute petite chance
La soirée était chaude, le temps lourd. Une odeur de pluie planait au-dessus de leur tête. Elle disait qu'elle attendait l'automne. Il n'aimait pas vraiment l'été, ni quelque saison que ce soit, en réalité. Il lui racontait ses tristesses, ses dérives. Affalé sur le divan, son corps tordu par le poids de ses pensées plus croches que lui encore. Sa voix était une longue blessure. Même si ses paroles taisaient l'innommable, elle avait toujours su entendre, dans les intonations, les secrets qui s'y terraient. Elle était jeune et idéaliste. Elle en était à ses premières amours. Elle croyait qu'elle pourrait débusquer la douleur, qu'elle pourrait la laver pour lui faire voir ce qui n'était pas l'horreur. Pour lui montrer que le soleil brille même dans le coeur de la nuit, même lorsqu'on ne le voit pas. Elle l'écoutait, le coeur ouvert, les veines à vif.
Lorsqu'il quittait les rivages de la réalité, elle se cambrait sur ses jambes, tenant à toutes forces les amarres qu'il avait laissées choir sur les grèves des minutes écoulées. Quelquefois, autour d'un verre elle disait à ses amies qu'elle ne comprenait pas vraiment pourquoi tant de malheurs, pourquoi tant d'envies comme des lests aux élans qui auraient pu le porter. Jamais elle ne s'épanchait vraiment, elle aurait eu l'impression de trahir. Elle n'avait jamais sur trahir. Elle savait qu'il en aimait une autre et que son corps à elle servait d'exutoire. Elle sentait qu'elle était un placebo, vaguement ressemblant à l'être désiré. Elle vivait d'espoirs muets, scellés aux yeux des autres. Elle ne disait pas à quel point les pieux des aveux affectifs qu'il lui faisait, lui perçaient sentiments.
La soirée était chaude, le temps lourd. Elle passait doucement les doigts dans les boucles emmêlées qu'elle connaissait par coeur à force de les avoir fixées bien avant que tout ne se concrétise. Chaque mouvement de phalanges était un aveu qu'il n'entendait pas. Elle laissait courir ses rêves sur les trait abîmés par l'absence. Elle regardait la boule dans ses tripes grandir jusqu'à l'étouffer complètement. Il prenait sa taille entre ses mains immenses. Saisissait son corps avec avidité, se nourrissait de sa sève, de sa moelle. Ses ongles lui labouraient la peau, laissant des zébrures inquiétantes sur son épiderme. Le sang perlait. Elle savait que sa mère la tancerait de questions auxquelles elle ne voudrait pas répondre. Elle lui permettait de laisser ces marques en se convainquant qu'ainsi son souvenir serait permanent. Qu'elle serait de celles que l'on n'oublie pas.
Il faisait trop chaud dans cette pièce sans fenêtres, trop chaud pour être aux aguets. Dans le soupir qui suivit les gestes, elle a murmuré : « Je suis tombée amoureuse de toi. » Alors il lui avai fait dos. Raide comme de l'acier trempé. Blanc de colère il lui avait dit qu'elle le trahissait, qu'elle n'avait pas le droit de lui faire cela. Il lui ai dit : « Je croyais que tu avais compris qu'entre nous c'était différent? Tu ne peux pas être amoureuse de moi!» Elle s'était revêtue dans le noir. Traversant Montréal dans une pluie battante de juillet, cachant sa détresse dans la tempête du ciel. Elle n'avait rien à la famille qui la questionnait.
Ce n'était qu'à l'hiver suivant qu'elle avait compris. Compris qu'il est beaucoup plus facile de croire aimer des chimères que les êtres de chair. Elle avait entendu dans les paroles d'un autres qu'elle pouvait à son tour être une invention de l'esprit.
Ce jour-là elle m'a tout confié. Avant toute chose, elle m'a dit que désormais elle choisissait le réel. Même si celui-ci se montrait souvent cruel. Elle choisissait de laisser, à leur sort, ceux qui croient que d'aimer doit être tragique, pour se donner une toute petite chance de vivre sa vie.
Entre rêve et chimère, la nuance est mince.
Choisir le réel, serait-ce (un peu) s'empêcher de rêver?
Benoît : Que préférère-tu? Réver ta vie ou bien la vivre en y rêvant, un peu?
C'est drôle parce que la phrase suivante: «Elle avait entendu dans les paroles d'un autres qu'elle pouvait à son tour être une invention de l'esprit.» est exactement le sujet de conversation que j'ai eu avec un ami hier. (Ni l'un ni l'autre n'avions lu ton texte...)
Les gars : (Ceux d'ici et de ma boîte de courriel)
Je crois que je comprends où vous voulez en venir avec vos commentaires. Mais je ne suis pas certaine que vous me suiviez.
Je serais bien la dernière personne au monde à dénoncer le rêve, je passe ma vie à rêver. Par contre, ce que j'essaie de dire ici, c'est qu'il y a un danger à trop rêver. Lorsque tu pense que la femme de ta vie est Madame Chose, par exemple, et que tu la rêves tellement que tu fini par lui prêter une personnalité et des intentions qui ne lui appartiennement pas.
Choisir le réel c'est choisir de savoir où sont les fantasmes. Ça ne veut pas dire de ne plus en avoir.
Souris : On est tous un moment donné la personne fantasmatique de quelqu'un. La réalisation de se fait est parfois assez difficile. Parce qu'on est très limités dans nos actions.
Mathilde: Merci pour l'explication que tu as fait aux gars; tu me confirmes que j'avais compris le sens de ton texte! ;)