dimanche, novembre 26, 2006

Les détours de l'aumône

Je ne suis pas riche. M'enfin, pas si pauvre non plus, j'ai un toit au-dessus de ma tête et je mange à ma faim. Je ne paie pas de passe de transport en commun, je marche tous les jours pour aller au travail et je décide, en terminant, si je prends l'autobus pour le retour ou si j'affronte la nuit. Quand j'étais jeune, je passais mes fins de semaine à sillonner le centre-ville avec mes copines. Je ne suis pas très forte sur le magasinage, en tout cas, pas celui de vêtements, mais j'ai une solide expérience de lèche-vitrine. Dans ce temps-là, je restais au nord de la ville, dans un quartier relativement cossu et je jetais des regards hésitants entre la fascination et la pitié aux quelques itinérants que je croisais en ville. Aujourd'hui, la réalité est toute autre. Les itinérants, sont partout. Sur mon chemin vers le travail, dès que j'ai posé les pieds sur l'Avenue Mont-Royal, j'en vois. Toujours les mêmes.

Je ne peux pas me permettre de faire l'aumône à tous ceux qui me tendent la main. Et à vrai dire, je ne sais plus si j'ai envie de le faire, parce que les conséquences de mes bonnes actions deviennent parfois franchement négatives. Je me suis fait poursuivre par un d'entre eux sur une distance appréciable un jour, parce que je n'avais pas d'argent pour lui et que je lui en avais déjà donné un peu. Il m'a traitée de tous les noms possibles et imaginables parce que je lui ai dit : « Désolée, je ne peux pas t'aider. » Alors j'étais une snob, une égoïste, une ratée, une grosse truie laide (décidément, on en revient toujours à mon poids quand on tente de m'atteindre), et autres mots doux que j'ai oubliés. Je me suis fait cracher dessus aussi parce que je suis passée en faisant signe que je ne pouvais pas donner, d'un petit air de dépit. Je me suis fait harcelée par un mec qui voulait que je lui donne de l'argent pour nourrir son chien. Il me disait que je n'avais pas de coeur parce que je n'avais pas sorti les cennes de mes poches pour augmenter le pécule nécessaire à l'alimentation de la bête. D'abord, je n'aime pas les chiens. Je suis sans doute épouvantable, mais je préfère encore nourrir l'homme que le chien qui l'accompagne.

Quelquefois, je me fais demander une cigarette, rarement j'en donne. Surtout lorsqu'il y a une allée d'itinérants devant mes yeux; si je donne à un il faut que je donne à tous. Si je réponds que j'en ai pas assez, je me fais généralement vilipender, accuser, tirailler. Si je sors d'une pharmacie où je suis allée dépenser le fond de mon compte en banque en serviettes sanitaires, tampons et autres choses essentielles à ma vie, je suis mitraillée de : « Ben là franchement t'as acheté des affaires, il doit y avoir des sous dans tes poches! » Comme si j'étais obligée de donner à mon prochain ce qu'il me reste, et dans mon cas, c'est souvent ce dont j'ai besoin pour ME nourrir.

Ne vous trompez pas, je ne suis pas particulièrement hargneuse face aux gens qui vivent dans la rue. Je dirais même que j'ai beaucoup de compassion pour eux, ayant moi-même été à un cheveu de m'y retrouver. Je sais que pour beaucoup d'entre eux ce n'est pas un choix. Là où ça me chicotte par contre c'est l'agressivité dans leurs requêtes. J'aimerais bien pouvoir tous les aider, mais je ne peux pas. Ce n'est pas parce que je travaille sur le Plateau que je roule sur l'or. Bizarrement, lorsqu'on me crache au visage sous prétexte que je refuse de vider ma bourse, j'ai encore moins envie de me saigner pour ce prochain que je ne connais pas. Et parfois, j'ai un pincement au coeur quand je passe devant les quelques personnes à qui je n'ai jamais rien donné qui me saluent tous les jours. Et j'en viens à me dire qu'on vit dans un bien drôle de monde. Un monde où l'indifférence apparente est plus garante de respect qu'un sourire désolé.

Depuis quelques temps, pour paraphraser Félix Leclerc, je fais un grand détour et je me ferme les yeux.

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4 Commentaires:

Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Conseil: ne même pas les regarder, pas même un petit coup d'oeil, juste faire attention pour ne pas piler dessus, ne surtout pas leur parler, c'est courir après le trouble. Le Centre ville etle Plateau ne sont pas déambulables autrement, ils nous gâchent notre plaisir et vrillent notre culpabilité. Ce n'est pas nécessaire t'as pas besoin d'eux pour ce faire faquev c'est comme s'ils n'existent pas. Affreux mais santé.

4:16 p.m.  
Blogger Lew s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Je me suis fait poursuivre jusqu'à ce que je trouve un endroit où me cacher (qui était dans un resto) parce que le monsieur en question m'a vu mettre de l'argent dans le parcomètre. Surtout que j'Essais d'éviter les parco parce que j'ai pas une cenne d'habitude... x_x

Maintenant je les ignore, on a pu le choix. C'est fatiguant sinon.

8:14 p.m.  
Blogger Jenniko s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Ah ça m'énarve!!! Mais, comme je suis humaine, ça me touche parfois de voir ces gens. Pas tous les jours, mais quand je me sens plus dépressive, j'ai tendance à m'inventer de grosses histoires tristes sur leur vie passée et présente, et sérieusement, ça me fout les jetons.
En tout cas, c'est pas avec l'agressivité qu'ils vont arriver à me soutirer de l'argent des poches!
Et dites-moi, je n'ai pas compris une chose dont je cherche toujours la réponse depuis quelques années: comment ça se fait qu'il y a des gens qui quêtent à l'entrée des caisses pop???
Me semble que quand tu va à la caisse, c'est parce que t'as pas d'argent, et quand tu sors, t'a juste des 20$!
Pis comptez pas sur moi pour leur donner 20$, je travaille quand même pour un petit pain!

1:39 a.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

À tous les trois : Ben c'est pas mal la décision que j'ai prise. Et je trouve ça plate de ressentir cette envie de fuite... Moi qui essaie tranquillement d'affronter; ça me fait une belle jambe :(

11:35 a.m.  

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