lundi, janvier 22, 2007

Les mots-croisés

C'était un appartement un peu mal foutu. Une petite pièce, à peine assez grande pour y loger un lit simple, sans bureau ni commode, un immense salon dans une pièce en rotonde, ensoleillé par trois immenses fenêtres, une salle-à-manger avec vaisseliers encastrés, d'un chic fou, balayée les lumières matinales, une cuisine assez vaste pour y asseoir une famille de 10 personnes, une salle de bain plus grande que la petite chambre et, sous la mansarde, une pièce, toute droit sortie des images romantiques que je me faisais, enfant, de la chambre idéale. J'imagine, qu'à l'époque de la construction de la maison, tous les lits de la maisonnée étaient à l'étage et que la vie se déroulait au premier plancher. Ce que je préférais dans ce logement, c'était la galerie, nichée à flanc de colline et surplombant tout l'est de la ville.

Il y avait dans le salon un vieux divan rose, inconfortable, qui m'a vue, un jour crier, à la tête de l'Homme qu'il était con parce qu'il m'avait dit « je t'aime » quatre jours seulement après qu'on se soit rencontrés. Je sens encore, sur mon avant-bras, dix ans après les événements, la pression de ses phalanges pour m'empêcher de me sauver en courant le plus loin possible de lui et de son amour auquel je ne croyais pas. Il m'avait tirée à lui, cajolée jusqu'à faire taire ma peur. Lissant ma chevelure emmêlée de ses doigts patients. Aimants. Je l'admirait tellement. Il était beau, beau comme ceux que je trouve beau. Intelligent aussi. J'ai toujours eu un faible pour l'intellect. Il m'impressionnait, sans que je ne me sente diminuée en comparaison. Je nous percevais en équivalence, nous accordant à chacun des points forts et des points faibles.

Je me me rappelle plus si c'était le premier ou le second matin dans cet environnement. Mais je nous revois dehors, dans la brise de juillet, à siroter un café pendant qu'il lisait le journal. Lorsqu'il eût terminé, il se mit en devoir de faire le mot-croisé. Je lui avouai que j'avais toujours vu mon père en faire mais que je ne perdais patience au bout de trois mots. Il m'a tirée à lui en riant, et m'a dit : « On va le faire ensemble d'abord. » Je suis très douée en mauvaise foi lorsque je ne suis pas bonne dans quelque chose. Alors je faisais la gueule toutes les fois où je me butais à un mot. Il me donnait des indices, pour m'amener à faire les liens nécessaires. Je me choquais lorsque je n'avais pas vu une réponse évidente. Il me disait : « T'es belle quand tu te mets en colère! » Je lui tirais la langue de frustration.

Pendant les années où nous avons étés amoureux, les mots-croisés sont devenus le rituel de nos matinées paresseuses de fin de semaine. C'était un moment de confort et de complicité. Je me suis améliorée en faisant les grilles lorsqu'il n'était pas avec moi. Planchant sans relâche, dictionnaire à la main. À la fin, j'étais aussi bonne que lui. Ce n'était pas l'important. Les mots-croisés étaient notre activité matinale, un point de jonction d'une intimité en construction constante.

J'ai continué à faire des mots-croisés après lui. Tous les jours, ou presque. Par conséquent, je suis plutôt rapide, du moins avec grilles dont j'ai l'habitude. C'est la première chose que je fais après avoir lu mes courriels. Il y a quelquefois des réunions de colocs dans ma chambre durant cette activité. Petit à petit, j'ai transféré mon plaisir à ceux avec qui j'habite. Je fais un peu enrager Julie parce que je suis meilleure qu'elle et que je réussi généralement les grilles qu'elle ne remplit qu'à moitié. Alors je l'aide, comme Il l'avait fait avec moi. Trouvant de nouveaux synonymes pour l'amener à la réponse souhaitée. Il y a quelque chose de réconfortant dans ces matinées de mots. Je suis devenue le professeur et mon élève progresse à grands pas. Elle est aussi têtue que je l'étais. Allant jusqu'à s'acheter des livres remplis de grilles pour s'exercer.

Moi, je nous regarde avec tendresse et je repense à mes débuts. Alors me revient en tête ce que je disais après ma dernière rupture : je saurai que j'aurai trouvé un homme à ma mesure le matin où, j'aurai envie de partager avec lui une matinée confortable; qu'il fasse des mots-croisés ou pas.

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3 Commentaires:

Blogger Cartouche s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Moi j'adore voir que les mots-croisés font aussi parti de notre rituel quotidien au boulot.

Je le commence, et tu le termines ...

Quand il est plus difficile, Karine et Antoine s'y mettent aussi, et a la fin de la journée, sans que je m'en soit rendu compte, pause apres pause, chacun y a mis son petit grain de sel, et la grille est terminée!

1:19 p.m.  
Blogger François s'est arrêté(e) pour réfléchir...

C’est utile aussi. Sans les cruciverbistes, le mot «ire» ne serait plus dans le dictionnaire, je crois.

7:04 p.m.  
Blogger Juli s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Un jour, pas si lointain, je réussirai à remplir une grille toute seule. Oui! Oui!

10:32 a.m.  

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