mardi, septembre 19, 2006

Les mauvais génies

Voici un petit texte dans un instant volé au temps. C'est ma contribution de la semaine au Coitus impromptus.
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Ils sont invisibles aux yeux de ceux qui vous regardent. Ils se terrent dans les profondeurs de vos insondables et vous crient des horreurs par la tête à tout moment. Ils vous répètent sans cesse que vous n'êtes pas assez belle, pas assez bonne. Ils se repaissent de vos échecs, comme si ces derniers étaient des victoires chaudement disputées. Ils vous serinent des souvenirs néfastes, les moments dont vous êtes le moins fière, en letmotivs lancinants qui vous poussent à retourner dans vos retranchements.

Ils ont des yeux bleus, noirs ou verts, des dents blanches ou gâtées, ils sont familiers ou étrangers, mais leur présence dans votre vie est incontournable. Et le soir lorsque le sommeil tarde à vous envelopper de sa couche d'oubli, lorsque vous retournez votre existence dans tous les sens, ils vous murmurent que vous n'y arriverez pas. Alors le doute vous serre les tripes. Alors vous pleurez des larmes amères que vous buvez jusqu'à la lie. Alors dans ces nuits sans lumière, vous avez envie de tout laisser tomber. Lorsque vous levez votre regard bouffi sur la glace de la salle demain, dans l'éclat blafard de l'électricité choquante à cette heure indue, vous vous dites : « T'es laide! T'es grosse! Tu peux ben être toute seule depuis si longtemps!» Et vous retourner vous blottir sous les draps, transie de froid.

Quelquefois, vous faites semblant que rien de cela n'existe. Vous vous précipitez dans les bras de n'importe quel quidam qui vous aura surprise d'un appel improbable, pour rien d'autre que l'idée de savourer votre corps un peu et de vous rejeter dans l'oubli dès que le soleil tissera les couleurs dans l'aurore urbaine. Et vous croirez de toutes les forces de vos idéaux que c'était tout de même un peu vrai. Et vous vous direz que de toute manière vous n'auriez rien de plus ailleurs. Que vous ne valez pas davantage que cette nuit sans conduite, et sans suite. Face publique, vous serez forte, vous ferez exactement comme si de rien n'était et vous sourirez à belles dents, en donnant l'impression d'être encore cette tigresse conquérante que vous avez toujours été.

Et puis, un jour, vous arriverez au bout de vos peines. Moralement morte. Usée jusqu'à l'âme. Vous décrocherez le téléphone pour hurler : «Je suis grosse, je me trouve laide. Je me sens seule et je voudrait qu'on me prête un coeur, que je puisse respirer. » Alors on vous dira : « Allons Mathilde, laisse donc taire ces pensées, allons, ma belle, tu sais bien que rien de tout cela n'est autre chose que les drames que tu te crée. Viens, je t'emmène, on va mettre dehors tes mauvais génies.»

5 Commentaires:

Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Il y a aussi les bons génies. Ceux qui aboutissent dans nos vies sans crier garent, et qui nous remontent le moral. Ceux qui nous alimentent d'histoires qui nous font réfléchir et prendre conscience des bonnes et belles choses dans nos vies.

8:15 a.m.  
Blogger Etolane s'est arrêté(e) pour réfléchir...

J'aime bien ce texte! :) À bas les mauvais génie! :D

8:33 a.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Comme un écho, comme une vague berçante, tes mots me portent vers ces autres mots que j'ai fait miens. Merci.

11:30 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Alex : Tout un éloge, là, que tu me rends. Tes mots me touchent droit au coeur.

Étolane : On n'en veut pas, mais ce sont tout de même eux qui nous permettent de voir ceux qui sont des anges dans nos vies.

La Matoue : J'ai entendue l'écho, ce matin quand je quittais les rives de ton Grand Bleu. Il n'y a pas de hasard, n'est-ce pas?

2:17 p.m.  
Blogger Pitounsky s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Du grand Mathilde!

7:42 p.m.  

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