mercredi, janvier 03, 2007

Les chiennes

Quand l'année tourne une page sur elle-même, on ne peut faire autrement que de faire des bilans. On se pose des questions sur les accomplissements réalisés dans les derniers mois. Un vieux réflexe social que je vois poindre dans ma tête tout comme dans celle de beaucoup de personnes de mon entourage. Il y a des années qui nous ouvrent des rétrospectives moins réjouissantes que d'autres. Je constate que je vis avec les chiennes de mes peurs et qu'elles commencent sérieusement à être encombrantes. Peur du déjà vu ou de l'inconnu lorsque vient le temps de s'ouvrir à une personne qui pourrait partager une part de mon intimité. Peur de décevoir les gens que j'aime liée, au fond, à ma plus grande peur : celle du rejet ou de l'abandon. C'est une grosse chienne jaune qui est trop souvent dans mes pattes. Elle a ce dont de se coucher sur le plancher, exactement là où me porteront mes prochains pas. Quelquefois, je ne la vois pas alors je marche sur sa queue et je l'entend qui couine sa douleur tandis qu'elle se rappelle à mon esprit.

J'ai aussi une petite chienne bleue du ridicule. Mais je ne la nourri pas et ne la laisse pas grandir pour me prendre de l'espace vital. Je la regarde droit dans les yeux, pour lui montrer qu'elle ne m'impressionne pas et je continue mon chemin, sans pitié aucune pour cette bête qui s'approche de moi. Après tout, ce n'est qu'une toute petite chienne, beaucoup plus petite que moi et je sais depuis longtemps que les petites bébittes ne mangent pas les grosses. J'ai aussi, une chienne rouge de l'échec, ce qui m'a souvent amenée à ne pas essayer quelque chose, en me disant non dès le départ. Ne pas oser pour ne pas avoir à essuyer un refus. Pourtant, je sais que les refus sont souvent moins difficiles à assumer que tout le cinéma que je peux me faire en l'appréhendant. Après tout, dans l'année écoulée, je me suis fait refuser deux fois la promotion à laquelle j'aspire et je ne m'en porte pas si mal.

Depuis quelques temps, je sais qu'une énorme chienne orange, née de la juxtaposition de mes chiennes jaune et rouge délimite, son territoire dans mon fort intérieur. Je me retrouve pieds et mains liés par ma censure personnelle et je ne sais plus comment dire. Des situations que je juge difficiles se présentent à moi et je ne peux plus rien faire. Rien dire. Des situations liées à de relations interpersonnelles de tout acabit. Je vois bien que je gâche des moments particuliers et je me sens mal. Coupable, bien entendu, puisque c'est de ma faute. Mais voilà que je ne me sens pas le droit de dire quoique ce soit. Parce que j'ai le sentiment qu'en m'expliquant, c'est aussi chercher la pitié. C'est refuser l'opprobre qu'on me présente, c'est nier ma responsabilité. La chienne orange se love dans cette crainte, elle s'y sent au chaud. Et moi, je la regarde, muette. Incapable de trouver un moyen de la faire sortir de moi. Et lorsqu'on me dit : « Mathilde, t'es toujours pénible quand ces situations se présentent. » Je sais à quel point c'est vrai. Je sais que je ne peux rien dire, que je ne peux pas me porter à ma propre défense. Et je suis incapable d'en parler, ou presque. J'ai la conviction que d'en parler à qui que ce soit ferait passer les personnes qui me font ces justes reproches comme de mauvaises personnes.

Alors je vois bien la chienne noire de la dépression reprendre du poil de la bête. Parce que dans les multiples causes de ma descente au plus profond de cette vase, il y avait cette imposition du silence. Parce que je sais que j'ai toujours une responsabilité dans les conflits qui jalonnent mon parcours. Parce que je crois sincèrement que d'expliquer mon point de vue est beaucoup rejeter celui de l'autre et que moi, j'ai tellement peur du rejet que je ne suis pas capable de dire les choses qui pourraient faire sentir aux autres que je rejetterais une de leurs opinions négatives sur moi.

Il y a un mythe sur les écrivains qui dit que ceux-ci écrivent plus facilement dans la douleur. Pour ma part, c'est complètement faux. Parce que d'écrire une douleur, c'est aussi accuser quelqu'un ou quelque chose de mes malheurs. Du moins en partie. Mais moi, j'ai le sentiment que je n'ai pas le droit d'être blessée par ces gens qui me sont proches. Que je n'ai pas le droit de le dire parce que je manipulerais l'information en donnant mon point de vue. Subjectif, bien sûr.

Et voilà que je me retrouve, début janvier, propriétaire d'un chenil de grosses maudites chiennes qui s'engraissent de mes peurs, de mes silences et de mes malentendus. Et je me demande bien comment je vais faire pour leur trouver un autre logis que mon cerveau qui culpabilise un peu trop.

Libellés :

10 Commentaires:

Blogger Juli s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Je crois que tu passes à côté d'un élément important: le but d'une discussion, c'est bien d'échanger des points de vue. Parfois, juste de parler, même si on croit tout rejeter, ça aide à mettre les idées en place. C'est beau ne pas vouloir blesser, mais encore faut-il se préserver dans toute l'histoire. Peut-être même que ce n'est pas seulement de ta faute, comme tu as l'air de te convaincre. Rien de mieux que de parler des démons pour les exorciser, plutôt que de les brasser mentalement.

10:49 a.m.  
Blogger Benoît s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Tiens donc, ça me rappelle une conversation, ça. :)

12:03 p.m.  
Blogger La Dame du Lac s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Voilà une image que je trouve fort intéressante!!


Aye, bonne année Mathi! : )

2:25 p.m.  
Blogger Pitounsky s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Y en a quelques-unes par chez-nous si ça peut te rassurer... on jurerait qu'elles sont de la même famille!

7:38 p.m.  
Anonymous Anonyme s'est arrêté(e) pour réfléchir...

faut peut être les dresser pour les maitriser ....Juli a raison parfois l'union fait la force devant des bêtes mal léchées !!!et peut être monter une ligue avec pitounsky afin que vous puissiez jouer les lara croft exterminatrice de ce genre de bestioles!!
Je tiens à te souhaiter à toi et tous tes nombreux admirateurs et lecteurs une bonne année : "je vous souhaite des rêves à n'en plus finir et l'envie furieuse d'en réaliser quelques uns, je vous souhaite d'aimer ce qu'il faut aimer et d'oublier ce qu'il faut oublier, je vous souhaite des passions je vous souhaite des silences je vous souhaite des chants d'oiseaux au réveil et des rires d'enfants je vous souhaite de résisiter à l'enlisement à l'indifférence aux vertus négatives de notre époque je vous souhaite surtout d'être vous..."
de la part d'une petite française que tu as connu en septembre de cette année et qui a toujours une petite pensée pour ces "cousins" d'un lointain pays ...

4:44 a.m.  
Blogger La Souris (Marie-Ève Landry) s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Je suis en complet désaccord avec ton avant-dernier paragraphe. Libérer la peine qu'on a, même si elle implique quelqu'un d'autre, c'est une obligation. Pour une question de santé mentale.

En te taisant, c'est comme si tu t'enlevais le droit d'exister. Comme si tu jugeais que ta peine était moins importante que la réputation de l'autre.

Depuis que le monde est monde que les gens entrent en collision et tiennent des versions différentes... La pire chose à laquelle tu puisses te heurter c'est que quelqu'un te dise: «Je te crois pas, c'est pas son genre de faire ça» alors que l'autre est réellement coupable de ce dont tu l'accuses.

D'une façon où une autre, il faut que ça sorte...

12:23 p.m.  
Blogger Galad s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Tiens donc! Au risque de contraster avec les derniers commentaires, j'ai particulièrement aimé l'avant dernier paragraphe. Non pas que je pense que les choses devraient être ainsi, mais bien parce qu'elles le sont, tout simplement. À mon avis, ça démontre une grande lucidité de ta part, Mathilde.

Là-dessus, je te souhaite aussi la bonne année.

1:53 a.m.  
Blogger Vertige s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Toutes les chiennes s'apprivoisent et on en vient à être meilleure d'avoir su apprivoiser et aimer un si grand chenil... C'est une chance que tous n'ont pas. Les plus belles choses sont les plus dures à apprivoiser comme les belles personnes ont souvent de la difficulté à vivre avec elles mêmes.

Merci pour cette réflexion Mathilde!

12:25 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Juli : Une cigarette, un café, deux amie et un brin de jasette. Toute une recette matinale :)

Benoît : Ah vraiment? Merci encore.

Laurie : Ouais, c'est certain qu'en faisant une comparaison animalière, j'avais de bonnes chances de créer une image pour toi. Bonne Année aussi !

Pitounsky : Je crois que je ne suis pas toute seule à avoir un gros chenil, finalement.

Aly : Tout d'abord, tu n'es pas obligée de spécifier qui tu es lorsque tu m'écris un message, je ne t'oublie pas. Je sais très bien qui est la personne de ces commentaires forts gentils. Je me souviens de ton sourire et de tes rires. T'en fais pas. Bonne Année à toi et à ton amoureux aussi. Et merci de poser tes yeux sur mes mots.

Souris : Je persiste et signe, je crois qu'il y a des choses qui se disent en public (c'est-à-dire, sur ce blogue) et d'autres choses qui doivent rester dans d'autres sphères. Je ne pense pas me nier, ni me refuser le droit d'exister. Je pense que je considère simplement les personnes qui sont autour de moi.

Et t'as raison, d'une manière où d'une autre, faut que ça sorte. Dans le cas présent, ce sera d'une autre...

Galad : J'ai le sentiment que tu as exactement compris mon malaise. Merci de l'avoir dit. Et Bonne Année à toi aussi.

Vertige : Merci pour ce touchant commentaire. Je ne suis pas certaine d'aimer toutes les chiennes de ce chenil, mais je les apprivoise tranquillement. Et je les nomme. Je crois que c'est l'essentiel.

10:32 a.m.  
Blogger La Souris (Marie-Ève Landry) s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Je ne sais pas, avec le temps j'ai appris à soulager mes peines sur mon blogue sans trop identifier les gens, sans expliquer trop... J'ai remarqué souvent dans les commentaires que certains textes étaient interprétés d'une façon qui n'était pas recherchée. C'est correct de même. Parfois des amis proches lisent entre les lignes et comprennent... il faut dire par contre que j'écris sous un pseudo. Peut-être que c'est plus facile quand on reste à moitié anonyme.

10:26 p.m.  

Publier un commentaire

<< Retour sur le sentier