mardi, décembre 05, 2006

Les notes du barman

La soirée s'était apaisée en même temps que les heures. Le barman se promenait dans la salle venant remplir nos verres à même un pichet payé depuis un certain temps, faisant des pirouettes pour nous faire rire, et ça fonctionnait très bien. Les copines se demandaient bien comment je pouvais faire pour mettre une personne dans ma poche comme cela, à ma première visite. Ce qu'elle ne savaient pas, c'est que c'était loin d'être le cas. Je ne sais plus trop qui a entamé la première discussion. Moi ou le barman curieux de l'autre côté du bar. « T'écris toujours, je ne sais pas comment tu fais pour écrire ici, il y a tant de monde et tant de bruit! » Et moi d'expliquer que je squattais chez ma mère, qu'elle se couchait tôt, que je n'avais pas le droit de fumer dans sa maison, alors je me réfugiais dans les bars montréalais pour assouvir mon besoin de raconter. Il m'avait alors dit, gauchement sous ses épis en broussaille : « Moi aussi j'écris... Des chansons. J'écris des chansons mais je n'ai pas un grand sens des mots ni de la poésie. Moi, j'écris des émotions. » Je me souviens lui avoir lancé un demi sourire, et d'avoir pensé c'est quoi tu penses la poésie, si ce n'est de l'émotion.

De temps à autre, il s'assoie avec moi, quand il ne travaille pas. Invariablement, on parle de sa vie en musique. Parce que c'est ce qu'il est, un musicien parolier, quoiqu'il puisse lui-même en penser. Il me raconte alors tous les projets fous ou sérieux auxquels il a participé. Il me raconte avec cette fougue que je commence à reconnaître, les détails du processus créatif. Toutes les fois, ses yeux s'allument. Toutes les fois, le débit de ses mots s'accélère brutalement. Je dois souvent le faire répéter parce que dans son emballement, je perds des mots. Alors il recommence, reprend de l'élan et me perd encore une fois. Le dénominateur de ses discours, c'est la réserve. Toujours un iota de dépréciation. Toujours une virgule pour me faire comprendre que ce qu'il fait n'est pas parfait. Moi, j'entends les dénégations. Seulement, ce que j'en retiens, c'est le plaisir évident que la musique éveille en lui. Ce que je constate c'est que le seul fait d'en parler l'amène sur une planète que je ne connais pas.

Il m'arrive d'avoir envie de le convaincre que les comparaisons qu'il fait, entre lui et la grande smala de la communauté artistique québécoise, sont fallacieuses. Cependant, je me suis assez rapidement rendue à l'évidence que ça ne me mènerait à rien. Il doute. Il doute alors il écrit des chansons pleines de sens et pleines d'émotions qui rendent si bien ces moments qui vrillent le coeur. Il doute, alors il baisse un peu la tête avant de m'annoncer la date de son prochain spectacle. Il aime mes critiques pourtant, alors il persévère à se mettre la tête sous le pilori de mes opinions. Toutes les fois, il me regarde un peu surpris après avoir entendu mon verdict. Il me dit souvent que peu lui importerait que je raconte que ses textes sont faibles, qu'il le sait et que ça ne le dérange pas, mais qu'il serait marri si je lui disais qu'il passe à côté de l'émotion qu'il veut partager. Mais moi, je n'arrive jamais à trouver que ses textes sont aussi piètres que ce qu'il prétend.

Le plus souvent, il me fait rire en s'emportant sur ce milieu si difficile à percer. Il me raconte les artistes qu'il a rencontrés, les sympathiques et ceux qui ne le sont pas. Je collectionne les anecdotes en me demandant de quelle manière je vais bien finir par me les approprier, parce que c'est drôle, parce que ça sonne vrai et parce qu'on ne raconte pas impunément des trucs pareils à une fille qui écrit pour respirer en pensant qu'elle les laissera toute une vie sous silence. Et puis, parfois... Parfois, il prend son rôle de barman au sérieux et écoute mes doléances sur la vie. Sur les hommes, le travail, les amitiés qui s'étiolent et me râpent le coeur. Lorsqu'il m'écoute, il a le regard rivé sur mes yeux, pour que je sache qu'il est entièrement là. Je connais son regard, mais je ne sais toujours pas de quelle couleur sont ses yeux

Libellés :

1 Commentaires:

Blogger Jenniko s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Et je ressemble à une de ses ex, non? On parle du même n'est-ce pas...? ;)

1:07 a.m.  

Publier un commentaire

<< Retour sur le sentier