jeudi, novembre 23, 2006

Tout simplement

Quand je t'ai rencontré, je te faisais rire avec mes histoires de groupie. Tu passais des heures à m'écouter raconter mes aventures rocambolesques de fille qui aime s'inventer des vies, qui mord dans ce qui peut lui être accessible en retombant à qui mieux-mieux dans des attitudes adolescentes. Tu me demandais de te raconter encore et encore, les mêmes histoires. Celles de mes fascinations qui auraient porté d'autres fruits que l'indifférence, parce que, comme je te le disais à l'époque, de toute manière, je n'avais rien à perdre. Alors, je défiais les règles établies. Je m'avançais vers ces gens que j'admirais pour leur annoncer ce que je connaissais d'eux. Dans notre petit bout de monde, cet îlot francophone en terre d'Amérique, les rencontres entre les personnes connues et les quidams de mon espèce, sont possibles. Et les gens que j'admire le plus sont souvent généreux de leur temps et de leurs sourires avec des filles de mon espèce.

Tu me voyais écrire sur mon coin de bar et tu me demandais des détails sur ce projet de roman que je couchais sur le papier, inlassablement. Entre deux interruptions de cet été caniculaire, je te disais qu'un jour tu pourrais le lire. Mais quoique terminé, mon projet est resté emmuré dans mon ordinateur. Je ne te l'ai jamais apporté. En fait, j'ai décroché de cette vie de rêve dans laquelle mes amours étaient tout aussi transparentes que le reste. J'allais mal, sans que ça paraisse, j'imagine. Je ne foulais plus mes sentiers. J'étais quelque part entre les songes et les foutaises dont je me gargarisais pour oublier à quel point ma vie me décourageait. Et je vivais à travers les regards que je réussissais à aller chercher auprès de ceux qui ne me voyaient ni ne me connaissaient.

Tu me parlais de tes propres créations avec pudeur. Sans oser me dire à quel point tu t'accordais du talent. Te jugeant implacablement à l'aune de comparaisons futiles que je reconnaissais comme miennes, quoique sur des sujets différents. Je savais les rouages de ces dénigrements, ils parcouraient mes veines. Me dire non pour ne pas avoir à faire face à un refus. C'était ma solution facile. Tu le faisais différemment, tu ne te disais pas vraiment non, mais tu mettais tout le monde en garde contre ce que tu pourrais avoir à présenter, au cas où il adviendrait que quelqu'un ne soit pas conquis par ce que tu avais à offrir. Mais je crois que c'étaient des reflets de la même réalité intérieur : la peur d'un certain rejet.

Un jour, tu es enhardi à me présenter tes oeuvres. Tremblant de nervosité, vomissant de discours sans queue ni tête. Sans répit pour que je puisse te dire quoique ce soit. Alors je suis venue ici et je t'ai écrit ce que j'en avais pensé, te faisant parvenir mon opinion pour t'obliger à voir ce que j'y voyais, sans que tu puisses m'interrompre d'une quelconque manière. À la rencontre suivante, j'ai eu le droit à ce sourire sincère de celui qui a lu et qui est content de ce que j'avais à en dire. Tu m'as murmuré, gêné, que j'étais ce que je t'avais dit était en grande partie juste, mais un peu trop flatteur. Je t'ai fait une p'tite face de fille découragée par cette confiance en soi défaillante. Et ce jour-là, j'ai cru que tu m'estimais.

Les saisons se sont additionnées, on se visitait de temps à autres. Tes projets ont pris forme tranquillement pendant que je m'éloignais, sans trop m'en apercevoir, des cercles où tu évoluais. Et tu t'es mis à multiplier les contacts. Chaque présentation était suivie liste de dates, des horaires chargés. Toutes les fois où nous parlions, on en revenait à ces vieilles discussions sur mes petits fanatismes sympathiques et ta carrière en envol. Et moi, j'avais l'impression, j'ai l'impression, que tu voulais faire de moi une fan comme je l'avais été de ces hommes dont je t'avais parlé. Comme si je n'avais aucune espèce d'importance pour toi si je n'étais pas une groupie puissance dix. Cependant, cette vie n'est plus pour moi, je n'ai plus le désir de vivre par procuration en me valorisant parce que j'aurais eu la chance de commencer à triper sur une personne de talent avant qu'elle ne soit connue.

Moi, tu vois, ce que je voudrais, c'est être ton amie. Tout simplement.